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LERAT.

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GEOFROY Prince d'Antioché, au Comte de Tripoli fon fils, & aux Grands-Maîtres des Hofpitaliers & des Tem pliers pour leur recommander de veiller aux inrerêts du Roi, & même, s'il étoit néceffaire, de faire pafler dans fon Ifle des forces capables d'y maintenir l'autorité royale, » Amaury, dit ce Pon»tife dans fes Lettres, ayant bien voulu abandonner fes propres Etats & la demeure délicieuse de l'Ile de Chypre pour fe confacrer à la défense » de la Terre Sainte, il est bien juste que des Prin»ces chrétiens fes voifins s'intereffent à la confer "vation de fa Couronne.

L'Histoire ne dit point ce que firent ces Princes; il ne paroît point non plus que les Templiers odieux aux Chypriots, & dont ils avoient été contraints d'abandonner la Souveraineté, ayent por té aucun fecours dans cette Ifle. Mais nous apprenons par les anciens mémoires des Hofpitaliers que le Roi de concert avec le Grand-Maître, choifit parmi eux plufieurs Chevaliers aufquels il confia le gouvernement de cet Etat, & qui y pafferent avec un corps de troupes, capable de prévenir & d'arrêter les mauvais deffeins des mé

contens. !..

Une révolution furprenante arrivée peu après dans l'Empire & à Conftantinople, attira encore dans cette Capitale un grand nombre d'Hospitaliers. Pour l'intelligence d'un évenement fi fingulier, il faut sçavoir que l'efprit des Croisades, malgré tant de mauvais fuccès dont nous avons parlé, regnoit toujours en France. Par la perfuafion & les difcours touchans du Curé de Neuilly,

LE RAT

un nombre infini de Princes, de Seigneurs & de GEOFROY Gentilshommes s'étoient croisez fous la conduite du Marquis de Montferrat, grand Capitaine, & frere du Prince du même nom, qui avoit fait une fi belle défenfe contre Saladin au fiége de Tyr. Il étoit question de faire paffer au Levant cette nouvelle armée de Croifez. L'experience avoit fait voir que le chemin par terre & au travers des Etats des Princes Grecs & Mahometans, étoit également difficile & dangereux. Pour éviter cet inconvenient, des députez des principaux Seigneurs croifez, eurent recours à Henry Dandol, Duc ou Doge de Venife, & ils lui propoferent, moyennant une fomme dont on conviendroit, & qui feroit payée d'avance, de fournir des vaisseaux pour porter leur armée à faint Jean d'Acre. Il fe fit à ce fujet une négociation suivie d'un traité folemnel; & moyennant 85000 marcs d'argent, la République s'engagea de passer dans la Syrie quatre mille Chevaliers ou Ecuyers, & vingt mille hommes de pied avec les armes, les vivres & les munitions neceffaires. Les Venitiens remplirent exactement toutes les conditions de ce traité, & outre qu'ils fournirent un bien plus grand nombre de vaiffeaux & de navires qu'ils ne s'y étoient obligez, pour ne pas paroître faire ce voyage comme de fimples paffagers, & pour avoir part au mérite de la Croisade, ils armerent à leurs dépens cinquante galeres chargées de bonnes troupes de débarquement, & le Doge, quoiqu'âgé de quatre-vingts ans, & qui avoit la vûe fort affoiblie, devoit monter la Capitane, &

GEOFROY faire le voyage en qualité de Croifé.

LE RAT.

Royale, ann. 1657.

Il ne manquoit plus pour mettre à la voile, que l'argent des Princes & des Seigneurs François; mais fouvent, & par des conjonctures qu'on n'a pû prévoir, il n'est pas fi aifé d'executer un traité que de le figner. Plufieurs François, pour s'épargner de payer leur part de la contribution dont i on étoit convenu, au lieu de fe rendre à Venife, s'étoient embarquez à Marseille & en differents Ports d'Italie, en forte que ce qui fe trouva à Venise de Princes & de Seigneurs à la tête de l'armée, après avoir vendu leur vaiffelle d'argent, leurs chaînes d'or, & jufqu'à leurs bagues, ne purent fournir que cinquante mille marcs d'argent; & faute des trente-cinq mille reftants, le traité & une fi fainte entreprise couroit rifque d'être rompue mais le zele du Doge, fa grandeur d'ame, & fon habileté fuppléa à tout, & on renoua la partie.

