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votre cœur fe trouvera tout-à-coup ferré, votre voix s'étouffera prefqu'entierement; s'il tombe une feule larme de vos yeux, des fanglots involontaires vous embarrafferont le gofier, il vous fera impoffible de proférer un feul mot fans des hocquets ridicules. Si vous devez alors paffer fubitement à la plus grande colere, cela vous fera-t-il poffible? Non, fans doute. Vous chercherez à vous remettre d'un état qui vous ôte la faculté de poursuivre, un froid mortel s'emparera de tous vos fens & pendant quelques inftans vous ne jouerez plus que machinalement. Que deviendra pour lors l'expreffion d'un' fentiment qui demande beaucoup plus de chaleur & de force que le premier ? Quel horrible dérangement cela ne produira-t-il pas dans l'ordre des nuances que l'Acteur doit parcourir pour que fes

fentimens paroiffent liés & femblent naître les uns des autres ? Examinons une occafion différente qui fournira une démonstration plus fenfible, & contre laquelle les préjugés auront de la peine à combattre. Un Acteur entre fur la fcène, les premiers mots qu'il entend, doivent lui caufer une furprise extrême il faifit la fituation, & tout-àcoup fon visage, sa figure & sa voix marquent un étonnement dont le fpectateur eft frappé. Peut-il être vraiment étonné ? Il fçait par cœur ce qu'on va lui dire : Il arrive tout exprès pour qu'on le lui dife *.

Je fçais que dans cet article je fuis entierement oppofé au fentiment de mon pere, comme on peut le voir dans fes pensées fur la Déclamation. Le refpect que je dois à fa décision, le reconnoiffant pour mon maître dans l'art du Théâtre, fuffit pour me perfuader que j'ai tort; mais j'ai cru que ma réflexion, vraie ou fauffe, ne feroit pas inutile au Lecteur.

L'Antiquité nous a conservé un fait fingulier, & qui fembleroit propre à foutenir l'idée que je cherche à combattre. Un fameux A&teur tragique, nommé Efope, jouoit un jour les fureurs d'Orefte. Dans le moment qu'il avoit l'épée à la main, un Efclave deftiné au service du Théâtre, vint à traverser la scène & fe trouva malheureusement à fa rencontre. Efope ne balança pas un inftant à le tuer. Voilà un homme à ce qui paroît fi pénétré de fon rôle, qu'il reffent jufqu'à la fureur. Mais pourquoi ne tua-t-il jamais aucun des Comédiens qui jouoient avec lui ? C'eft que la vie d'un Efclave n'étoit rien, mais qu'il étoit obligé de respecter celle d'un Citoyen. Sa fureur n'étoit donc pas vraye, puisqu'elle laiffoit à fa raifon toute la liberté du choix. Mais en Comédien habile il faifit l'occa

fi

fion que le hasard lui préfentoit. Je ne dis pas qu'en jouant les morceaux de grande paffion l'Acteur ne resfente une émotion très-vive, c'est même ce qu'il y a de plus fatiguant au Théâtre. Mais cette agitation vient des efforts qu'on eft obligé de faire pour peindre une paffion que l'on ne reffent pas, ce qui donne au fang un mouvement extraordinaire auquel le Comédien peut être luimême trompé, s'il n'a pas examiné avec attention. la véritable caufe d'où cela provient.

Il faut connoître parfaitement quels font les mouvemens de la nature dans les autres, & demeurer toujours affez le maître de fon ame pour la faire à fon gré reffembler à celle d'autrui. Voilà le grand art. Voilà d'où naît cette parfaite illufion à laquelle les fpectateurs ne peuvent fe refufer, & qui les entraîne en dépit d'eux.

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Il faut que l'expreffion foit naturelle; cependant on croit affez communément qu'on ne doit pas s'en tenir aux bornes exactes de la nature. Elles feroient, dit-on, peu d'effet & ne produiroient qu'un jeu froid. Mon pere a coutume de dire, que pour être frappant, il faut aller deux doigts au-delà du naturel; mais que fi l'on paffe cette mesure d'une ligne, on eft fur le champ outré & defagréable. Cette façon de parler explique à merveille le danger où l'Acteur eft continuellement d'exprimer ou trop ou trop peu. Examinons cependant fi l'on ne pourroit pas trouver dans la nature, des modéles, qui parfaitement suivis, donneroient l'extrême vérité accompagnée de la vigueur néceffaire. Obfervons le monde : je ne dis pas feulement ce monde choifi qui fe pique du bel air; je dis le monde en général, & plû

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