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1065.

ftiges groffiers, & après en avoir exigé des préfens, leur faifoient croire qu'ils appaifoient en leur faveur la divinité irritée. Cette colonie, par complaifance pour fes nouveaux maîtres, embraffa depuis le Mahometifme, & par la fuite des tems, s'étant extrêmement multipliée, elle s'affranchit de la domination des Arabes, mais fans en quitter la religion, dans laquelle la plupart avoient été élevés. D'autres tribus & d'autres peuples de la même nation, après avoir paffé le Jaxartes, & traverfé le Mauralnahar, fe joignirent à ces premiers, arriverent fur les bords de l'Oxus, & penetrerent jufques

dans le Corofan.

Tous ces Turcomans s'étant réunis mirent fur `pied de grands corps d'armées, & choisirent pour les commander trois chefs qu'ils prirent tous trois dans la même famille, iffus d'un certain Salguez, dont la mémoire étoit parmi eux en finguliere véneration. Le premier de ces Géneraux s'appelloit Togrulbeg: quoiqu'il fût forti du milieu d'une nation feroce, il n'avoit rien de barbare que l'audace & l'ignorance, ou le mépris des périls. Il étoit prodigue dans fes récompenfes à l'égard de ses foldats, cruel dans fes châtimens pour ceux qui avoient manqué de courage, & par là réveré d'une nation chez qui l'art de fe faire craindre tenoit lieu de toutes les vertus. Ce fut ce prince qui fous le titre de Chef des Emirs, ou de Soudan, fe rendit maître en 1055 de Bagdat & du grand Empire des Califes Arabes. Jafer-bei ou Jafer-beg fon coufin, chef de la feconde branche, s'étoit emparé de fon côté du Quirman, & de ces vaftes contrées qui font vers

la mer de Perfe, & les Indes. Cultumise autre coufin de Trogul-beg, & de Jafer, les avoit precedez; & dès l'an mil cinquante, il s'étoit fait reconnoître pour fouverain de la plus grande partie de l'Afie Mineure, ou de l'Anatolie, & il avoit établi le siege de fa domination à Iconium. Togrulbeg étant mort fans enfans vers l'an 1063, Alubarslan fon neveu & fon fucceffeur, ne foutint pas avec moins de valeur que fon oncle la dignité de Sultan. Ce Prince après avoir remporté une victoire fignalée fur les Grecs, fit prifonnier dans cette occafion l'Empereur Diogenes. On prétend que le fils d'Alubarflan, appelle Gelaleddin fut le plus puiffant de ces princes Selgeucides, & que fon Empire s'étendoit depuis les provinces les plus éloignées du Turqueftan, jufqu'à Jerufalem, & même jufqu'aux confins de l'Arabie Heureuse : nouvelle révolution dans l'Afie, & qui ne fut pas moins rapide, ni moins surprenante que celle que les Arabes, quatre cens ans auparavant y avoient caufée. Ce furent les lieutenans de Gelaleddin, furnommé Malescha, qui, après avoir conquis la Syrie, chasserent les Sarazins de la Palestine, & qui en l'an 1065, s'emparerent de la ville de Jerufalem.

On ne peut exprimer toutes les cruautez qu'ils y commirent: la garnison du Calife d'Egypte fut taillée en pieces comme nous le venons de dire. Les habitans & les Chrétiens n'eurent gueres un meilleur fort: plufieurs furent égorgez; on pilla Hofpice de faint Jean, & ces barbares naturellement feroces & cruels auroient détruit le faint Sepulchre, fi l'avarice n'eût retenu leur impieté.

La crainte de perdre les revenus qu'on levoit fur les pelerins d'occident, conferva le tombeau du Sauveur.* Mais ces Infideles, pour fatisfaire en même tems leur avidité & leur haine contre tout ce qui portoit le nom de Chrétien, augmenterent ces Tributs; en forte que les pelerins, après avoir consommé tout leur argent dans le cours d'un fi long voyage, fe voyoient fouvent dépouillez par les voleurs, accablez de faim & de toutes fortes de miferes, faute de pouvoir fatisfaire à des tributs exceflifs, & périssoient aux portes de la sainte Cité, fans pouvoir obtenir de ces barbares la confolation de voir au moins, avant que d'expirer, le faint Sépulchre, l'unique objet de leurs vœux & d'un fi long pelerinage.

