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vices de ce commandeur accompagné de fix chevaliers feulement, fi les Turcs euffent perfifté dans leur entreprife, & le fiege auroit continué vigoureusement, fi une lettre que les Turcs intercepterent dans une barque de Sicile qu'ils prirent, n'eût caufé de vives inquiétudes à Sinan.

AN1551.

Le gene

retire.

Cette lettre étoit écrite par le receveur de l'or- LXXVIII. dre qui refidoit à Meffine, & adreffée au grand-ral des maître, auquel il marquoit qu'il avoit dépêché Turcs leve exprés cette barque pour lui donner avis qu'An- le fiege de dré Doria amiral de l'empereur, & la terreur des Malte & le infidéles, étoit de retour d'Espagne, & actuel- De Thest, lement dans le port de Meffine. Qu'il avoit dé- ibid. ut fup. pêché en diligence dans tous les autres ports de ?.230. l'ifle, pour rappeller toutes les galeres & vaiffeaux qui feroient en état de tenir la mer, & les troupes neceffaires pour les armer & qu'il devoit partir inceffamment pour combattre les ennemis, & les obliger à lever le fiege. Cet avis, quoique fuppofé, & de l'invention du receveur, ne laiffa pas de produire fon effet. Sinan allarmé de cette nouvelle, affembla le confeil de guerre, & emploïa de fi bonnes raifons pour perfuader qu'il falloit fe retirer & ne pas attendre le fecours de Doria, que le confeil de l'avis du general convint, que fans s'arrêter davantage au fiege de Malte, il falloit uniquement s'attacher à celui de Tripoli, place peu fortifiée, & qu'on emporteroit infailliblement, Ainfi les Turcs en confequence de cette deliberation leverent le fiege, & fe rembarquerent: mais avant que de fe rendre à Tripoli, ils s'emparerent de l'ifle de Goze, à quatre milles de l'ifle de Malte, d'environ vingtquatre milles de circuit, & trois de largeur. Celui qui la commandoit, étoit Galentin de Seffa, qui alla fe cacher au lieu de défendre fa place. Le nombre des prifonniers fut de fix mille trois cens

per

perfonnes, & le gouverneur fut dépouillé & mis AN.1551. la rame: l'ordre vouloit qu'on lui fît son procés mais le grand-maître s'y oppofa; & pour couvrir l'infamie d'un fi malheureux fuccés, il fit publier par tout que ce gouverneur avoit été tué d'un coup de canon, que pendant qu'il avoit vêcu, la place avoit été confervée: & que fa mort avoit fi fort intimidé les habitans, qu'ils avoient été contraints & capituler, pour fauver la vie & l'honneur des femmes & des filles, quoique le Bacha eût depuis ouvertement violé la capitulation.

LXXIX.

Sinan va

Après cette expedition de l'ifle de Goze, Sinan Le bacha aiant fait rafer le château, & laiffé par tout des marques de fa fureur & de fa cruauté, remit à affieger la voile, refolu d'aller affieger Tripoli, grande Tripoli. De Thau, ville de barbarie, & capitale du roïaume de ce loco fup. cit. nom, que l'empereur Charles V. avoit donnée

aux chevaliers en les établiffant à Malte. Cette place étoit gouvernée par Gafpard de Vallier maréchal de l'ordre. Et les Turcs après être débarquez, commencerent à battre le château de trentefix groffes pieces de canon. Il n'y avoit dans la place qu'une recruë de deux cens hommes venus de Calabre, foldats nouveaux, qui n'avoient jamais vû le feu, & environ deux cens Maures alliez de l'ordre, & qui fervoient utilement les Chrétiens. Tripoli avec un fi foible fecours n'étoit gueres tenable, fur-tout contre une puiffante armée, fournie d'une nombreuse artillerie : cependant le gouverneur avoit fi bien pouryû à tout, qu'il auroit donné de l'exercice à Sinan, fans la trahifon d'un transfuge de Cavaillon du comtat Venaiffin, qui lui donna avis de l'endroit foible par lequel il falloit attaquer la place : c'étoit du côté du boulevard de fainte Barbe, dont la maçonnerie étoit fans liaisons, par le défaut du ciment que le tems avoit consumé. La divi.

LXXX.

gouverneur

fion s'étant mife enfuite parmi les officiers, & les troupes refusant absolument le fervice, quel- AN-1551. ques menaces qu'on leur fit, les Turcs fe rendi- Prife de rent maîtres de la ville & du château; & malgré Tripoli, la capitulation que Sinan avoit fignée, il fit ar- dont le rêter le gouverneur, & le chargea de chaînes eft arrêté. pour être conduit fur fa galere; mais Gabriel Sleidan in d'Aramon, ambaffadeur de Henri II. roi de Fran- comment. 1. ce à la Porte, & qui avoit paffé à Malte pour se 22.p.817. rendre à Conftantinople, étant alors retenu par Sinan, jufqu'à la prife de la ville, obtint du general la liberté du chevalier de Vallier, & des plus anciens chevaliers François; tout le refte, tant Efpagnols qu'Italiens, fujets de l'empereur, demeura dans les fers, à la reserve de deux cens des plus vieux & des plus pauvres.

