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lorfque le pronom fe rapporte à ce qui eft régi par le verbe. En quoi confifte cette bonne grace qui n'eft ni dans le fens, ni dans les fons, ni dans l'arrangement méchanique des mots ? Que je dife, pour moi, tout m'eft indifférent ; & quant à moi, je ne me mêle d'aucune affaire, ces deux phrafes font-elles moins harmonieufes que celles-ci, pour moi, je ne me mêle d'aucune affaire; quant à moi, tout m'eft indifférent? Je répondrai, pour l'Abbé Girard, que à moi formant un régime indirect, il s'accorde naturellement & fort bien avec le régime du verbe fuivant, auquel il femble appartenir; & que moi, au commencement de la phrafe, femble naturellement demander après lui je, d'autant plus que pour moi répond au latin ego verò (mais moi) qui exige, dans le verbe fuivant, la premiere perfonne. Ainfi quant à moi feroit tomber l'action du verbe fuivant fur la perfonne ; & pour moi mettroit la perfonne même en action. Mais ces fubtilités n'ont rien de folide; & les plus agréables comme les plus purs Ecrivains trouvent fouvent meilleure grace aux deux locutions employées avec des conftructions opposées au goût de l'Abbé Girard.

Ainfi l'Académie dit dans fon Dictionnaire, quant à lui, il en ufera comme il lui plaira : Trévoux, quant à moi, je fuis étonné: Malherbe, quant à moi, je dispute avant que je m'engage; & quant à nous, étant où vous êtes, nous fommes dans notre élément : Fontenelle, Dialogue 38e. après avoir dit, pour moi, je veux vous imiter en tout; quant à moi, je ne tenterai rien qu'avec de bonnes précautions: J. J. Rouffeau (Lettre fur

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les Ouvrages de Rameau), quant à moi, j'en pour-
rai mal juger, faute de lumieres: La Fontaine,
Phedre, fur ce fujet dit fort élégamment :
Il n'eft rien tel que l'œil du maître.

Quant à moi, j'y mettrois encor l'œil de l'amant.
Contre de telles gens, quant à moi, je réclame, &c.

Tous nos anciens Auteurs, & fur-tout Amyot, le premier modele de l'élégance françoife, parlent ainfi prefque à chaque page; & en général, on fe fert de quant à moi, fans aucun égard au reste de la phrafe.

Quoiqu'en effet on dise communément pour moi, je, il y a tant d'exemples contraires, que le nombre des exceptions ne permet pas d'en faire une regle. Ainfi Racine dit, Androm. 4, 5.

Pour moi, loin de contraindre un fi jufte courroux,
Il me foulagera peut-être autant que vous.

Fénélon dit, Télém. 2, pour les étrangers, il les recevoit avec bonté : Fléchier, portrait d'un de fes amis, pour les grands qui fe prévalent de ce qu'ils font, il les refpecte de loin, & les abandonne à leur propre grandeur: Maffillon, dernier Sermon du petit Carême, pour vous, qui vivez expofés aux regards publics, vos exemples de vertu deviennent auffi éclatans que vos noms : Voltaire, Henriade, l. 2,

Pour moi, qui de l'Etat embraffant la défense,
Laiffai toujours aux Cieux le foin de leur vengeance
On ne m'a jamais vu, furpaffant mon pouvoir,
D'une indiscrete main profaner l'encenfoir.

A j

Enfin quant à moi & pour moi font de véritables phrafes, mais elliptiques : dès lors le pronom n'a aucune forte de rapport grammatical avec la conftruction du refte de la propofition. Expliquons ces phrases: car enfin il s'agit ici de fynonymie & non de bonne grace; & prouvons que l'Abbé Girard trahit légèrement fa propre caufe en les déclarant très-fynonymes.

