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Tous les Pelerins étoient admis dans l'Hôpital de Saint Jean fans distinction du Grec & du Latin; les Infideles même y recevoient l'aumône, & tous les habitans de quelque religion qu'ils fuffent, ne regardoient l'Adminiftrateur de l'Hôpital que comme le pere commun de tous les pauvres de la Ville.

Ce fut cette eftime generale, & la crainte qu'il ne s'en servît en faveur des affiegeans, qui porta le Gouverneur à le faire arrêter. Ce Commandant, pour rendre le fiege plus difficile, fit combler les puits & les citernes jufqu'à cinq ou fix milles aux environs de la Place: il fit razer en même tems les fauxbourgs, & brûler tous les bois des maisons dont on eût pû se servir pour conftruire des machines de guerre. Toutes ces précautions, les fortifications de la Place, une nombreuse garnifon, n'empêcherent point les Chrétiens d'en former le fiege.

Cette Ville une des plus belles de l'Orient, & à jamais celebre par les myfteres de notre rédemption qui s'y étoient accomplis, avoit fouffert differentes révolutions. Perfonne n'ignore toutes les horreurs de ce fiege où commandoit Tite, fils de Vefpafien, qui, fans le fçavoir, accomplit les propheties. Le Temple fut détruit jufqu'aux fondemens malgré le Vainqueur même. L'Empereur Adrien, après l'avoir encore ruinée une feconde fois, la rebâtit depuis; mais il lui donna moins d'étendue, & en changea même le nom en celui d'Elia, parcequ'il s'appelloit Elius. Jerufalem reprit fon nom & fa premiere gloire

fous Constantin premier Empereur Chrétien. Cofroés petit fils d'un autre Cofroés Roy des Perfes, fous l'Empire de Phocas, désola de nouveau la Sainte Cité; trente mille habitans pafferent par le fil de l'épée, & l'Eglife fi celebre du Saint Sépulche fut détruite. Heraclius fucceffeur de Phocas reprit Jerufalem, & en fit rebâtir les Eglifes. Le Calife Omar, comme nous l'avons dit, s'empara de cette Place vers le milieu du feptiéme fiecle, & il y avoit près de quatre cens ans que les Sarazins Mahomérans en étoient les maîtres, quand les Turcomans les en chafferent. Le Sultan d'Egypte l'avoit reprise pendant le fiege d'Antioche. Celui que les Croifez mirent devant Jerufalem ne dura que cinq femaines; Godefroi de Bouillon fe jetta le premier dans la Ville par le moyen d'une Tour de bois qu'il fit approcher des murailles. Le Comte de Toulouze qui commandoit à une autre attaque eut le même avantage; toute l'armée entra en foule dans la Ville; on paffa 5 de Juillet. au fil de l'épée non-feulement ceux qu'on trouva en défense, mais encore ceux qui avoient mis les Chriftiani armes bas. Plus de dix mille habitans ausquels cum paganis, même on avoit promis quartier, furent depuis massacrez de fang froid; on tuoit impitoyableconferto,tanta in eos cade ment les enfans à la mamelle, & dans les bras de debacchati leurs meres; tout nageoit dans le fang, & les vainSanguine oc- queurs fatiguez du carnage en avoient horreur ciforum equi- eux-mêmes.

1099.

quinto bello

funt, ut in

tarint ufque

ad genua e

Cette fureur militaire ceffa enfin, & fit place quorum.Sig. des fentimens plus chrétiens; les Chefs, après avoir

Gemblac.

P. 611. pris les précautions neceffaires pour la fûreté de

leur conquefte, quitterent les armes, & fuivis de leurs foldats, & les pieds nuds allerent se profterner devant le Saint Sépulchre. On n'entendoit dans ce lieu faint que fanglots & foupirs; c'étoit un fpectacle très touchant de voir avec quelle dévotion les Croisez visitoient & baifoient les vestiges des fouffrances du Sauveur; & ce qui n'est pas moins surprenant, c'est que ces larmes & ces fentimens de piété partoient de ces mêmes foldats, qui un moment auparavant venoient de s'abandonner à des cruautez affreuses: tant il eft vrai que les hommes fe conduisent souvent par des principes tout oppofez.

