Avis tient à la racine vis, d'où les mots vifage, wifion, vue, &c. L'avis eft proprement notre maniere de voir & de vifer à un but il fuppofe la confidération, l'examen, la réflexion ; & il en eft le résultat. Il porte l'inftruction, & dirige les vûes & les moyens. Ainfi avifer fignifie donner un avis ou une inftruction: on avife aux moyens, qu'on doit faire. Un homme avifé eft éclairé, circonfpect, prudent. L'avis nous enfeigne donc ce qu'il convient de faire.

à ce

Opinion, latin opinio, eft formé de la préposition ob, devant, au devant; & de pen, pens, penfer, pefer les chofes. L'opinion eft une pensée, une idée qui plaît à l'efprit; au devant de laquelle J'efprit va; qui, dans la balance, lui paroît avoir plus de poids; mais que l'efprit n'adopte pas fans crainte & avec un plein acquiefcement. La certitude, dit Cicéron (In Pifon. ), appartient à la fcience, l'incertitude à l'opinion. Le fage, dit il encore (Academ. 4), n'a point d'opinion, car il n'adopte pas une chofe incertaine ou inconnue. Si l'acquiefcement de l'efprit à une vérité qu'on lui propofe, eft accompagné de doute, c'eft ce qu'on appelle opinion, dit la Logique de Port-Royal.

Le fentiment eft donc une croyance dont l'efprit eft profondément pénétré ; la persuasion l'infpire & le maintient. L'avis eft un jugement fur ce qu'il convient de faire; la prudence le fuggere & le dicte. L'opinion eft une penfée ou une connoiffance douteufe qu'on adopte comme par provifion: la vraisemblance nous la fait agréer & foutenir jufqu'à de nouvelles lumieres.

Le fentiment n'eft pas en lui-même certain: mais chacun regarde fon fentiment comme certain;

ou y croit fermement. L'avis n'eft pas toujours fage; mais celui qui le donne de bonne foi, le croit tel; c'eft ce qu'il trouve de plus convenable & de plus praticable. L'opinion n'eft jamais que probable; mais on s'y attache infenfiblement ; & il faut bien fouvent fe déterminer par des raisons plaufibles.

Le fentiment n'eft pas toujours fondé, comme on le dit, fur des raifons folides ou apparentes : il y a beaucoup de fentimens infpirés, les uns par ce fens naturel qui devroit être commun à tous les hommes, les autres par ce fens moral que nous appellons la confcience, ou par ce fens intellectuel que nous affimilons au goût, &c. ; & le peuple, fi ferme dans fes fentimens, n'en a guere que par l'éducation, par imitation, par infinuation. L'avis dépend de la réflexion, de nos lumieres, de notre expérience, de notre maniere de voir : auffi les avis font-ils bien fouvent partagés, & il faut tout entendre avant que de réfoudre; car un fot quelquefois ouvre un avis important. L'opinion doit fouvent beaucoup à la prévention, j'en conviens; mais elle doit bien davantage à l'intérêt fecret que nous avons de nous attacher à l'une ou à l'autre : on a fort bien dit que les opinions s'introduisent fouvent comme les coutumes, par la feule raison de l'exemple; que la plupart des gens, quand ils ont befoin d'une opinion, l'empruntent; que la plupart de nos opinions font celles qu'on nous a données, &c.: mais il eft certain qu'en général de deux opinions probables, la plus probable eft celle qui nous accommode le mieux.

Les fentimens de l'efprit fe joignent avec les fentimens du cœur pour former nos principes ou nos regles particulieres à l'égard de notre maniere

que

propre de penfer & d'agir. L'avis revient à un confeil à fuivre dans certains cas; avec la différence le confeil fe donne proprement à ceux qui nous le demandent ou qui font fous notre direction, & qu'il paroît plus engageant dans fa forme que l'avis. L'opinion n'eft, dans le fond, qu'une forte de préfomption & de conjecture, à laquelle nous donnons un peu de créance ou de crédit.