:

Quand on voit dans la relation de Geoffroi de Imprimerie Ville-hardouin la conduite de cet illuftre Doge, je ne fçai ce qu'on doit plus eftimer, ou fa profonde fageffe dans les Confeils, ou fon courage & fa capacité dans la conduite des armées, ou fon adresse & fon habileté infinie à ménager les efprits. Attentif aux interêts de fa patrie, & encore plus à fa gloire, pour concilier l'un & l'autre, & de concert avec le Grand Conseil de la République, il propofa aux Croifez de les décharger des 35 mille marcs reftants, fi après s'être embarquez, & avant que de quitter les mers de l'Europe, ils vouloient en paffant lui aider à reprendre en Dalmatie la

LE RAT.

ville de Sara qui étoit de l'ancien domaine de la GEOFROY République, & qui par un efprit de révolte, s'étoit foumife à la domination de Bela Roi de Hongrie. Une partie des Croifez, & fur-tout les Légats du Pape, des Princes & des Moines faifoient un grand fcrupule aux foldats d'employer contre des Chrétiens des armes deftinées contre les Infideles. Mais comme le paffage étoit impoffible fans la flotte des Venitiens, que la fédition & la révolte des habitans de Sara étoit même d'un dangereux exemple; & que d'ailleurs les Princes croifez pourroient même fervir à leur obtenir leur grace à des conditions fupportables, les propofitions du Doge furent acceptées. On mit à la voile, 12 02. & après une navigation favorable, on débarqua fur les côtes de la Dalmatie, & on fit le fiege de Sara. Devant une armée auffi confiderable, la Place ne put pas tenir long-tems; les habitans en ouvrirent les portes à leurs anciens Maîtres; mais cette diverfion ayant confommé la faison convenable au paffage dans la Palestine, il fallut fe réfoudre à hyverner dans la Dalmatie.

Les Croisez au retour du printems fe difpofoient à fe rembarquer, lorfqu'il leur arriva des Ambaffadeurs de la part du jeune Alexis Comnene, dont Philippe Duc de Suabe, & défigné Empereur d'Allemagne, avoit épousé la fœur appellée Irene. Le Prince Grec avoit envoyé ces Députez pour folliciter les Croisez, à l'exemple de ce qu'ils venoient d'entreprendre en faveur des Venitiens, de vouloir bien employer leurs armes pour rétablir fur le trône de Conftantinople l'Empereur

10 de No

vembre.

GEOFROY Ifaac Lange fon pere, auquel un autre Alexis, LERAT. frere de cet Empereur, avoit enlevé la Couronne, & qu'il retenoit enfermé dans un cachot, nouvel incident, & qui demande une plus ample explication.

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Nous avons dit en plufieurs endroits de cet ouvrage, & on le peut voir dans les Hiftoriens originaux, que l'ambition & la perfidie de la plûpart des Princes Grecs avoient fait du trône de Conftantinople le theatre des plus fanglantes tragédies. L'Empereur Manuel Comnene, ce Prince perfide, qui de concert avec les Infideles, avoit fait périr l'armée de l'Empereur Conrard III. étant mort après un affez long regne, laissa l'Empire à son fils, jeune Prince à peine âgé de treize ans, fiancé avec Anne ou Agnès de France, fille de Louis VII. Roi de France. Mais après trois mois de regne, fi on peut donner ce nom au gouvernement d'un fi jeune Prince, & gouverné luimême par le Prince Andronic fon oncle ou fon coufin, le perfide Andronic le fit étrangler, & s'empara de l'Empire.

Ifaac Lange de la même Maison des Comnenes, mais feulement du côté des femmes, fous prétexte de venger la mort du jeune Empereur, furprit le tyran, fe rendit maître de fa perfonne; & après l'avoir fait mourir dans les plus cruels fupplices, fe fit reconnoître pour Empereur. Il avoit déja regné pendant près de dix ans, lorfque fon frere appellé Alexis, & qu'il avoit racheté des prifons des Infideles, forma contre lui une dangereufe confpiration, le fit arrêter, & lui arracha les yeux

avec

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