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L'auteur du tort fait fon bien ou fe fatisfait par le mal d'autrui. L'auteur du préjudice fait fon affaire dont il réfulte quelque mal pour autrui. L'au teur du dommage fait une action qui fait le mal d'autrui. L'auteur du détriment fait une chofe qui devient un mal pour autrui.

Nous difons proprement faire un tort, faire un dommage: or cette action fuppofe que c'eft-là fon effet propre ou immédiat, direct, naturel. On dit plutôt faire une chofe au préjudice, au détriment de quelqu'un or cette expreffion n'indique qu'un effet ultérieur, plus ou moins éloigné, résultant feulement de l'action. Auffi l'on dit qu'une chofe va, tend, tourne, aboutit au préjudice ou au détriment d'autrui, & non à son tort ou à son dommage. Ces deux premiers termes défignent donc une marche, une révolution, une fucceffion d'effets qui aboutiffent à un objet éloigné ; tandis que le tort & le dommage annoncent l'objet ou l'effet propre de la chofe. Nous difons particuliérement porter un préjudice & apporter un dommage: on porte vers un objet plus ou moins éloigné : on apporte jufqu'à l'objet qui étoit éloigné.

Vous ne devez jamais faire votre bien en faifant du tort aux autres. En faifant légitimement votre bien, vous éviterez, le plus qu'il fera poffible, de porter préjudice à perfonne. Si vous faites du dommage à une chofe, fi vous apportez un dommage à quelqu'un, même innocemment vous devez réparer ce dommage ou indemnifer la perfonne. Vous ne pouvez faire aucune convention au détriment d'un tiers.

Le tort fe fait proprement aux perfonnes; & ce mot, qui eft pris figurément, emporte une idée mo

rale :

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rale le dommage attaque directement les chofes & rejaillit fur les perfonnes; car l'idée de ce mot eft phyfique. Ainfi l'on fait tort à une perfonne, dans fes biens, dans fon honneur : & le dommage qu'on fait aux biens de quelqu'un, lui fait un tort. L'idée de préjudice eft plutôt morale ; & celle de détriment eft proprement phyfique : tout mauvais effet pour la perfonne eft préjudice; le détriment est une altération & une dégradation, c'est un dommage opéré par une influence quelconque, lente fur-tout, fur la chofe, &, par relation, sur la perfonne. Je dis une action lente; car, rigoureufement parlant, le détriment arrive par l'usure ou la confomption fucceffive.

Le dommage & le détriment n'expriment que la détérioration des biens ou du fort de la perfonne : le tort & le préjudice regardent auffi l'amélioration des biens ou du fort de la perfonne, empêchée par la caufe qui les produit. Par le dommage & le détriment, on perd toujours la chofe ou partie de la chofe ou de la valeur de la chofe qu'on poffédoit: mais fouvent, par le tort ou le préjudice, on ne fait qu'empêcher quelqu'un d'acquérir ce qu'il auroit acquis légitimement fans cela.

Je fçais que tort fe dit fouvent, par extenfion ou par abus, des dommages caufés fans injuftice ou même par des caufes inanimées. On dit que la grêle a fait beaucoup de tort dans un canton: on dit qu'un deuil de Cour fait tort à certains Marchands on dit même qu'une perfonne fe fait tort à elle-même, quoiqu'elle ne puiffe pas fe faire injuftice. Ces applications du mot indiquent feulement un effet femblable à celui d'un tort rigouTome IV.

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l'effet d'un défordre, d'un déréglement pa reil à celui d'une injustice qui vous raviroit votre bien, le bien fur lequel vous aviez droit ou raifon de compter. Tort eft auffi, dans une autre acception, le contraire de raison, qui eft la droite raifon; & il faut toujours en revenir au rapport effentiel de tort avec droit. Mais je ne prétends pas juftifier toutes les libertés & même les licences. de l'ufage: fon autorité fuffit; mais fes exceptions ne détruifent pas la regle. J'ai eu fouvent occafion d'obferver fur-tout combien notre Langue morale eft altérée, corrompue, défigurée, vague, incertaine, équivoque, changeante, jufqu'à convertir le mal en bien ou le bien en mal, la vertu en vice & le vice en vertu. Voyez particuliérement l'article Honnête Homme.

