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aux Romains, dont le vaste Empire avoit englouti les plus puiffans Etats de notre Continent. Mais après la mort du grand Theodofe, cet Empire fi 395. redoutable commença à déchoir de fa puissance, foit par les incurfions des Barbares, foit peut-être auffi par le partage & le démembrement, qu'en firent les Empereurs Arcadius & Honorius ses enfans, Princes foibles, de peu d'efprit, qui ne fai foient que prêter leurs noms aux affaires de leur regne, & l'un & l'autre gouvernez par des Miniftres imperieux, qui s'étoient rendus les tyrans de leurs

Maîtres.

La plupart des Empereurs d'Orient fucceffeurs d'Arcadius, ou dans la crainte d'être détrônez par des ufurpateurs, ou ufurpateurs eux-mêmes, cherchoient moins la gloire que donnent les armes, & à réprimer les courses des Barbares, qu'à se maintenir feulement fur le Trône. Toujours en garde contre leurs propres fujers, ils n'ofoient fortir de la Capitale de l'Empire, & du fond de leur Palais; de peur que quelque rebelle ne s'en emparât; & ils bornoient toute leur felicité à jouir dans une oifiveté fuperbe des charmes de la fouveraine puissance. Il ne faloit plus chercher fous la pourpre ces fameux Cefars, les maîtres du monde: ces derniers n'en avoient que le nom ; & la majefté de l'Empire ne paroiffoit plus que dans de vains ornemens, dont ils couvroient leur foibleffe & leur lâcheté.

La Religion n'avoit pas moins fouffert que l'Etat, d'un fi mauvais gouvernement. L'Orient étoit alors infecté de differentes herefies, que l'efprit vif & trop subtil des Grecs avoit fait naître.

Des Evêques & des Moines, pour avoir voulu expliquer d'une maniere trop humaine les differens mysteres de l'Incarnation, s'étoient égarez; & pour comble de malheur, ils avoient fçu engager dans leur parti plufieurs Empereurs, qui au lieu de s'opofer aux incurfions des Barbares, ne croyoient point avoir d'autres ennemis, que ceux qui l'étoient de leurs erreurs.

Cependant au milieu de tant de defordres, l'Empire fe foutenoit encore par le poids de fa propre grandeur, & au commencement du feptiéme fiecle Ï'Empereur Heraclius avoit remporté quelques avantages fur les Scites, & fur les Perfes. Mais pendant que ce Prince étoit aux mains avec ces Barbares, & qu'il vangeoit l'Empire de leurs ravages, l'Arabie vit fortir de fes deferts.un de ces hommes remuans & ambitieux, qui ne semblent nez que pour changer la face de l'Univers, & dont les Sectateurs, après avoir enlevé aux Grecs les plus belles Provinces de l'Orient, porterent enfin les derniers coups à cet Empire, & l'enfevelirent fous fes pro

pres ruines.

On voit affez que je veux parler de Mahomet, le plus habile & le plus dangereux impofteur qui eût encore parû dans l'Afie. Il étoit né vers la fin 568. ou 571. du sixiéme fiecle à la Mecque, ville de l'Arabie Petrée, de parens idolâtres de la Tribu des Corashittes ou Corifiens, la plus noble de cette Nation, & qui fe vantoit, comme la plupart des Arabes, d'être issue d'Abraham par Cedar, fils d'Ismaël. Le Abdollah. pere de Mahomet par fa mort l'avoit laiffé de bon

ne heure orphelin & même fans biens. Un de fes

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oncles fe chargea de fon éducation, & pendant plu- Abu-taleb. fieurs années l'employa dans le commerce. Il paffa enfuite au service d'une riche veuve appellée Cadigha, qui le prit d'abord pour fon facteur, & depuis pour fon mari. Un mariage fi avantageux, & où il n'eût ofé porter fes efperances, les grands biens de fa femme, & qu'il augmenta encore par fon habileté, lui firent naître des pensées de grandeur & d'indépendance. Son ambition crût avec fa fortune, & à peine forti d'une condition servile, des richeffes fans domination ne furent plus capables de remplir ses defirs, & il osa aspirer à la fouveraineté de fon pays.

