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lexis, qui retenoit dans une dure prifon la princeffe Helene, fille de Guiscard, & femme de ConAtantin Ducas; que ces deux Princes Normands irritez de cette perfidie, & pour délivrer la Princeffe, avoient porté leurs armes dans la Thrace, taillé en pieces les armées d'Alexis, & qui l'auroient à fon tour déthrôné, fi d'autres interêts, aufquels ils avoient été obligez de ceder, ne les avoient rappellez pour un tems en Italie; mais que l'Empereur craignoit toujours que le coup de foudre, qui pouvoit le renverser du Thrône, ne partît de cette Maison.

Le Patriarche conclut de ce difcours que pour délivrer la Terre Sainte de la domination des Infideles, il ne falloit rien attendre des Grecs, & qu'il n'y avoit qu'une ligue des Princes Latins, qui pût venir à bout d'une fi difficile entreprise. Cette propofition étonna l'Hermite; mais fans ralentir fon zele, & quoiqu'il en prévît toutes les difficultez, il se flatta qu'avec le fecours & la protection du Pape, on les pourroit furmonter. Par fon confeil, le Patriarche en écrivit au chef de l'Eglife dans les termes les plus touchans. L'Hermite fe chargea de fes lettres, s'embarqua au port de Joppé ou de Jafa, arriva en Italie, présenta au fouverain Pontife les lettres du Patriarche, & lui expofa les larmes aux yeux le malheureux état où les Chrétiens de Jerufalem étoient réduits. Il ajouta que les Arabes ou Sarafins avoient bâti une Mosquée fur les ruines anciennes du fameux temple de Salomon; que l'Eglife fi refpectable du faint Sépulchre, fous la domination des Turcomans, étoit à

a

la veille d'une pareille profanation; que les femmes & les vierges chrétiennes étoient fouvent expofées à la brutalité de ces barbares, & que fi de jeunes garçons tomboient en leur pouvoir, ils avoient à craindre des infamies plus infuportables que la mort même; enfin que la Terre fainte, arrofée du précieux fang du Sauveur des hommes, étoit entierement réduite fous leur tyrannie. Cependant qu'il n'étoit pas impoffible de l'affranchir de cette honteufe fervitude, s'il daignoit engager dans une entreprise fi digne de fon zele & de fa pieté, la plupart des Princes de l'Europe.

Le Pape auquel l'Hermite s'adreffa, étoit Urbain II. François de naiffance, & né à Châtillon-furMarne. Quoique l'air & l'habit d'un fimple Hermite ne prévinffent pas en fa faveur, fa Sainteté ne laiffa pas de l'écouter avec bonté; & elle fut d'autant moins surprise de la grandeur de fon projet, que le Pape Gregoire VII.ce Pontife quife croyoit le Souverain des Rois, & dont les vaftes deffeins n'avoient point de bornes, avoit auffi formé celui d'obliger par fon autorité, tous les Princes Chrétiens à prendre les armes contre les Maliometans. Urbain, qui, après la mort de Victor III. venoit de lui fucceder, n'avoit pas moins de zéle : mais plus concerté dans ses vûes, il ne jugea pas à propos de fe déclarer, avant que d'avoir reconnu la disposition, & les forces des Princes de l'Europe. Une conduite auffi prudente étoit fondée fur le mécontentement que les Empereurs, & la plupart des Monarques de la Chrétienté, avoient fait paroître des prétentions odieufes de Grégoire, qui fous prétexte d'une

autorité

autorité fpirituelle, qu'on ne lui pouvoit difputer, avoit tenté de rendre tous les Souverains fes Tributaires & fes Vaffaux. Apparemment qu'Urbain comprit bien que dans une fi fâcheufe difpofition, où tout ce qui venoit de la Cour de Rome, pouvoit être fufpect d'une ambition fecrette, il ne devoit employer ouvertement fon nom&fon autorité pour faire prendre les armes aux Princes Chrétiens, fans en faire échouer le deffein. Ainfi il prit d'abord le parti d'en faire feulement recommander la néceffité & le mérite par des Prédicateurs. Dans cette vûe, ayant fait appeller l'Hermite, après avoir donné de grandes louanges à fon zéle, il l'exhorta de parcourir la plûpart des Provinces de la Chrétienté, d'exhorter les Souverains & leurs fujets à s'armer pour délivrer la Terre Sainte de la domination des Infideles; & le Souverain Pontife, en le congediant, lui fit entendre que fi fa Miffion avoit un heureux fuccès, on pourroit compter fur les trésors spirituels de l'Eglife, & même que de puiffans fecours de troupes & d'argent ne manqueroient pas à ceux qui s'engage roient dans une si sainte entreprise.

