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GILBERT bre d'Officiers & de foldats chrétiens avant qu'on D'ASSALIT. pût voir de quel côté la victoire tourneroit.

1168.

Amaury fit foutenir ce premier corps par de nouvelles troupes, qui, fans s'étonner, montent au travers des feux, des darts & des pierres, s'élevent jufqu'au haut des murailles, fe prennent aux creneaux, & malgré toute la résistance des affiegez, fe jettent fur les remparts, pouffent tout ce qui fe prefente devant eux, & penetrent l'épée à la main jufques dans la ville. Ils en ouvrent enfuite les portes; les Chrétiens y entrent en foule; le foldat dans les premiers transports de fa fureur, tue d'abord fans diftinction d'âge, de fexe ou de condition, tout ce qui se présente devant lui; il y eut quelques-uns de ces furieux qui n'épargnerent pas même ni les vieillards, ni les femmes, ni les enfans à la mammelle; il fembloit que des Chrétiens craigniffent de ne pouvoir être auffi inhumains que des Sarrafins & des Arabes. Mais l'Officier comme le foldat s'appercevant que leur cruauté nuifoit à leur avarice, ils donnerent quartier aux principaux habitans, dans la vûe d'en tirer de l'argent pour leur rançon; & ceux qui ne la purent payer, demeurerent efclaves & prifonniers de guerre.

Le Roi de Jerufalem étant maître de la Place, en execution de fon traité, en remit la poffeffion au Grand Maître, & toute l'armée, après quel ques jours de repos, prit le chemin du grand Caire, ville confiderable, voifine de l'ancienne Babylone, & qui depuis la ruine de cette Place étoit la capitale d'Egypte. On ne peut exprimer la furprise & la confternation du Soudan quand il apprit

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D'ASSALIT.

la perte de Belbeïs, la prifon de fon fils & de fon GILBERT neveu, & qu'il alloit avoir lui-même toutes les forces des Chrétiens fur les bras. Comme il ne pouvoit pas beaucoup compter fur les troupes peu aguerries des Egyptiens; malgré fon manque de parole envers Noradin, il fe vit réduit à avoir recours à ce Prince, & le péril preffant l'empêcha de fentir la honte d'implorer le fecours d'un allié qu'il avoit trompé. Il rappelle en même tems auprès delui differens corps de troupes qui étoient dans les provinces les plus éloignées; & afin de donner le tems aux uns & aux autres d'avancer à fon fecours, il envoya des députez au Roi de Jerufalem pour tâcher par quelque négociation de retarder le progrès de fes armes.

Les députez étant arrivez à fon camp se plaignirent de l'infraction du traité de paix; mais comme l'injuftice n'étoit que trop vifible, ils pafserent legerement fur un grief qui n'auroit servi qu'à irriter Amaury qu'ils vouloient appaiser; & pour obtenir qu'il retirât fes troupes de l'Egypte, ils lui firent des propofitions fi éblouiffantes, que ce Prince chez qui paix & guerre tout étoit venal, n'eut pas la force d'y réfifter. On lui offrit deux millions d'or, tant pour obtenir la paix que pour la rançon du fils & du neveu du Soudan, fomme immenfe pour ce tems-là, & qu'on auroit eu bien de la peine à trouver dans toute l'Egypte. Amaury plus touché de ces offres d'un argent comptant, que des esperances douteufes de la conquête de ce Royaume, accepta ces conditions. Le traité fut figné, & en confequence, & pour

la

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1169.

D'ASSALIT.

GILBERT liberté qu'il rendit au fils & au neveu du Sultan, on lui paya en déduction des deux millions cent mille pieces d'or ; & pour fournir le surplus, les députez demanderent quelque tems, que pendant qu'on ramafferoit cet argent dans les Provinces, il y eut une fufpenfion d'armes entre les deux Nations, & que les Chrétiens pour ne pas jetter l'allarme dans le pays, restassent dans l'endroit où ils les avoient rencontrez, ou du moins qu'ils n'avançaffent que lentement. Le Roi de Je rusalem toujours obsedé par sa lâche passion & sans confiderer que les momens en tems de guerre font plus précieux que ni l'or, ni l'argent, souscrivit à tout; & le Soudan pour l'amufer, lui envoyoit continuellement des rafraîchissemens. Il dépêchoit en même tems au Prince courriers fur courriers, pour excufer, fous differens prétextes, le retardement de l'argent qu'il devoit payer. En vain les principaux Officiers d'Amaury tâcherent de lui rendre fufpect ce retardement; ce Prince aveuglé par l'efperance de recevoir une fi grande fomme, évitoit avec foin de donner aux Sarrafins le moindre prétexte de rompre le traité; mais il ne fut pas long-tems fans s'appercevoir qu'il étoit trompé: il apprit avec autant de surprise que de chagrin, que differens corps de troupes s'avançoient du fond des Provinces, & qu'une armée redoutable des Turcomans Syriens marchoit au fecours des Egyptiens, & cherchoit à les joindre.

