la peine de les écrire; fi les Comédiens eux-mêmes font obligés de paffer la vie à développer chez eux, à force de pratique, des régles qu'il auroit fallu fçavoir avant de commencer, & que l'on ne parvient à connoître que lorsqu'on n'eft plus en état d'en faire ufage. Mon pere a compofé un petit Traité, qui a pour titre, Penfees fur la Déclamation; cet ouvrage eft rempli des réflexions les plus fines & les plus délicates; mais combien de lecteurs fe font trompés en croyant l'avoir parfaitement entendu! Il est presque impoffible de bien concevoir les coups de maître qui rendent un A&teur excellent, & fupérieur dans fon art, fans être auparavant bien inftruit des moyens par lesquels on peut atteindre à la médiocrité; & lire les penfées fur la Déclamation avant d'avoir appris l'art de déclamer, c'eft vouloir pein

LE

GESTE.

dre fans avoir étudié le deffein. Je ne cherche point ici à rien ajoûter à cet ouvrage, que je refpecte autant que celui qui l'a écrit. Je vais feulement, Madame, vous détailler les petits principes qu'il faut apprendre les premiers, & qui vous ferviront d'acheminement à l'étude d'un traité, dans lequel vous trouverez après, le vrai fublime du Théâtre.

Je vais commencer par vous parler du Gefte, & cela vous paroîtra peut-être bifarre. Mais fi vous faites attention qu'en paroissant au Théâtre on se présente avant de parler, vous conviendrez que la contenance eft la premiere chose dont il faut s'inftruire *. Cette partie eft d'ail

* L'ordre que je vais fuivre eft précisément celui dans lequel un Comédien doit faire l'étude de fon

art.

leurs celle qui paroît la plus embarraffante à ceux qui n'ont pas d'habitude. Elle l'eft en effet ; on ne fçauroit parvenir à dire fon rôle comme on se l'eft propofé, fans avoir auparavant furmonté toutes les difficultés de la figure. On a coutume de dire qu'il n'y a point de régle pour le gefte, & je crois que l'on fe trompe. J'entends par le gefte, non-feulement le mouvemens des bras, mais encore celui de toutes les parties du corps; car c'est de leur harmonie que dépend toute grace de l'Acteur.

la

Pour avoir bon air il faut se tenir droit, mais non pas fe tenir trop droit. Tout ce qui approché de l'excès devient affectation, paroît défagréable aux yeux,& donne de la con-trainte ; d'ailleurs en fe tenant trop droit on fe prive du plus grand avantage dans les inftans marqués du tragique & du haut comique. Lorfqu'on

est obligé de se montrer fupérieur aux autres Acteurs avec lefquels on eft en scène, & de prendre un air qui leur en impose, c'eft pour lors qu'il faut fe redreffer, & paroître plus grand qu'aucun d'eux par fa

contenance. Mais fi dans tout le courant du rôle on s'eft tenu auffi droit qu'il eft poffible, on a perdu la faculté d'aller plus loin dans ces momens où la contenance doit croître. Il faut encore fonger que le corps trop renverfé & la tête trop haute, contraignent les épaules & donnent de la difficulté au mouvement des bras.

Quelquefois on est obligé de fé courber pour montrer du respect ou de l'attendriffement. Dans ces occafions. beaucoup de Comédiens pèchent par la contenance. Ils ont coutume de plier de la ceinture, en tenant l'eftomac & la poitrine extremement roides. Comme le corps fe trou

ve hors d'équilibre dans cette fitua tion, fi les deux pieds font près l'un de l'autre, ils éloignent celui qui eft derriere, & fléchiffent un peu le genouil de devant, ils élévent un bras fort haut, étendent l'autre au long de la hanche, & jouent des morceaux entiers dans l'attitude de cette ftatue antique qui repréfente un gla diateur dans le combat. Comme cette position forcée est devenue fort à la mode, par l'habitude de la voir on s'y eft accoutumé de maniere que l'on n'en apperçoit plus le ridicule. Il faut fe courber de la poitrine fans craindre de groffir fes épaules, qui, dans cette occafion ne peuvent jamais faire une mauvaise figure. On me dira que la dureté des cuiraffes à la Romaine, & les corps balainés des femmes s'opposent à la régle que je donne: je conviendrai que tous ces ajuftemens font incommodes; mais.