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D &

GUARIN tre Prince Turc conduifoit un fecours confideraMONTAIGU. ble au Roi d'Armenie; & ce qui eft de plus déplorable, continue le fouverain Pontife, Safadin Sultan d'Egypte & de Damas, le plus puiffant des Infideles, a mis fur pied des armées nombreuses, fans fe déclarer encore en faveur d'aucun parti; & apparemment pour se prévaloir des évenemens, & établir fon Empire fur la ruine des uns & des autres.

Nous avons dit que du mariage contracté entre le jeune Boëmond fils aîné du Prince d'Antioche, & Alix fille de Rupin de la Montagne, il étoit forti un fils nommé auffi Rupin, qui après la mort du jeune Boëmond fon pere, & conformément au traité de paix fait avec Leon Roi d'Armenie fon grand oncle, avoit été reconnu par le vieux Boëmond fon ayeul, pour heritier préfomptif de ses Etats. Mais Raimond Comte de Tripoli, fecond fils du vieux Boëmond, prétendoit que la reprefentation ne devoit point avoir lieu, & que le droit de fucceder immediatement après la mort du Prince fon pere lui appartenoit, au préjudice de fon neveu: telles étoient les prétentions des deux partis.

Le Roi d'Armenie, quoiqu'élevé dans le schif. me, voyant ses Etats environnez par ceux des Princes Latins, sembloit s'être réuni avec l'Eglise Catholique. Il avoit écrit plufieurs fois au Pape pour déclarer qu'il reconnoiffoit fon autorité, & il avoit même obligé fon Patriarche, que les Arme nions appellent le Catholique, de faire de pareilles démarches. Mais, pour dire la verité, ces réunions n'étoient que paffageres, & la foumiffion apparente de ces Armeniens, ne duroit pas plus que le

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befoin qu'ils avoient de la protection du S. Siege. GUERIN Livron dans cette conjoncture renouvella fa pro- MONTAIGU. testation, & il fit en même tems de vives inftances auprès d'Innocent, pour le prier d'ordonner aux Templiers de ne s'oppofer pas davantage aux droits de fon neveu, & qu'ils euffent à fe conformer à la conduite des Hofpitaliers, qui, disoit-il, après avoir reconnu la juftice des prétentions du jeune Rupin, s'étoient déclarez en fa faveur. Ce Prince par une autre Lettre, prie le Pape d'interpofer fon autorité pour terminer à l'amiable cette grande affaire, & de vouloir bien nommer luimême des Juges fans partialité, parmi lesquels il le fupplie de choifir particulierement le Grand Maître des Hofpitaliers.

PREUVE

IV.

Pendant que ce differend s'agitoit à la Cour de 1209. Rome, Soliman de Roveniddin Sultan d'Iconium, de la race des Turcomans Selgeucides, à la follicitation du Comte de Tripoli, étoit entré dans l'Armenie, où il mettoit tout à feu & à fang. Leon en donna auffi-tôt avis au Pape; & ce Pontife, à fa priere, engagea les Hospitaliers à prendre la

défense de ses Etats. Le Grand Maître de Montaigu arma puissamment, le joignit, ils marcherent enfuite contre le Sultan, & après differens combats, & une bataille fanglante qui fut longtems difputée, le Prince Turcoman fut défait, fon armée taillée en pieces; & ce qui échappa l'épée du victorieux, eut bien de la peine à regagner la Bithinie avec le Sultan qui les commandoit.

Le Prince Armenien, foit par reconnoissance, ou pour engager encore plus étroitement les Hof

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pitaliers dans fes interêts, leur donna en propre MONTAIGU. la ville de Saleph avec les fortereffes du Châteauneuf & de Camard. Il adreffa l'acte de cette donation au Pape Innocent III. qui la confirma par fa Bulle en datte de l'an 13 de fon Pontificat. Le fouverain Pontife engagea depuis le Comte de Tripoli à convenir d'une tréve avec le Roy d'Armenie, & il ordonna à deux Legats qu'il tenoit en Orient, d'y contraindre la partie rebelle par toutes les voyes fpirituelles, & même d'employer le fecours & les armes des Hofpitaliers pour main. tenir la paix dans cette partie de la Chrétienté. Le Prince Rupin neveu de Livron, deux ans après, eut pareillement recours au Pape Honoré III. pour obtenir le fecours des armes des Hofpitaliers, comme on le peut voir dans le Bref de ce Pape. Ce n'étoit pas la premiere fois que les Papes s'étoient fervis en Orient des armes des Hofpitaliers contre les Princes qui ne fe croyoient pas en prife aux foudres du Vatican.

