gardent bien moins les Comédiens véritables que les Farceurs & Baladins qui existoient avant eux? Cette vérité nous paroît démontrée par les dispositions même de nos Ordonnances; en effet, celle d'Orléans, Article IV, « défend à >> tous Joueurs de farce, Bateleurs & autres > semblables, de jouer aux jours de Dimanches » & Fêtes aux heures du Service divin, de se > vêtir d'habits ecclésiastiques, de jouer cho>>> ses diffolues & de mauvais exemple, à peine >> de prison & de punition ». Il résulte de cette Loi que les Théâtres étoient bien éloignés d'être alors des écoles de morale & d'humanité, puisque le Législateur étoit obligé de prononcer des peines féveres contre la licence qui y régnoit. On ne peut donc faire aucune comparaison entre les Spectacles des Baladins & Farceurs qui ont précédé les véritables Comédiens en France, & notre Théâtre national, tel qu'il existe depuis un siecle. Aussi Louis XIII, par sa Déclaration du 4 Avril 1641 (en renouvellant les défenses prononcées par ses prédécessfeurs contre les Comédiens, de représenter aucunes actions malhonnêtes, & dufer de paroles tafcives, & qui puissent bleffer Thonnêteté publique, sous peine d'être declarés infames, & même de bannissement), a-t-il dit qu'il entendoit que les Comédiens qui se conformeroient à cette Loi, ne seroient point expofés au blâme qui couvroit auparavant leur profeffion, & que leur exercice ne pourroit préjudicier à leur réputation dans le commerce public. Cette Loi prouve d'une maniere évidente que nos Rois ont voulu que les Comédiens fussent diftingués des Farceurs qui les avoient précédés, & qu'ils ne fuflent pas exposés au blâme dont ces derniers ont été couverts. : Nous avons dit d'ailleurs que le Gouvernement avoit pris des précautions pour empêcher que la décence & l'honnêteté fussent violées dans les Pieces de Théâtre. Le Commissaire de la Marre rapporte en effet une Ordonnance de Police rendue en 1609, « qui défend aux Comé>> diens de jouer aucunes Comédies ou Farces > avant de les avoir communiquées au Procu. reur du Roi ». On ne suit plus, il est vrai, cette Ordonnance; mais on y a substitué la formalité de la permission que le Magiftrat donne sur l'approbation du Censeur de la Police; ainsi c'est une regle invariable que les Comédiens ne peuvent jouer aucunes Pieces qu'après qu'elles ont été approuvées par le Censeur & le Magiftrat. Par cette précaution sage, le Théâtre François est devenu le plus décent & le plus honnête de l'Europe. Les Comédiens François ont un privilege exclusif. Il n'appartient qu'à eux seuls de jouer des Comédies dans la Capitale, & d'y représenter des Tragédies; aussi toutes les fois que d'autres Comédiens, & même des Farceurs, ont voulu s'établir à Paris, les Tribunaux se sont empressés de maintenir les Comédiens François dans leur droit exclufif; c'est ce qui a été jugé par plusieurs Sentences de Police & Arrêts du Parlement. On se rappelle que les Comédiens, réunis en 1680 par Louis XIV, furent autorisés par un Arrêt du premier Mars 1688, à acheter le Jeu de Paume de l'Étoile, Fauxbourg SaintGermain, pour y faire bâtir une nouvelle Salle de Spectacle. Cette Salle n'étoit pas achevée qu'on essaya de porter atteinte au privilege exclusif des Comédiens François. La demoiselle Villiers fit construire un Théâtre à Paris, & y fit représenter des Comédies par des enfans, sous le titre de Petits Comédiens François. Les Comédiens dénoncerent au Roi cette entreprise, & par un ordre exprès de Sa Majesté, le Théâtre de la demoiselle de Villiers fut fermé sur le champ. En 1707, on forma contre leur privilege une nouvelle entreprise: les Danseurs de corde de la Foire Saint-Germain prétendirent avoir le droit de jouer des Comédies sur leur Théatre, & ils en jouerent en effet; ils fondoient leurs prétentions sur les franchises de la Foire. Le Cardinal d'Estrées, alors Abbé de SaintGermain, les appuya de son crédit; mais les Comédiens François s'adresserent au Parlement, & réclamerent l'exercice de leur privilege exclufif. Par Arrêt rendu, le 22 Février 1707, fur les conclusions de M. l'AvocatGénéral Portail « il fut fait défenses aux >> Danseurs de corde & à tous autres de repré> senter, soit dans l'enclos des Foires, soit dans > tout autre endroit de Paris, aucunes Comé>> dies, Farces, Dialogues ou autres divertisse>> mens ayant rapport à la Comédie ». Des défenses aussi formelles auroient dû fans doute mettre les Comédiens à l'abri de nouvelles entreprises; cependant les Danseurs de corde commencerent à jouer des Comédies l'année suivante : mais cette entreprise n'eut pas un succès plus heureux que la premiere; car par un second Arrêt du Parlement, rendu le 21 Mars 1708, il leur fut défendu de récidiver, sous peine d'une amende de 1000 liv. Après deux Arrêts aussi précis en faveur des Comédiens François, les Danseurs de corde auroient dû abandonner leur projet; mais, soit qu'ils fussent déterminés par quelque motif particulier, soit qu'ils eussent dessein de fatiguer leurs adversaires par des contestations sans cesse renaissantes, on les vit encore donner des Comédies sur leur Théâtre Aussi-tôt les Comédiens François porterent leurs plaintes au Parlement, & leurs privileges ayant été de nouveau discutés & approfondis, il intervint un troisieme Arrêt, le 2 Janvier 1709, sur les conclusions de M. l'Avocat-Général Joly de Fleury (*), «qui ordonna l'exécution des deux , (*) Si on veut connoitre les motifs de cet Arrêt, & toutes les circonstances qui y ont donné lieu on peut confulter les Causes célebres de Gayot de Pitaral, Tome X. |