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sens fait aisément concevoir ce prin cipe. Mais il faut beaucoup de fineffe pour bien diftinguer les différences d'un fentiment, qui au premier abord semble être par tout le même. Je ne fçaurois m'engager à détailler tous les tons dont un même fentiment est susceptible. Je laiffe aux ames fenfibles le foin de les appercevoir d'elles-mêmes. Tout ce que je puis vous faire observer, Madame, c'eft que la tendreffe n'eft presque jamais au Théâtre un mouvement unique, & qu'elle eft pour l'ordinaire accompagnée de quelqu'autre qui doit caractériser la fituation, & fervir de guide à l'A&eur dans la maniere dont il doit fe montrer attendri. Tantôt c'eft de la crainte pour l'objet qu'on aime, tantôt c'est l'inquiétude de le perdre, ou la douleur de s'en voir féparé. Quelquefois c'est le défespoir de ne pouvoir lui plaire,

ou

ou la pitié pour fa trifte fituation. Ce peut être le remords d'un amour illégitime, la colere d'un abus de confiance, colere d'autant plus vive, qu'elle ne détruit pas encore la tendreffe, & mille autres que vous remarquerez aisément fi vous avez devant les yeux la régle que je viens de vous donner. Dans les momens où l'on exprime une tendreffe d'amour, il faut bien se garder de la trop grande force dans l'expreffion, car elle devient indécente, fur tout dans les femmes. Il faut éviter les cris, car ils détruifent le caractère de la tendreffe, qui eft une paffion douce. Ce fentiment eft celui que les Acteurs médiocres rendent ordinairement assez bien, pourvû qu'ils ne tombent pas dans la fadeur. On ne doit fe charger de cet emploi que lorfqu'on a une voix flatteufe & un vifage intéreffant; car des yeux durs

D

LA FORCE.

& une voix rude s'opposent à une expreffion qui doit être délicate.

L'emportement eft plus difficile & fe trouve rarement bien rendu, parce qu'il exige dans le jeu autant de modération que de vigueur. L'homme qu'une violente paffion tranfporte, n'a pas tout-à-fait perdu le fens, il eft encore en état de refléchir, & une façon de jouer trop violente montre de la folie. Il est des ménagemens à garder suivant l'occafion. Si l'on parle à une femme, il faut conferver, autant qu'il eft poffible, le refpe&t qu'on lui doit, même en lui difant les chofes les plus choquantes. C'eft un je ne fçai quoi que l'homme bien né fent à merveille, & qu'il feroit mal aifé de définir. Si un homme eft notre inférieur, nous nous rendons méprifables en pouffant trop loin l'insulte,

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parce qu'il n'eft point en fituation d'en tirer vengeance. S'il eft notre fupérieur avec quelque hardieffe que nous ayons à lui parler, ne le mettons jamais dans la néceffité de fe compromettre ou de tomber dans l'aviliffement en fouffrant patiemment ce qu'un homme ne fçauroit endurer: car il ne fuffit pas de jouer pour foi, il faut fans ceffe jouer pour les autres. Voilà ce qu'on n'observe gueres, & c'eft dans les cas dont je viens de parler que le poing fermé produit de mauvais effets.

Il eft des fituations rares à la vérité, mais frappantes, pour lesquelles on ne sçauroit presque donner de régles, parce que le bien & le mal jouer dépendent de fi peu de chofes qu'il eft plus aifé de le fentir que d'en rendre compte. C'eft lorfque le personnage se trouve transporté hors

LA

FUREUR

de la nature & au-deffus de l'huma nité. Telles font les fcènes de fureur. L'Acteur dans ces momens ne doit garder aucune mesure ni obferver aucune place fur la fcène. Les mouvemens de fon corps doivent montrer une force fupérieure à tous ceux qui l'environnent. Ses regards doivent s'enflâmer & peindre l'égarement. Sa voix doit être quelquefois tonante & quelquefois étouffée, mais toujours foutenue d'une extrême vigueur de poitrine. Sur tout il doit beaucoup marcher & beaucoup se mouvoir; ce n'est point en étendant les bras & en tremblant fur fes pieds que l'on montre le tableau d'un furieux. Il eft aifé en cherchant à bien jouer les fureurs, de tomber dans le ridicule, & ce ne font point là des occafions propres à tout le monde. Sur tout il faut bien remarquer que toutes les fureurs ne font

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