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tôt les petits que les grands. Ceuxci accoutumés par l'ufage & la politeffe à ne se point laiffer entraîner au premier mouvement en présence d'autrui , peuvent fournir peu d'exemples de l'expreffion vive. Mais les hommes d'un rang moins élevé, qui s'abandonnent plus aifément aux impreffions qu'ils reçoivent, le peuple qui ne fçait point contraindre fes fentimens, ce font-là les vrais /modéles de la forte expreffion. C'est chez eux que l'on peut voir l'accablement de la douleur, l'abaiffement d'un fuppliant, l'orgueil méprisant du vainqueur, la fureur portée à l'excès. C'est-là qu'on trouve plus que par tout ailleurs les exemples du grand tragique. Ajoutons-y feulement un vernis de politeffe, & tour fera parfait. En un mot il faut exprimer comme le peuple, & se préfenter comme les grands.

On ne doit jamais outrer l'expreffion; c'est une régle incontestable. Mais il faut fe mettre dans l'efprit que l'outré ne vient jamais de la trop grande force du fentiment; ce font Les acceffoires qui la gâtent, je veux dire la méchanique du gefte & de la voix. Si pour donner une expreffion forte on fait un gefte violent après avoir montré que l'on s'y préparoit, fi l'on s'arrête enfuite dans une pofition forcée, fi l'on donne à sa voix une secouffe trop forte & trop allongée, & fi l'on fait éclater un fon trop éloigné des autres, alors on est outré: C'est l'apprêt & la pesanteur qui font les Comédiens forcés. Plus un mouvement eft vif, moins il faut y refter par-là on imite la nature qui n'a pas la force de foutenir long tems les fituations qui la contraignent.

:

TIMENT.

Les mouvemens qui naiffent dans Le Senl'ame avec le plus de promptitude, fans le fecours de la réflexion, & qui dès le premier instant nous déterminent prefque malgré nous, font les feuls qui devroient porter le nom de fentimens. Il y en a deux qui font dominans, & que l'on peut regarder comme les fources de tous les autres, je veux dire l'amour & la colere.

Tout ce qui ne part pas de l'une de ces deux fources, eft d'une autre efpece. Par exemple, la joye, la trifteffe, la crainte font de fimples impreffions. L'ambition, l'avarice font des paffions réfléchies. Mais la pitié eft un fentiment qui naît de l'amour; la haine & le mépris font les enfans de la colere.

Cette distinction, que vous trouverez peut-être, Madame, un peu trop métaphysique, étoit néceffaire

LA TEN-
DRESSE.

pour vous faire fentir la raison qui m'a déterminé à ranger tous les fentimens en deux feules claffes. Les uns font tendres, les autres font forts. Les premiers reçoivent de l'amour leur caractère principal, les feconds font toujours plus ou moins accompagnés de colere.

Les momens attendriffans font ceux qu'on appelle d'ordinaire le fentiment. Ce terme eft trop général, & je me fervirai de celui de tendreffe, qui me paroît plus convenable & plus pofitif. C'eft ici la partie de l'expreffion qui demande le plus de douceur & de fineffe. Il faut bien fe garder de l'employer mal-àpropos, & de croire, comme il arrive à quelques personnes, que l'on eft fans ceffe obligé d'attendrir quand on eft chargé d'un rôle tendre. Si un pareil rôle a des momens de tran

quillité ou de joye, il est ridicule de les dire d'un ton pleureur. Je ne dis pas qu'il faille rire à éclats lorsqu'on ne reffent que cette joye douce qui se trouve dans des perfonnages élevés, & dans des inftans de nobleffe; mais il faut que la voix & le vifage montrent de la gayeté. L'on s'imagine mal-à-propos qu'un air ferain deshonoreroit la Tragédie. La voix étouffée & la déclamation trifte s'opposent au vrai dans ces occafions, & nous ne voyons que trop d'exemples de ce défaut.

Lorsque la scène oblige à prendre le ton attendriffant, il faut bien fentir de quelle espece eft cette tendreffe que l'on doit exprimer. La tendreffe d'une mere pour fa fille, d'un fujet fidéle pour fon Roi, ou d'un amant pour sa maîtresse, ont toutes un caractère différent & chacune a fa maniere d'être représentée. Le bon

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