Nous difons les fentimens des peuples fur la Religion & fur une révélation reconnue de toutes les Nations civilifées, les fentimens de Socrate & de Confucius fur la morale, les fentimens de Platon & d'Ariftote fur la République, les fentimens de Copernic & de Galilée fur le fyftême du Monde: nous difons fentiment, à l'égard de tout ce qui fait objet de croyance, point de science, regle de conduite. Nous difons avis au peuple fur fes premiers befoins, avis au Public fur fes intérêts, avis au Gouvernement fur les abus, avis aux gens de Lettres fur le rôle qu'ils jouent dans le monde : nous difons avis, lorfqu'il s'agit d'instruction, de délibération, de réformation. Nous difons l'opinion trop dure de S. Auguftin fur le fort des enfans morts fans baptême, l'opinion de S. Thomas fur l'éternité du monde, l'opinion de quelques Cofmographes fur l'existence d'un quatrieme continent, l'opinion de quelques Phyficiens fur la transformation de l'eau en terre ou fur fa transformation en air: nous difons opinion de ce qui ne tend qu'à découvrir la vérité & ne forme qu'un fujet de conteftation.

Un grand Roi, Artaxerxes, cité fous le nom d'Ardschir dans la Bibliotheque orientale de d'Her

belot, étoit dans le fentiment que l'autorité du Prince devoit être foutenue par une force militaire, & que cette force ne pouvoit fe foutenir que par des impôts: mais que tous les impôts retomboient fur l'Agriculture, & que l'Agriculture ne fçauroit fleurir qu'avec la modération & la juftice. Un sage Confeiller étoit d'avis que pour extirper la mendicité, il n'y avoit d'autre moyen que de détruire les caufes de la mifere qui obligeroit toujours ceux dont elles raviffent le pain à en demander. Les Etats de Languedoc, affemblés en 1704, parloient en propres termes du produit net à confidérer dans la mefure des impôts, non comme d'une opinion nouvelle qui pouvoit craindre la raillerie mais comme d'une vérité certaine & même évidente qui ne pouvoit fouffrir la plus légere contradiction; comme on le voit dans un Ouvrage fait par ordre du Gouvernement & imprimé au Louvre, fur les différentes impofitions de l'Europe.

Depuis les Chinois qui, rapportant toutes les vertus à la piété filiale, difent, pour peindre le plus méchant des hommes, que c'est un mauvais fils, jufqu'aux Iroquois qui mangent leurs peres à demi-morts de vieilleffe & incapables de foutenir les fatigues d'une vie errante & guerriere, tous les peuples de la terre n'ont qu'un fentiment fur le devoir d'honorer ceux dont on a reçu le jour & l'éducation. L'avis d'établir entre toutes les Nations la communication la plus libre, la plus fûre & la plus fraternelle pour affurer & accroître fans celle la profpérité particuliere d'un peuple par la profpérité générale, comme on affure & on accroît celle du citoyen par la profpérité publique, eft le premier principe de la paix univerfelle & perpétuelle.

Leibnitz

Leibnitz dit, dans fes nouveaux Effais fur l'entendement humain, en traitant de l'autorité mal entendue : Autant vaudroit-il fe décider pout une opinion à croix ou pile, que de l'adopter, parce qu'elle eft venue jufqu'à nous fous le paffeport des fiecles, & que la vénérable antiquité penfoit ainfi. Je crois, mais fans le concevoir, qu'il eft plus commun de trahir fes fentimens que d'en changer.

Il y a des gens entêtés qui ne fçavent pas changer

d'avis, & des gens irréfolus qui ne font qu'en changer. Il est beaucoup plus facile de faire changer quelqu'un d'opinion, que de lui faire avouer ce changement dans la difpute.

Souvent la même perfonne a des fentimens fort différens fur le même objet, fuivant les différens rapports qu'il peut avoir avec fes intérêts, pour ou contre auffi n'y a-t-il rien de plus commun que l'inconféquence. Telle autre eft fans réserve, de l'avis de l'Avocat plaidant, qui, dans un moment, fera fans reftriction, de l'avis de l'adverfe Partie tant il eft bon de parler le dernier ! Telle autre accueillera de bonne foi deux opinions contradictoires, pourvu qu'on les lui présente fous des afpects & avec des termes différens : le crédit des mots eft inconcevable.

il

Les fentimens du peuple ne font guere que des préjugés chers & abfolus qu'il reçut aveuglément & dont il ne doute jamais; car fi jamais il raisonne, ce n'eft qu'avec fes préjugés. Dans une affemblée nombreuse de personnes réunies pour délibérer, y en a deux ou trois qui ont des avis particuliers; deux ou trois autres difcutent ces avis; & la foule eft, non d'un tel avis, mais de l'avis d'un tel, fans plus. Il y a beaucoup de gens qui ont la mé Tome IV.

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