Quant eft le latin quantùm, autant que : quant à moi eft la phrase latine quantùm ad me fpecat, attinet, autant que la chofe me regarde ou me concerne, felon l'intérêt que j'y prends ou l'opinion que j'en ai. J'ai fouvent répété que pour marquoit la manifeftation, la présence ou l'égard, la confidération: pour moi fignifie fi je me mets en avant, pour en dire mon avis, à l'égard de mes fentimens, pour ce qui eft de moi ou de la part que j'y prends. J'ai déja obfervé que pour moi fert à rendre le latin ego verò, mais moi, & moi, moi au contraire. La premiere de ces locutions marque donc littéralement un intérêt à la chofe & un rapport établi; & la feconde n'indique qu'un jugement ou un fair. Quant marque auffi une mefare & une proportion; & pour, quelque chofe de vague feulement.

Ces locutions, en même temps qu'elles fervent de liaisons ou de tranfitions, annoncent la divifion, le partage, l'oppofition, la différence. Quant à moi, infpiré par un intérêt particulier, prend un air plus décidé, plus tranchant, felon la valeur de qu, qui fignifie couper, trancher : pour moi, ne défignant aucun motif, n'a ni faste, ni prétention, conformément à l'expreffion latine. Vous direz modefrement & avec un air de doute, pour moi, je penserois, je ferois : vous direz avec fermeté & d'une ma

niere réfolue, quant à moi, je pense, je fais. On fo met fur fon quant à moi, pour dire quant à moi; car pourquoi le quant à moi marqueroit-il la fierté, la hauteur, la fuffifance, fi ce n'est par l'efpece de ton important ou d'autorité qu'on prend en difant quant à moi ? N'oublions pas que les différentes acceptions des locutions ainfi que des mots s'expliquent les unes les autres.

En général quant exprime un rapport plus marqué, une divifion mieux fignalée, une oppofition plus forte, une partie plus annoncée, un complément plus effentiel, quelque chofe de plus remarquable, que pour pris dans cette acception. Quant fert principalement à rappeller un objet ou un rapport nouveau, ci-devant annoncé avec d'autres, & à le mettre à fon tour fur la fcene ou devant les yeux, pour en parler ou en traiter autant que la chofe le comporte, ou qu'on l'a fait des autres chefs du difcours au lieu que pour ne fert guere qu'à former la transition d'un objet à l'autre, & à mettre quelque confidération particuliere, fans autres circonftances déterminées

pro

Quafi, Prefque.

Quafi, mot purement latin, eft dit elliptiquement pour quâ ratione fi, de même que fi, de la même manière, comme fi. Prefque eft la même chofe que près de, près d'être. Il eft quafi homme, c'est comme s'il étoit homme il eft prefque homme, il eft près d'être homme.

Quafi marque donc la reffemblance, il fuppofe

peu de différence entre un objet & un autre ! prefque marque l'approximation, il fuppofe peu de distance entre un objet & un autre. Quafi eft un terme de fimilitude, & prefque un terme de mefure.

Les mœurs des femmes font quafi celles des hommes, ou les mœurs des hommes font quafi celles des femmes : il s'agit là de comparer des chofes femblables. A mefurer une femme entre la coiffure & la chauffure, elle n'a prefque que la moitié de fa taille exagérée : il s'agit ici de comparer des grandeurs.

Parmi les méchans, celui qui n'eft pas méchant eft quafi bon ou comme bon. Parmi ceux qui courent, ceux qui ont prefque atteint le but ou qui ont été prés de l'atteindre, ne font pas plus avancés que ceux qui n'ont pas couru.

Les mœurs, en changeant, changent jusqu'à la valeur des termes, au point qu'à la fin ces termes ne reffemblent quafi plus à eux-mêmes : ainfi aimer ne fignifie plus aimer. Pour un pauvre, qui n'a jamais compté jufqu'à dix écus, mille écus font prefque autant que dix mille, & dix mille prefque autant que cent mille: c'eft toujours une fomme innombrable.

Dites hardiment à une mere coquette qu'elle eft quafi jeune comme fa fille, elle vous croira: elle voudra vous faire accroire qu'elle eft presque aussi grande que fa fille qui a quatre pouces de plus qu'elle, & vous n'oferez pas la démentir.

Chacun fe forme le modele de la femme qu'il voudroit époufer; & il y en a un fur un million, qui époufe une femme quafi telle qu'il avoit imaginé la fienne. Chacun veut encore avoir un peu

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