ils ont toujours été de même à Paris. Moliere a perdu fes peines à les critiquer dans plufieurs de fes petites Piéces, & le Théâtre Italien à les parodier. Rien n'a jamais été capable de détruire un mal trop enraciné. C'eft ici que les meilleurs Acteurs font obligés de fe conformer au goût général, & depuis long tems établi; en dépit de foi-même on eft forcé de fuivre le torrent, & de contracter des défauts accrédités, fans lefquels on rifqueroit de déplaire..

Le célébre Baron, qui méritoit par bien des parties la grande réputation dont il jouiffoit, étoit le feuk qui n'avoit point de déclamation. It étoit pourtant le plus admiré, pourquoi n'a-t-on point cherché à le fuivre? Il jouoit avec plus de force que perfonne, mais il n'étoit jamais forcé, auffi le plus grand rôle tragique le fatiguoit beaucoup moins

qu'un rôle médiocre n'auroit fatigue tout autre. Mais ceux qui jouoient avec lui étoient déja trop formés avant qu'il parut; il n'étoit plus tems de chercher à fe corriger: Oh dit que dans fa jeuneffe Baron avoit déclamé comme les autres. Dans une abfence de trente années il avoit perdu fes premiéres habitudes, & les folides réflexions qu'il avoit faites fur un art pour lequel il avoit reçu de la nature les plus grands avantages, ayant changé le fond de son jeu, il reparut plein de cette fim plicité & de cette vérité dont il étoit un excellent modéle. Malheureuse ment il ne pouvoit long tems durer, & cet admirable exemple a été trop tôt perdu pour les Comédiens.

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Venons au principe. Les Vers tra giques doivent être prononcés avec le fon qu'exigent naturellement les penfées qu'ils renferment. Lorfqu'un

Heros parla de chofes qui ne l'émeu vent point, pourquoi devroit-il affecter un fon de voix extraordinaire? Lorsqu'une Princeffe n'eft point agitée de paffions, pourquoi faut-il qu'elle p pleure? Cela arrive pourtant tous les jours. Eft-il néceffaire, pour dire noblement, de ne jamais s'éloigner d'une monotonie choquante. Les Vers tragiques ont à la vérité une mefure uniforme, mais ils ne s'enchaînent pas toujours de la même maniere.. Ce que l'on y dit change à chaque inftant de pensée & de fen timent, il faut donc à chaque mol ment changer de ton. Il eft vrai que dans les morceaux tranquilles cess tons doivent être liés les uns aux autres par des degrés imperceptibles; mais un ton toujours uniforme ne fçauroit être approuvé.

L'on a porté les fauffes réflexions fur la déclamation jufqu'au point de

fe faire là-deffus les principes les plus déraisonnables, en voici un. L'on croit qu'il faut toujours commencer une Tragédie à voix baffe & fans force de jeu, afin de fe ménager les moyens de toujours augmenter l'expreffion jufqu'à la fin de la Piece. Sur ce principe j'ai vu des Acteurs com mencer la Tragédie de Mitridate, où Xifarès entre fur la scène en déplorant la mort de fon pere qu'il vient d'apprendre, par débiter cette nouvelle avec autant de fang froid, que nous parlerions de la mort du grand Mogol fi l'on venoit nous l'annoncer. La feule régle à fuivre eft celle que nous prefcrit le fentiment que nous avons à rendre. Si l'Auteur a commencé fa Tragédie par les difcours d'un fils défespéré d'avoir perdu fon pere, ce fils doit, en arrivant fur la fcène montrer la douleur la plus vive, & l'exprimer avec la plus

grande force. L'Acteur doit rendre les chofes telles qu'elles font en quel que lieu de la Piece qu'elles foient placées. Tant pis pour l'Auteur s'il n'a pas eu l'habileté de porter le fentiment plus loin dans la fuite.

Il est néceffaire à préfent, Ma dame, que je vous faffe obferver une chofe effentielle. La mode de finir les phrases par un ton qui en défigne la terminaison, s'eft prefque totale ment perdue. Tous les Vers fe finiffent aujourd'hui par des fons en Fair, & il femble que dans une Piece il n'y ait plus ni points ni virgules. Pour éviter ce défaut, je vais vous faire fentir quel eft l'enchaînement de fons qui marque la terminaison du fens. La divifion des tons dans la parole a des intervalles beaucoup moindres que dans le chant; cependant une oreille délicate fent la comparaison que l'on peut faire de ces