Cette place fut renduë le 16. d'Août, & remife à Dragut, pour la poffeder en qualité de Sangiacat. D'Aramon après avoir racheté plufieurs efclaves de fon propre argent, partit avec la permiffion de Sinan, & revint à Malte, accompagné du chevalier de Vallier, qu'il avoit tiré des chaînes : il y arriva le vingt-troifiéme d'Août fur le foir. Mais le grand-maître craignant qu'on ne fit retomber fur lui la perte de Tripoli, refolut de rendre la conduite de l'ambassadeur de France fufpecte, & de rejetter cette perte fur lui & fur le gouverneur ; & aïant gagné quelquesunes de fes créatures pour faire faire le procés à ce dernier, d'Aramon ne fut pas plûtôt parti pour continuer fa route vers Conftantinople, que le chevalier de Vallier fût arrêté avec trois autres, Fufter de Soufa, & Errera, qui avoient eu plus de part à la capitulation. On nomma trois chevaliers de trois langues differentes pour faire les informations; on leur donna pour affeffeur & chef de la commiffion un feculier nommé Auguftin de Combe, juge corrompu, & capable de

tout

tout faire pour de l'argent, afin de prononcer AN.1551 fur la nature des peines que meritoient les criminels. On apofta des témoins fcelerats averez & noircis des plus grands crimes; & l'on avoit rendu la caufe fi odieufe, que perfonne n'ofoit ouvrir la bouche en faveur des coupables.

LXXXI.
Les Efpa-

Il n'y eût que le commandeur de Villegagnon gnols accu-qui entreprit de les juftifier, malgré toutes les fent les défenfes, & il s'en acquitta avec beaucoup de François courage, reprochant au grand-maître que fon de la perte invincible opiniâtreté avoit été caufe que le feDe Vertot, cours neceffaire pour la défense de Tripoli, n'aïant hift. de Mal- pas été envoïé, de Vallier & les autres fe voïant te, abandonnez, avoient été contraints de fe rendre 3c8.&fà des conditions honteufes & peu afsurées; mais

de Tripoli.

De Thou,

hift. 1.7. verfus fin. 8.233.

ces reproches n'arrêterent pas le grand-maître; il fit écrire à fes confidens chacun dans leur païs, que ce grand-maître aïant voulu faire faire le procés à de Vallier, pour avoir rendu fa place aux Infidéles, la plupart des chevaliers François craignant que par la conviction de ce crime, on n'attachât une marque d'infamie à leur langue, avoient pris les armes, & le tenoient affiegé dans le château: ce qui fit concevoir une fi grande indignation contre les François, qu'on ne parloit plus d'eux que comme des rebelles. D'Omedes par ces lettres prit les devans, & gagna le procureur d'office pour produire de nouveaux témoins. Villegagnon le découvrit; il en porta fes plaintes aux commiffaires, qui renvoïerent l'affaire au même procureur d'office, prétendant qu'ils n'étoient prépofez que pour recevoir fimplement les témoignages: & quoiqu'ils n'euffent accordé que huit jours pour recevoir les dépofitions, plus de foixante perfonnes d'une integrité reconnue fe prefenterent, & dépoferent en faveur des accufez. On ne laiffa pas de juger que l'habit de la religion & la croix leur

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feroient ôtez; ce qui déconcerta les mesures du AN.1551. grand-maître, qui vouloit un jugement plus' fevere.

Le Juge comprenant auffi-tôt que cette fen-LXXXII. tence ne plaifoit pas à d'Omedes, voulut chan- Le roi de ger d'avis; mais en aïant été feverement repris France par Villegagnon, qui lui reprocha fon inconftangrand-maîce & fa legereté, en le taxant de plus méchant tre pour de tous les hommes; ce juge, malgré le grand- fçavoir la maître, se desista de cette fonction, fur le pré-verité de cette affai texte qu'aïant rendu fa fentence, il ne pouvoit re pas prononcer deux fois fur la même affaire. Ce qui obligea le grand-maître à remettre l'affaire à une autre fois, en faifant infcrire dans les regiftres tout ce qui venoit de fe paffer. Cependant comme on rejettoit la perte de Tripoli fur les chevaliers François, & qu'on accufoit d'Aramon ambaffadeur à la Porte, d'avoir confeillé à de Vallier de fe rendre; le roi Henri II. informé de ces bruits, & en étant offenfé, parce qu'ils don noient atteinte à fa gloire & à l'honneur de la nation, envoïa à Malte un gentilhomme de fa maifon nommé du Belloy, & écrivit au grandmaître le trentiéme de Septembre de cette an née, pour fe plaindre des bruits qu'on répandoit, le priant de lui faire fçavoir distinctement & au vrai, fi d'Aramon fon ambassadeur étoit coupable de ce qu'on lui imputoit, afin de le châtier felon la grandeur de fon crime, s'il en étoit convaincu, ou de le juftifier parmi les nations étrangeres, par son témoignage, s'il étoit innocent. Le grand-maître fort inquiet fur cette lettre, n'y répondit pas fi-tôt. La lettre fut portée au confeil, on en fit la lecture, & l'on y opina qu'il falloit écrire au roi, qu'on fe loüoit beaucoup de la conduite de l'ambaffadeur : & l'on ordonna au fecretaire de dreffer la lettre.

Mais ce n'étoit pas là ce que vouloit d'Omedes,

dans

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