Imágenes de páginas
PDF
EPUB

DE

GUERIN ceder la Couronne. Le Pape fut médiateur de cette MONTAIGU grande affaire : l'interêt de ces Pontifes étoit d'éloi gner de l'Europe, & sur-tout de l'Italie, ceux qui en étoient les Souverains. Le voyage & la résidence de l'Empereur en Afie le débarraffoit de la préfence d'un Prince puiffant, & qui ne vouloit rien relâcher de fon autorité fouveraine; ainfi trouvant fon interêt dans l'éloignement de Frederic, & pour adoucir aux yeux de Brienne, ce qu'un procedé fi dur avoit d'odieux, il lui représenta qu'un Prince auffi puiffant que Frederic,défendroit la Terre Sainte avec bien plus de zele & de chaleur, & qu'il feroit de bien plus puiffans efforts s'il combattoit pour fes propres interêts, que s'il ne s'agiffoit que de défendre une Couronne qu'il verroit fur la tête d'un autre, & dont même il n'envisageroit la fucceffion que dans un grand éloignement. Jean de Brienne confentit à ce qu'il ne pouvoit empêcher.

Le Pape ne manqua pas de faire part enfuite, de cette nouvelle difpofition à la plupart des Souverains de l'Europe pour lui fervir comme de té moins de l'engagement que prenoit l'Empereur. L'ancien Roi de Jerufalem & le Grand Maître des Hofpitaliers parcoururent enfuite la France, l'ELpagne, l'Angleterre & l'Allemagne pour en tirer du fecours. La France fournit fur le champ tout l'argent que Philippe Augufte avoit legué par fon teftament pour une fi fainte entreprise. Thibaud Comte de Champagne, & Roi de Navarre, auquel fe joignit Pierre de Dreux auparavant Comte de Bretagne, & differens Seigneurs François, Richard Comte de Cornuailles, frere de Henry III. Roi

DE

d'Angleterre, & un grand nombre de Gentils GUERIN hommes Anglois se croiserent; mais la plûpart ne MONTAIGU partirent pour la terre Sainte qu'en differens tems. L'Empereur les avoit fait préceder par fes Lieutenans à la tête de puiffans corps de troupes, en attendant, difoit-il, qu'il y pût aller en perfonne. Mais comme la Palestine étoit alors privée de la présence de fon Roi, & fans un Chef affez autorifé, la plupart de ces fecours devenoient inutiles par les differentes vûes des Commandans. Il n'y avoit point de deffein fuivi; l'un faifoit une tréve avec les Infideles, & l'autre la rompoit fans égard au tort qu'une pareille conduite faifoit aux affaires & à la réputation des Chrétiens. Les Ordres militaires étoient même toujours divisez; chacun ne tendoit qu'à fes fins; & quand le Grand Maître des Hofpitaliers fut de retour à S. Jean d'Acre; il trouva la Palestine prefque fans gouvernement, & privée de ce lien fi neceffaire dans la focieté civile, & qui en fait concourir tous les membres au bien commun de l'Etat.

Le Comte de Tripoli Prince feroce & entreprenant, s'étoit prévalu de fon absence pour s'emparer de differens châteaux qui appartenoient à l'Ordre, ou dont ils avoient la garde. * Il prit encore une maison qu'ils avoient à Tripoli où il fit écorcher tout vif'un de ces Chevaliers, & poignarder un autre qui s'oppofoit à ces violences. Le Grand Maître à fon retour lui demanda raison de ces

*Domum ipfam quam ipfi habent apud Tripolim capiens violenter, rabie concitatus diabolica, unum ex ipfis excoriari, & alium, ut dicitur, occidi fecit, præter id quod quibufdam eorum crudeliter & inhonefte tractatis damna eis gravia & injurias irrogavit. Rainaldi 10m, 13. 1226, num. 55, 56, 57, p. 638 & 639.

DE

GUERIN cruautez; mais n'en ayant pû obtenir justice, il MONTAIGU en écrivit au Pape qui employa inutilement auprès du Comte fes remontrances & fes offices. Il fallut que le fouverain Pontife en vînt jusqu'à l'excommunier fans le pouvoir fléchir. Pour lors le Grand Maître avec la permiffion du Pape, étant entré dans les Etats du Comte à la tête des Hofpitaliers, la vûe de ces troupes fit plus d'impreffion fur ce Prince cruel & farouche, que tous les foudres du Vatican. Raimond fit une fatisfaction convenable à l'Ordre pour tant de violences, rendit tout ce qu'il avoit ufurpé. Le Grand Maître, à la priere du Pape jetta une partie de fes forces dans l'Ifle de Chypre fous prétexte que les côtes en étoient fouvent infeftées par des Corfaires. Mais le veritable motif étoit d'empêcher en même tems que Raimond Prince d'Antioche qui avoit épousé la Reine. Sanut, Liv. 3. Alix veuve du Roi Hugues ne s'emparât de cet Etat au préjudice de Henri qui étoit encore mineur.

