Imágenes de páginas
PDF
EPUB

lui dont il eft mécontent. Un avare même en disant bon jour à fon ami, doit fe montrer occupé d'inquiétudes. Le jaloux marque une colere que la bienséance empêche d'éclater, en faluant un jeune homme qu'il est forcé de recevoir contre fon gré. Une Suivante dit bon jour d'un ton flateur & infinuant à l'amant aimé de fa maîtreffe, & d'un ton brusque au vieillard qui cherche à l'obtenir fans fon aveu. Le petit-Maître faluë avec une politeffe affectée & mêlée d'un ton d'orgueil qui démontre que s'il veut bien vous faluer, c'est par bonté, & qu'à la rigueur il n'y feroit point obligé. L'homme dans la trifteffe dit bon jour d'un ton affligé. Le Valet qui a fait un mauvais tour à fon Maître, l'aborde avec un air qui cherche à montrer de l'affurance mais au travers duquel, on doit voir percer la craintę. Ün fourbe faluë C

celui qu'il va duper,d'un ton qui doit inspirer la confiance à l'objet de fa trahifon, & où le fpectateur doit appercevoir qu'il médite une fourberie. Il faudroit détailler tous les caractéres de l'humanité, & toutes les fituations de la vie, fi l'on vouloit expliquer les innombrables variétés qui peuvent fe rencontrer dans l'expref fion d'un mot, qui paroît fi fimple à l'abord. Monfieur de la Torilliere, pere de celui qui eft encore au Théâtre, étoit en cette partie l'Acteur le plus parfait que j'aye jamais entendu. Il ne croyoit pas qu'un feul monofillable fut inutile dans fon rôle un oui, un non dans fa bouche marquoit fans ceffe la fituation & le caractère. J'ai vû depuis les mêmes chofes jouées par des Acteurs que l'on difoit parfaitement intelligens, & qui étoient bien éloignés d'entendre comme lui. C'est par cette intel

;

ligence, à qui rien n'échappe, que l'excellent Comédien eft fupérieur au lecteur, je dis même à l'homme d'efprit. Car tous ceux à qui la nature a donné de l'efprit feroient en état de jouer la Comédie, fi cette qualité entraînoit néceffairement l'intelligence dont je parle. Mais nous avons trop d'expériences du contraire, & avec beaucoup d'efprit & d'éducation, nous avons vû plufieurs Comédiens n'entendre jamais que l'écorce de leur rôle. Je cefferai de parler fur une matiere inépuisable; mais la connoiffance des différens points que je traiterai dans la fuite, pourra vous donner, Madame, la facilité de revenir de vous-même à celui que j'abandonne à présent, & d'y faire des réflexions, qui peu à peu vous perfuaderont que tout l'art du Théâtre dépend de cette seule par

tie.

L'EXPRES

SION.

L'on appelle expreffion, l'adreffe
par laquelle on fait fentir au Spec-

tateur tous les mouvemens dont on
veut paroître pénétré. Je dis que l'on
veut le paroître, & non pas que l'on
eft pénétré véritablement.Je vais à ce
fujet, Madame, vous dévoiler une
de ces erreurs brillantes dont on s'est
laiffé féduire, & à laquelle un peu
de charlatanisme de la part des Co-
médiens peut avoir beaucoup aidé.
Lorfqu'un Acteur rend avec la force
néceffaire les fentimens de fon rôle,
le Spectateur voit en lui la plus par-
faite image de la vérité. Un hom-
me qui feroit vraiment en pareille
fituation, ne s'exprimeroit pas d'une
autre maniere, & c'est jusqu'à ce
point qu'il faut porter l'illufion pour
bien jouer. Etonnés d'une fi parfaite
imitation du vrai, quelques-uns l'ont
prise pour la vérité même, & ont
cru l'Acteur affecté du fentiment

[ocr errors]

qu'il repréfentoit. Ils l'ont accablé d'éloges, que l'Acteur méritoit mais qui partoient d'une fauffe idée, & le Comédien qui trouvoit fon avantage à ne la point détruire, les a laiffés dans l'erreur en appuyant leur avis.

Bien loin que je me fois, jamais rendu à cet avis, qui eft prefque généralement reçû, il m'a toujours paru démontré que fi l'on a le malheur de reffentir véritablement ce que l'on doit exprimer, on eft hors d'état de jouer. Les fentimens fe fuccedent dans une fcène avec une rapidité qui n'est point dans la nature. La courte durée d'une Piece oblige à cette précipitation, qui en rapprochant les objets, donne à l'action Théâtrale toute la chaleur qui lui est néceffaire. Si dans un endroit d'attendriffement vous vous laiffez emporter au sentiment de votre rôle

« AnteriorContinuar »