L'Hermite, après avoir reçu la benediction du. Souverain Pontife, parcourut en moins d'un an prefque toute l'Europe. Dans les lieux où il paffa, il mettoit tout en mouvement : les peintures touchantes qu'il faifoit de la profanation des Lieux Saints; fes exhortations vives & pathétiques; une longue barbe & négligée; des pieds nus, une vie auftere, une abstinence extrême, l'argent même qu'il ne recevoit que pour le répandre fur le champ dans le fein des pauvres, tout cela le faifoit re

garder comme un faint & comme un prophete, & les grands comme le peuple brûloient d'impatience de paffer à la Terre Sainte, pour venger JESUS-CHRIST des outrages des Infideles.

Le Pape averti d'un fuccès fi furprenant, résolut de fe déclarer: il convoqua dans la même an 1095. née deux Conciles, l'un à Plaisance en Italie l'autre à Clermont en Auvergne. Il fe trouva au Concile de Plaisance jufques à quatre mille Ecclefiaftiques, & plus de trente mille féculiers de differentes conditions; mais ce qui parut de plus extraordinaire, fut d'y voir ( depuis le schisme) des Ambassadeurs Grecs. L'Empereur Alexis Comnene les y avoit envoyez pour implorer le fecours des Latins contre les Turcomans, qui après s'être emparez de la ville de Nicée, menaçoient Calcedoine, & même Conftantinople d'un fiege. Le Pape prit occafion de cette ambaffade pour déplorer les malheurs de l'Orient, & fur-tout de la Palestine, qui étoit tombée fous la domination de ces barbares. Au récit que firent ces Ambaf fadeurs de leurs cruautez, toute l'Affemblée fre miffoit d'indignation & de colere: il s'éleva mille voix confufes, qui crioient qu'il falloit aller défendre leurs freres en Jesus-Chrift. Le Pape les -exhorta de se souvenir d'une fi genereufe réfolution, quand le tems feroit venu de la pouvoir

1095.

Executer.

Le même zele éclata dans le Concile de Cler4. Novemb. mont: il s'y trouva un grand nombre de Prélats, de Princes, de Seigneurs, la plûpart François, ou raffaux de la Couronne de France. Après un

difcours infiniment touchant, que fit le Pape pour porter les Chrétiens à aller délivrer la Terre Sainte de la domination des Mahometans, toute l'Affemblée s'écria comme de concert: DIEU LE VEUT, DIEU LE VEUT; & ces trois mots fervirent depuis dans l'armée de devise & de cri de guerre; & pour diftinguer ceux qui s'engageoient dans cette fainte entreprise, il fut ordonné qu'ils porteroient une Croix rouge fur l'épaule droite.

Le Concile ne fut pas plûtôt terminé, que les Evêques qui y avoient assisté, après être retournez dans leurs diocefes, commencerent à y prêcher la Croifade, & ils le firent avec un fi grand fuccès, que tout le monde vouloit prendre le chemin de l'Afie. Il fembloit qu'il n'y eût plusd'autre route pour aller au Ciel : c'étoit à qui partiroit le premier: Princes, Seigneurs, Gentilshommes,Bourgeois & Paysans, chacun quittoit avec joie ce qu'il avoit de plus cher, femme, enfans, pere & mere: tant il eft vrai que les hommes ne femblent faits que pour s'imiter les uns les autres.

A la verité tous ces Croifez n'étoient pas animez par le même motif: plufieurs ne paffoient en Orient que par des vûes d'interêt, & dans l'efperance de s'y établir. Il y en avoit qui ne s'enroloient dans cette fainte milice, que pour ne pas être foupçonnez de lâcheté; d'autres s'y enga geoient par legereté, par compagnie, & pour ne pàs quitter leurs parens & leurs amis. Des femmes même, pour n'être pas féparées de leurs amans; enfin le Moine & le reclus ennuyez de leurs cellules, le paysan las du travail, tous

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