G 10. p. 221.

1225.

L'Empereur étant occupé en Lombardie contre des villes rebelles qui avoient fait une ligue pour se fouftraire à fon autorité, demanda au fouverain Pontife un délai de deux ans pour fon voyage de la Terre Sainte. Le Pape le lui accorda aux conditions fuivantes; Que dans le terme des deux ans. finissant au mois d'Aouft, il y pafferoit en perfonne; Que pendant les deux années fuivantes, il y entretiendroit deux mille Chevaliers; Qu'en. trois fois differentes il feroit les frais du paffage: en faveur de deux mille autres Chevaliers avec leurs équipages à trois chevaux par Chevalier;, Qu'il tiendroit dans le port de S. Jean d'Acre cinquante

DE

quante Galeres bien équipées; Qu'il dépoferoit GUERIN
entre les mains de Jean de Brienne, du Patriarche MONTAIGO
& du Maître de l'Ordre des Teutoniques cent
mille onces d'or pour les frais de cet armement;

& que
s'il arrivoit que Dieu difposât de lui avant
qu'il eût pu paffer à la Terre Sainte, ou que fon
voyage fût differé, on employeroit cette grande
fomme, fuivant l'avis des Grands Maîtres des
Hofpitalers & des Templiers: toutes conditions
aufquelles l'Empereur fe foumit, comme il pa-
roît dans le diplome de ce Prince rapporté par
Rainaldi. *

Ce Prince ayant obtenu le délai qu'il avoit demandé, l'employa de bonne foi à faire des préparatifs convenables à une fi grande entreprise. On arma par fon ordre dans les ports des Royaumes de Naples & de Sicile jufqu'à cent galeres & cinquante vaiffeaux, & plufieurs Princes d'Allemagne, & un nombre infini de Croisez se rendirent å Brindes. Enfin dans le terme dont l'Empereur étoit convenu avec le Pape, il s'embarqua à la miAouft de l'année 1227 avec une flotte qui por toit près de quarante mille hommes. L'Empereur après trois jours de navigation, tomba malade auffi-bien que plufieurs Princes & Seigneurs de la Cour, & entr'autres le Lantgrave de Heffe. La maladie de ce Lantgrave devenant périlleufe, les

* Et fi nos, quod Deus avertat, in terra illa vel citrà ante paffagium memoratum obire contigerit, vel aliàs quacumque de caufa forfitan non tranfierimus,Rex & Patriarcha, & Magifter Domûs Teutonicorum ad laudem & confilium Magiftrorum Hofpitalis & Templi, ac aliorum proborum hominum de terra expendent eamdem pecupiam bonâ fide ficut me-liùs viderint expedire utilitati Terræ Sanctæ. Rainald, tom. 13. ad ann. 1225. num. 4. page 347.

DE

monie

GUERIN Médecins crurent que l'air de la terre feroit plus MONTAIGU. favorable aux malades, que tous les remedes de leur art: on débarqua dans le port de Tarente où le Lantgrave mourut laissant veuve son épouse Elifabeth fille d'André Roi d'Hongrie, Princeffe âgée feulement de vingt ans, & d'une grande vertu. L'Empereur en fut quitte pour quelques accès de févre, mais le Pape Gregoire IX. qui venoit de fucceder à Honoré III. Pontife qui traitoit les Souverains avec hauteur, perfuadé malgré la mort du Lantgrave que la maladie de l'Empereur étoit feinte, l'excommunia folemnellement dans la grande Eglife d'Anagni où il se trouvoit alors. Le fouverain Pontife fit préceder cette funeste cerepar un fermon où il prit pour texte ces paroles de l'Evangile : Il est néceffaire qu'il arrive des Scandales ; & s'étant fort étendu fur la victoire que S. Michel avoit remportée fur le dragon, il tomba tout court fur l'excommunication qu'il alloit fulminer contre l'Empereur. Je rapporte cet échan tillon du ftile de ce Pape, parceque le stile fait fouvent connoître l'efprit & le caractere de chaque fiecle. Gregoire écrivit enfuite une Lettre circulaire à tous les Evêques, pour leur faire part de la severité qu'il avoit crû devoir observer à l'égard de ce Prince. Il avoit pris, dit-il dans cette Lettre, pour dernier terme de fon départ le mois d'Aouft de l'année 1227; & à peine a-il tenu la mer pendant quelques jours, que fous prétexte de maladie, il a débarqué, & eft retourné pour jouir à l'ordinaire d'une vie oifive. Ce Pontife écrivant en particulier aux Evêques de la Pouille, leur dit;

« AnteriorContinuar »