Le lendemain les Evêques & les Prêtres offrirent dans les Eglises le faint Sacrifice pour rendre graces à Dieu d'un fi heureux évenement. On en donna auffi-tôt avis au Pape Pafchal II. qui étoit alors fur la Chaire de Saint Pierre, & on ordonna de celebrer tous les ans à perpetuité le jour de cette réduction par une une Fête folemnelle.

De ces devoirs de religion, on passa ensuite aux foins du Gouvernement. Les Princes & les Seigneurs s'affemblerent pour décider auquel d'entr'eux on remettroit la Souveraineté de cette Conquête. Chacun felon fon inclination ou fes interefts propofa differents Sujets pour remplir cette grande place. Les uns nommerent Raimond, Comte de Toulouze; d'autres Robert, Duc de Normandie; mais enfin prefque tous les fuffrase réunirent en faveur de Godefroy de Bouillon, Prince encore plus illuftre par fa piété que

ges

par fa rare valeur. Les Croifez le conduifirent fo

PREUVE V.

lemnellement à l'Eglise du Saint Sépulchre pour y être couronné. Mais dans la cérémonie de cette inauguration, le religiuex Prince refufa une couronne d'or qu'on lui préfentoit, & il protesta hautement qu'on ne verroit point fur fa tête une riche couronne dans une Ville où le Sauveur des hommes avoit été couronné avec des épines. Il refusa même abfolument l'augufte titre de Roi, & il ne prit que la fimple qualité d'AvoUE', ou de Défenfeur du Saint Sépulchre.

Cependant le Général du Calife d'Egypte, qui ignoroit la prise de Jerufalem, marchoit à la tête de fon armée pour en faire lever le fiege. Godefroi le prévint, s'avança audevant de lui, le rencontra à la fortie des deferts qui féparent la Paleftine de l'Egyte, le batit & mit fon armée en fuite. En reconnoiflance & pour memoire de cette nou velle victoire, il fonda dans l'Eglife du S. Sépulchre unChapitre de Chanoines Latins: il en fonda encore un autre quelque tems après dans l'Eglife du Tem; ple, qui fervoit auparavant de Mosquée aux Infideles ; & ces Chanoines dans l'une & l'autre Eglife fuivoient la Regle de faint Auguftin, ainsi que le rapporte dans fon Hiftoire le Cardinal Jacques de Chap. so. Vitri, Evêque d'Acre, Auteur qu'on doit regarder à l'égard des affaires de l'Orient comme Historien original.

Le Prince vifita enfuite la Maison Hospitaliere de faint Jean, la premiere que les Chrétiens Latins euffent eue dans la Ville de Jerufalem. Il y fut reçu par le pieux Gerard & par les autres Adminiftrateurs fes confreres, & il y trouva un grand

nombre de Croisez qui avoient été blessez pendant le fiege, & qu'on y avoit portez après la prise de cette Place: tous fe louoient également de la grande charité de nos Hofpitaliers, qui n'épargnoient aucuns foins pour leur foulagement.

Le Cardinal de Vitri rapporte que le pain de ces Hofpitaliers n'étoit prefque fait que de fon & de farine la plus groffiere, pendant qu'ils réfervoient la partie la plus pure pour la nourriture des blessez & des malades; circonftance à la verité petite, fi cependant quelque chofe le peut être de tout ce qui part d'un grand fond de charité.

Plufieurs jeunes Gentilshommes qui venoient d'en faire une heureuse experience, renoncerent au retour dans leur patrie, & fe confacrerent dans la Maison de Saint Jean au service des pauvres & des pelerins. On compte parmi ces illuftres Croifez qui prirent l'Habit des Hofpitaliers, Raimond Dupuy, de la Province de Dauphiné; Dudon de Comps, de la même Province; Gastus ou Castus, de la Ville de Berdeiz; Conon de Montaigu, de la Province d'Auvergne, & beaucoup d'au

tres.

Quoique Godefroi perdît dans ces Gentilshommes des guerriers dont il avoit tiré de grands services, il ne laiffa pas d'en voir le changement avec joye, & peut-être même avec une pieuse envie. Mais fi l'intereft, & la confervation de Jerusalem le retint à la tête de l'armée, voulut au moins contribuer à l'entretien de la Maifon de Saint Jean, & il y attacha la Seigneu rie de Montboire avec toutes les dépendances,

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