Toucher, Concerner, Regarder.

La néceffité de mettre le Public en garde contre l'erreur pour prévenir la dépravation du langage, m'a obligé de relever quelques-unes des méprifes les plus importantes dans lefquelles nos Grammairiens-Philofophes font tombés à l'égard des fynonymes. Il auroit été plus agréable pour moi d'établir par des preuves les décifions exactes qu'ils ont rendues, & de donner ainfi à leur travail l'autorité qu'il mérite. C'est le feul objet que je me propofe dans l'article préfent. Je defirerois, en donnant cet exemple, engager des Gens de Lettres à partager la gloire de ces Auteurs par une efpece de Commentaire qui contribueroit à rendre

à la Langue le fervice inappréciable de l'éclaircir & de la fixer.

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L'article fuivant eft de M. l'Abbé Girard : je guere qu'à le juftifier & à le louer.

» On dit affez indifféremment & fans beau» coup de choix, qu'une chofe nous regarde, » nous concerne ou nous touche, pour marquer la → part que nous y avons. Il me paroît néanmoins qu'il y a entre ces expreffions une différence délicate, qui vient d'abord d'un ordre de gra»dation, en forte que l'une enchérit fur l'autre, » dans le rang que je leur ai donné. Quoique nous » ne prenions qu'une légere part à la chose, nous » pouvons dire qu'elle nous regarde; mais il en faut prendre davantage pour dire qu'elle nous concerne; & lorfqu'elle nous eft plus fen» fible & perfonnelle, nous difons qu'elle nous touche. Il me paroît auffi qu'on fe fert plus » communément du mot de regarder, lorfqu'il » eft question de chofes fur lefquelles on a des prétentions ou des démêlés d'intérêt ; qu'on emploie avec plus de grace celui de concerner, lorfqu'il s'agit de chofes commifes au foin & à » la conduite ; & que celui de toucher le trouve » mieux placé dans les affaires, de cœur, d'honneur » & de fortune.

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Il n'en eft pas des biens publics comme des particuliers; la fucceffion regarde toujours ceux "mêmes qui y ont renoncé. Le moindre dé» mêlé dans l'Europe regarde tous les Etats qui la » partagent; il eft difficile qu'aucun d'eux fe con"ferve long-temps dans une parfaite neutralité, * tandis que les autres font en guerre. Toutes les opérations du Gouvernement concernent le pre

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» mier Miniftre; il doit être au fait de tout, foit » guerre, police, finances, ou intérêt du dehors : » mais chacune de ces parties ne concerne que » celui qui en eft particuliérement chargé. La » conduite de la femme touche d'affez près le mari, pour qu'il doive y avoir l'œil: mais la » trop grande attention y eft pour le moins auffi dangereufe que la négligence. Les affaires des » Moines touchent trop la Cour de Rome pour » qu'elle n'en prenne pas connoiffance, & qu'elle ne leur accorde pas fa protection quand on les attaque ".

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» Beaucoup de gens s'inquietent mal à propos » de ce qui ne les regarde pas, fe mêlent de ce qui ne les concerne point, & négligent ce qui les touche de près.

L'analyse des mots juftifiera l'Auteur. Regarder fignifie porter fes regards fur un objet, y prendre garde ou y faire attention, & figurément y avoir égard, &c. : de la racine celtique gar, garde. L'objet que nous regardons eft à une certaine diftance de nous; il attire nos regards ou notre attention. Une maifon regarde le lieu fur lequel elle a la vue. Il fuffit donc pour qu'une chofe nous regarde, qu'elle ait avec nous, fous quelque face, un rapport qui attire ou mérite notre attention & nos foins.

Concerner est dérivé de cerner qui fignifie faire un creux, un cercle autour d'une chofe, la couper en rond, l'ifoler ou la féparer. Cette opération met distinctement la chofe en vue. De là les Latins ont fait cerne, voir distinctement, confidérer avec foin, juger, décider : le verbe krino figrec gnifie juger. Ainfi concerner fignifieroit proprement

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