Ces Pontifes ne les employerent pas moins utilement dans le même tems contre les Maures & les Sarrafins d'Espagne, & Mahomet Enacér Miramolin Roi de Maroc étant entré dans la Caftille à la tête d'une armée formidable, Frere Guttiere d'Ermegilde, Prieur des Hofpitaliers de Caftille, fur les ordres qu'il en reçut de Rome & du Grand Maître, vint fe préfenter au Roi Alphonse VIII. à la tête d'un bon nombre de Chevaliers & des vaffaux de l'Ordre.

Roderic Archevêque de Tolede, parlant dans fon Histoire de ces foldats de Jefus-Chrift: Les

Freres

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Freres Militaires & Hofpitaliers, dit ce Prélat, tout GUERIN brulans de zele, ont pris en ce pays les armes pour MONTAIGU maintenir notre fainte Religion, & chaffer les Infideles des Efpagnes.

*

Un fameux Hofpitalier François, appellé Frere Guerin, Miniftre de Philippe Augufte, & General de fes armées, dans le même tems ne rendit pas des fervices moins importans à l'Eglife & à fa Patrie. Il s'étoit élevé dans ce Royaume une heresie dangereuse, qui, fous prétexte d'une spiritualité plus parfaite, sappoit les fondemens de la Religion. Un Clerc du Diocéfe de Chartres appellé Amaury, fubtil Logicien, en étoit l'auteur. Du moins Rigord, Hiftorien contemporain, prétend

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que les difciples de ce Docteur publioient que, comme les Loix de l'ancien Teftament données, disoient-ils, par le Pere Eternel, avoient été abolies par l'Evangile & par la nouvelle Loi de Jesus. Chrift; celle-ci devoit être fupprimée à fon tour par la Loi de charité, qui étoit l'ouvrage du Saint Efprit; que fous cette Loi de pur amour, la prati que des Sacremens étoit aufli peu neceffaire que celle des ceremonies légales de l'ancienne Loi." II ajoutoit que le Paradis & l'Enfer n'existoient que dans l'imagination des hommes; que le plaifir de faire de bonnes œuvres étoit le veritable Paradis, & que le crime & l'ignorance faifoient tout notre Enfer. Il n'exigeoit de fes Sectateurs pour toute prati que de Religion que l'amour feul de Dieu,dont le feu,,

* Fratres etiam militiæ Hófpitalis, qui fraternitatis caritati infiftentes. devote, zelo fidei, & Terræ Sanctæ neceffitate accenfi defenfionis gla dium affumpferunt. Hi fub uno priore Guterrrio Etmegildi. Roderic. Toletanus, t. 2. 8. c. 3. p. 13. de rebus Hifpanicis.

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le

GUERIN difoit-il, étoit capable de purifier l'adultere même. MONTAIGU Ces erreurs répandues par des gens d'esprit & éloquents, féduifirent un grand nombre de perfonnes, & fur-tout beaucoup de femmes toujours avides de la nouveauté. Le Frere Guerin de l'Or. dre des Hospitaliers de Saint Jean de Jerusalem, & qui fous le regne de Philippe Auguste, & de Louis VIII. fon fils, eut beaucoup de part dans gouvernement, employa fes foins & fon autorité pour arrêter les progrès de cette nouvelle fecte. Rigordus de Geftis Phi- C'étoit un des plus fçavans hommes de fon fiécle, lippi Au- & en même tems le plus grand Capitaine de fa gufti Franc. nation, & il n'étoit pas aifé de décider fi dans la Regis. pag. 208, ann. conduite de l'Etat, fa valeur l'emportoit für fa pieté & fur fa fageffe. Pendant la vacance de la dignité de Chancelier, le Roy l'avoit nommé pour en faire les fonctions. La Chancellerie vacante, dit l'Historien du tems, ce fage Ministre fit punir les principaux Chefs de ces fanatiques: il y en ent plufieurs qui reconnurent leur erreur, & les plus opiniâtres allerent fe joindre aux Albigeois,

1209.

Hault.confors aviez ou bon vefque Garin

Par Deu & par fon fens euftes moult d'amis,
Prondom fu, & l'Ajax fçachiés certainement,
Bien le fçeut votre peres qui l'ama durement,
Moult fu de haut confeil, & de tous biens fu plains,
Et ere bien entechiez de loyal cuer certains
Puis le tens Charlemaine qui fu un Arcevelques,
Qu'en apela Turpin, ne fut fi bon Evefques
Volontiers effauçoit l'onor de fainte Eglife,
Sire, & les vos droits gardoit il fans faintife.
Moult l'ama li bons Rois qui Felipes ot non,
Et après votre peres qui Dex face pardon,
Et la bone Roine l'amoit & tenoit chier,
Qu'en votre cort n'avoit nul meillor Confeiller.
Joinville, p. 16s, dans le Sermon de Robert de Sainceriaux.

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