Noradin qui ne vouloit pas être deux fois la dupe de l'Egyptien, avoit jetté fes principales forces de ce côté-là, & mis fon Général en état

D'ASSALIT

de faire tenir sa parole à Sannar. Malgré les dif- GILBERT ferens mouvemens que fit Amaury, Siracon qui commandoit l'armée de Noradin, & qui connoiffoit le pays, évita la rencontre d'Amaury qui s'étoit avancé pour le combatre féparément; & ce General infidele joignit les troupes du Soudan. Pour comble de difgrace, une flotte que l'Empereur de Conftantinople avoit envoyée au fecours des Chrétiens, périt en partie, ou fut dispersée par la tempête. Amaury privé de ce fecours, & trouvant fon armée diminuée confiderablement par les maladies, par les défertions, & par les autres accidens ordinaires à la guerre, ne fe vit plus en état de réfifter aux forces réunies de tous ces Infideles. Ainfi on ne fongea qu'à regagner la Palestine; & comme il n'y avoit pas d'apparence de laiffer la garnifon de Belbe'is dans un pays ennemi fans efperance de fecours, & contre une puiffance fi formidable, le Grand Maître fe vit réduit à rappeller les Hofpitaliers aufquels il avoit remis cette Place.

Amaury les reprit en paffant; & quoique vivement poursuivi par des détachemens de l'armée de Siracon, il regagna la Palestine. Après une longue marche, il arriva enfin à Jerufalem avec la confufion d'avoir rompu inutilement un traité folemnel, & fait une entreprise injufte & mal concertée.

Le Grand Maître étoit encore plus chagrin de ce mauvais fuccès. Les Courtifans, felon leur coutume, pour difculper le jeune Prince, rejettoient fur lui feul cette malheureuse entreprise. Ses confreres ne paroiffoient pas moins aigris; & ils fe

D'ASSALIT.

PREUVI

III

GILBERT plaignoient hautement que pour fatisfaire sa vanité, & pour mener à fa fuite un grand nombre de volontaires, il avoit endetté l'Ordre de plus de deux cent mille ducats, fomme immense pour ces tems-là. Enfin ne pouvant plus foutenir le mépris des uns, & le reproche des autres, il résolut de s'éloigner de la Palestine. Il renonça en plein Chapitre à fa dignité, & on mit en fa place un ancien Religieux appellé Frere CASTUS ou GASTUS, dont on ignore la patrie. Sans l'éloignement du tems on auroit pû croire que c'étoit le même Gaftus qui pendant la premiere Croifade, entra avec le Comte de Flandre à la tête de cinq cens hommes dans la ville de Rama: mais apparemment que ce Grand Maître n'étoit que quelqu'un des parens de ce Croisé,

GASTUS.

1169.

Gilbert d'Affalit, après fon abdication, quitta PREUVE Jerufalem & la Palestine, réfolut d'aller dans quelIV. que coin de l'Europe enfevelir fa honte & fa douleur. Il s'embarqua à Jaffa, & arriva fur les côtes de Provence: il traverfa la France pour fe rendre en Normandie, où étoit alors Henry II. Duc de cette grande Province, & Roi d'Angleterre: il falua ce Prince à Rouen; & malgré fa difgrace, il en fut bien reçû au rapport de Roger de Hoveden, Historien contemporain. Delà il prit un vaiffeau à Dieppe pour paffer en Angleterre; ce qui a fait préfumer qu'il en étoit originaire: ce vaiffeau au rapport de l'Historien, étoit vieux & incapable d'aller en mer. Assalit dans l'impatience de fe rendre en Angleterre, se contenta d'y faire faire de legeres répara

tions

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