Ceux qui échapoient à ces cruelles avanies, ne manquoient pas à leur retour en Europe d'en faire de triftes peintures. Ils repréfentoient avec les couleurs les plus touchantes l'indignité de fouffrir les Lieux Saints fous la domination des Infideles. Mais la puiffance de ces barbares étoit fi redoutable, l'Empire grec fi affoibli, & d'ailleurs les Princes de l'Europe fi éloignez, & même si peu unis entr'eux, qu'on regardoit comme impoffible l'entreprise d'affranchir Jerufalem de la tyranie de ces barbares.

Cependant un homme feul, appellé Pierre l'Her1093. mite, du diocese d'Amiens, après avoir éprouvé lui même une partie des avanies dont nous venons

* Soli etiam dominici Sepulchri templo, ejufque cultoribus chriftianis parcebant propter tributa quæ ex oblatione fidelium affiduè eis fideliterque folvebantur: unà cum Ecclefia fanctæ Mariæ ad Latinos quæ etiam tributaria erat. Alb. Aquenf, l. 6. P. 281.

de parler, forma le hardi deffein de remettre la Terre Sainte entre les mains des Princes Chrétiens. Il s'adreffa d'abord au Patriarche Grec, appellé Simeon, Prélat d'une grande pieté. Et comme cet Hermite fondoit une partie de fes vûes fur les Chrétiens de l'Orient, & fur la puiffance de l'Empire Grec, le Patriarche lui répondit qu'il s'appercevoit bien qu'il parloit des forces de l'Empire en étranger, & sans les connoître. Il ajouta qu'il ne restoit plus de ce grand titre qu'un vain nom, & une dignité fans puiffance; que les Turcomans profitant de la foibleffe des Empereurs, des divifions & des guerres civiles, qui s'élevoient à tous momens dans l'Empire, venoient de s'emparer de la plupart des provinces fituées fur la côte du PontEuxin, & auxquelles, pour monument de leurs victoires, ils avoient donné le nom de Turcomanie; que les autres Provinces de l'Empire étoient ravagées tour à-tour, tantôt par les courfes des barbares, & fouvent même, faute de paye, par les troupes chrétiennes, quoique préposées pour leur défense; que les Grands, dans l'efperance de parvenir à l'Empire, ne fongeoient la plupart qu'à exciter des féditions dans la ville imperiale, ou à débaucher, & à faire foulever les armées; que des Imperatrices, qui n'avoient jamais compté la chafteté au nombre des vertus, avoient fait fouvent de cette Souveraine dignité la récompense de leurs adulteres; que même des eunuques du Palais, ces monftres ni hommes ni femmes, par leur crédit & par leurs intrigues, avoient eu beaucoup de part dans ces révolutions, & que depuis

trente ans, on avoit vû fucceffivement fur le trhône du grand Constantin jusqu'à dix Empereurs, dont la plûpart n'en étoient fortis que par une mort tragique, ou du moins par la perte des yeux; & que fi on avoit laiffé à quelques-uns la vie, ou l'ufage de la vûe, c'est qu'ils étoient fi méprisez, qu'après les avoir releguez dans un monastère, on ne les comptoit plus au nombre des vivans; que l'Empereur Michel Ducas, furnommé Parapinace, avoit été d'éthrôné par Nicephore Botoniate; & que l'ufurpateur, pour s'affurer de la Couronne, avoit rendu eunuque le prince Constantin Ducas, fils aîné de Michel, & mari d'Helene, fille du Normand Guiscard; que l'Empereur Alexis Comnene, qui regnoit alors, n'étoit parvenu à cette grande place, que par de pareilles perfidies, & en fe révoltant contre Botoniate, qu'il avoit déthrôné à son tour; que ce nouveau Souverain n'étoit pas à la verité fans habileté, mais qu'il étoit plus craint de fes fujets que de les voifins; & après tout, que bien loin qu'on fe pût flatter que ce prince fût affez puiffant pour rétablir les Chrétiens dans Jerufalem, il avoit affez de peine à arrêter le progrès des armes des Turcomans, qui venoient de s'emparer de Nicée, & dont les Selgeucides de la troifiéme dynastie, avoient fait la capitale de cette monarchie particuliere ; que d'un autre côte Alexis avoit en tête Robert Guiscard, Comte ou Duc de la Calabre, & Boëmond son fils, Princes Normands, ennemis irréconciliables. des Grecs; qu'ils avoient pris les armes, & ravageoient les Terres de l'Empire pour se venger d'A

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