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LIVRE TROISIÈME.

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DE

1194.

NE SÇAI fi c'est à l'éloignement des tems ou la négligence des premiers Hiftoriens, que nous devons attribuer l'ignorance où nous fommes de la Maison & de l'origine des premiers Grands Maîtres; & fur-tout du fucceffeur de Duiffon. Ce fucceffeur dans les anciennes chroniques, s'appelle Frere ALPHONSE DE PORTUGAL. On le ALPHONSE croit communément iffu des Princes de cette PORTUGAL nation; mais on ne nous a point inftruits de quelle branche il fortoit; on convient feulement que c'étoit en ligne indirecte. Des Auteurs modernes prétendent qu'il portoit le nom de Pierre; & qu'il étoit fils d'Alphonfe premier Roy de Portugal. Quoi qu'il en foit, tous les Ecrivains qui ont parlé de lui, nous le representent plein de valeur & de pieté, également exact dans la discipline réguliere & militaire, fcrupuleux obfervateur des ftatuts, mais naturellement fier & hautain; & on s'apperçut depuis fon élevation au Magiftere, qu'il mêloit la dureté de fon humeur dans les ordres qu'il donnoit au sujet du gouvernement.

Il ne fut pas plutôt reconnu pour Grand Maître, que l'efprit rempli de certaine idée de perfection peu pratiquable parmi des Guerriers, & dans la vûe de réformer des abus qui s'y étoient introduits, il convoqua un Chapitre géneral dans la ville de Margat, où l'Ordre depuis la perte de Jerufalem avoit transferé fa réfidence. Pour ne pas faire écla

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ALPHONSE ter fon principal deffein, il n'attaqua d'abord qu'un PORTUGAL. certain abus qui confondoit fouvent la Noblesse féculiere avec les Chevaliers profez. Ces Gentilshommes, à leur retour en Occident, & dans leurs provinces, affectoient de porter la Croix de S. Jean de Jerufalem. Pour l'intelligence de ce fait particulier, il faut fçavoir que ce qui fe trouvoit de Nobleffe dans les Croisades ou dans les pelerinages, étant arrivez dans la Palestine, se rangeoient volontiers fous les enfeignes de la Religion. Il y en avoit même qui envoyoient leurs enfans encore jeunes jufques dans la Palestine, pour être élevez dans la Maison de S. Jean, & fous la difcipline des Chevaliers, comme dans la plus excel. lente école où ils puffent fe former dans l'art militaire.

On fouffroit aux uns & aux autres, tant qu'ils demeuroient à la terre Sainte, & qu'ils combattoient fous les étendarts de l'Ordre, d'en porter la Croix; mais à leur retour en Europe, s'étant faits un droit de cette indulgence, le Grand Maî tre, pour empêcher qu'on ne les confondît avec les Chevaliers profez, fit ftatuer par le Chapitre, qu'ils ne feroient confiderez que comme troupes auxiliaires, & qu'ils ne pourroient porter la Croix que lorfqu'ils combattroient contre les Infideles fous les étendarts de la Religion.

les

De cet article particulier de réformation, le Grand Maître paffa à d'autres qui concernoient principalement les Chevaliers profez, & pour faire recevoir plus aifément, il commença par fa propre maison & par fon équipage, qu'il réduifit

ALPHONSE

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à un Major-dome, un Chapelain, deux Chevaliers, trois Ecuyers, un Turcopolier & un Page. A cha- PORTUGAL cun de ces differens Officiers de fa maison, il ne laiffa qu'un cheval pour les porter. A l'égard de sa perfonne, il ne réserva que deux chevaux de main & une mule, équipage à la verité très-modefte, mais peu convenable au Chef d'un grand Ordre militaire, & qui étoit tous les jours à la tête des

armées.

De ce reglement particulier fe faifant un droit de réformer tous les Chevaliers, après leur avoir reproché ce qu'il appelloit leur luxe, & même leur molesse, il proposa differens réglemens: alimens, habits, équipages, tout paffa par un fevere examen & par une réforme auftere: on ne peut pas dire que ce Grand-Maître n'eût pas de très-bonnes intentions, fon deffein étoit de faire revivre la difcipline établie par Raymond Dupuy, & qui dès ce tems-là étoit fort relâchée. On rapporte qu'entendant quelques murmures dans l'affemblée, il leur demanda s'ils étoient plus délicats que leurs prédeceffeurs, & s'ils n'avoient pas fait aux pieds des autels une profeffion folemnelle des mêmes vœux de la Religion. On lui reprefenta en vain la difference des tems, & que le genre de vie qu'il propofoit, n'étoit pas compatible avec les fonctions d'une guerre continuelle; & dans une conjoncture où depuis la perte de Jerufalem ils étoient tous les jours à cheval ou dans la tranchée. Pour lors prenant un ton de voix plus élevé : Je peux, dit-il fierement, être obéi, & fans replique. A ces mots toute l'affemblée éclata en plaintes,

DE

ALPHONSE & un ancien Chevalier lui fit fentir que le Cha PORTUGAL. pitre n'étoit pas accoutumé à entendre parler fes fuperieurs en Souverains.

LERAT.

L'aigreur fe mêla bien-tôt à des conteftations fi vives, & fut enfuite pouffée fi loin, que les Che valiers de concert, & avec trop d'obftination, refuferent d'observer les reglemens qu'il propofoit. Le Grand Maître de fon côté, quoiqu'il ne fût forti qu'indirectement d'une Maison Royale, pour prouver fa légitimation, affectoit tout l'orgueil du trône. Les uns & les autres ne voulant rien relâcher, on en vint enfin à une révolte déclarée. L'Ordre tomba dans une efpece d'anarchie, & le Grand-Maître ne trouvant plus d'obéissance dans fes Religieux, abdiqua fa dignité, & se retira en Portugal. Il y fut encore plus malheureux, & il périt depuis dans les guerres civiles où il s'étoit engagé. C'est ce que nous apprenons de differens Hiftoriens, quoiqu'ils ne conviennent ni de fon propre nom, ni de celui du Prince qui lui avoit donné la vie.

fon

L'Ordre, après fon abdication, choifit pour GEOFROY fucceffeur Frere GEOFROY LE RAT, de la Langue de France, vieillard vénérable, doux, affable, peu 1195. entreprenant, & qui par là mérita les fuffrages de fes confreres. Il fe fit prefque en même tems une nouvelle révolution dans la principauté de la pe tite Armenie, & dont par fon habileté il arrêta les fuites. Nous avons dit que deux freres, Sei gneurs des plus confiderables de cette nation, l'un appellé Rupin de la Montagne, & le cader, Livron ou Leon, après la mort du renégat Melier,

BANT

GEOFROJ

MATTRE.

FR

Cars Sculp

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