Parmi les differens moyens qui fe présenterent à son esprit, aucun ne lui parut plus convenable que l'établissement d'une nouvelle Religion, machine dont bien des impofteurs avant lui s'étoient déja fervis. Il y avoit dans l'Arabie des Idolâtres, des Juifs, & des Chrétiens Catholiques & Schifmatiques. Les habitans de la Mecque étoient tous Idolâtres, & fi ignorans, qu'à l'exception d'un feul, Varaxa. qui avoit voyagé, il n'y en avoit aucun qui fçût lire ni écrire. Cette ignorance & cette diversité de culte parurent favorables à Mahomet; & quoiqu'il ne fût pas plus fçavant que ses concitoyens ; qu'il ne fçût ni lire ni écrire, & même qu'il paffât pour un homme peu reglé dans fes mœurs, laiffa pas de former le hardi deffein de s'ériger en Prophete dans fon propre pays, & à la vûe des té

moins de fon incontinence.

il ne

Mais comme ce passage d'une vie voluptueuse à une communication fi intime avec le ciel, n'eût

3. 4.

pas été crû facilement, fous prétexte d'un chans gement entier dans fes mœurs, il rompit avec lecompagnons & les miniftres de fes plaisirs ; & pour fe donner un plus grand air de réforme, l'hypocrite, pendant deux ans entiers, fe retiroit fouvent dans une grotte du mont Hira, fitué à une lieue de la Mecque, où il ne s'occupoit que de l'exécution de fon projet. Au bout de ce terme, & fous prétexte de fe débaraffer des preffantes inftances, que fa femme lui faifoit pour le retirer d'un genre de vie fi triste, il lui fit une fauffe confidence de prétendues révélations, qu'il difoit avoir reçu du Ciel par le ministere d'un de ces Efprits du premier ordre, qu'il appelloit l'Ange Gabriel. L'adroit impofteur tourna même des accès d'épilepfie, aufquels il devint fujet, en des extafes qui lui étoient caufées, difoit-il, par l'apparition de ce Miniftre celefte, dont il ne pouvoit foutenir la préfence; & pour répandre infenfiblement dans le public le bruit de ces révelations, il en confia fous un grand fecret le myftere à sa femme. La qualité de femme de Prophete flatoit trop fa vanité, pour la tenir cachée. Cadigha courut en faire part à fes meilleures amies, ce ne fut plus bientôt un secret; Mahomet l'avoit bien prévû. Il s'en ouvrit depuis à quelques citoyens de la Mecque, qu'il crut auffi aifez à perfuader, & qu'il féduifit par fon adresse & fon habileté,

Liv.1.c.1. Si nous en croyons Elmacin Hiftorien Arabe, Hotting.hift. Orient. L. 2. Mahomet avoit l'air noble, le regard doux & modefte, l'efprit fouple & adroit, l'abord civil & caref fant, & la converfation infinuante. D'ailleurs il ne lui manquoit aucune des qualitez neceffaires dans

pour

un chef de parti: liberal jusqu'à la profusion, vif pour connoître les hommes, juste pour les mettre en ufage felon leurs talens, toute la délicateffe agir fans se laisser jamais appercevoir; & il fit paroître depuis dans la conduite de fes deffeins une fermeté & un courage fuperieur aux plus grands périls. Bien-tôt foutenu par quelques difciples, il ne fit plus myftere de fa doctrine, & prenant de luimême fa miffion, il s'érigea en Prédicateur; quoique fans aucun fond de fcience, il fe faifoit écouter par la pureté de fon langage, & la noblesse & le tour de fes expreffions. Il excelloit fur-tout dans une certaine éloquence orientale, qui confiftoit dans des paraboles & des allégories, dont il enveloppoit fes difcours.

Mais comme il n'ignoroit pas, qu'en matiere de Religion, tout ce qui paroît nouveau est toujours fufpect, il publia qu'il prétendoit moins en fonder une nouvelle, que de faire revivre les anciennes loix, que Dieu avoit données aux hommes, épurer ces loix divines des fables & des fuperftitions qu'ils y avoient mêlées depuis. Il ajoutoit que Moïfe, & Jefus fils de Marie, leur avoient à la vérité annoncé fucceffivement une fainte doctrine, & que ces deux grands Prophetes, difoit-il, avoient autorisée par des miracles éclatans; mais que les Juifs & les Chrétiens l'avoient également alterée & corrompue par des traditions humaines : qu'enfin, Dieu l'avoit envoyé comme fon dernier Prophete, & plus grand que Moyfe & Jefus, pour purifier la Religion des fables, que les hommes, fous le nom de Myfteres, y avoient introduites, & pour réduire,

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