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L'an 1097.

aux Syriens & aux Arméniens étoit caufe que plufieurs Turcs entroient dans le camp comme Chrétiens, pour s'informer de Apr. J. C. tout ce qui se paffoit, & en rendre compte à Baghi-sian. Afin Redouan. d'empêcher ce défordre Boëmond fit égorger quelques Turcs Dekak. qui étoient prifonniers, & les fit enfuite rôtir, publiant partout qu'il les deftinoit pour fa table. Les Turcs épouvantés & croyant que ces Chrétiens mangeoient des hommes, ne furent plus fi empreffés à venir dans le camp.

Le Khalif d'Egypte nommé Moftaali, ennemi par religion des Turcs & du Khalif de Bagdad, & qui appréhendoit alors que tous ces Turcs difperfés dans la Syrie ne devinffent trop puiffans, étoit bien aise qu'ils fuffent affoiblis par les Francs: en conféquence, il envoya à ceux-ci des Ambaffadeurs pour les engager à continuer le fiége d'Antioche, & offrit même de les fecourir. Il ne confidéroit pas alors que le plus fort de l'orage devoit tomber dans la fuite fur fes Etats. D'un autre côté, Baghi-fian voyant que la faim le froid & les fatigues ne découragoient point les Croisés fit demander du secours aux Princes voifins, qui avoient également intérêt que les Francs n'entraffent pas dans la Syrie. Il partit auffi-tôt d'Alep, de Céfarée, d'Hama, d'Hemeffe & d'Hierapolis ou Manbedge un corps de vingt mille hommes qui devoit profiter d'une fortie que feroient les affiégés, pour entrer dans Antioche. Ils cacherent leur marche, & vinrent camper à Harem éloignée d'Antioche de quatre milles. Les Francs, inftruits de leur arrivée, firent un détachement de fept cens hommes qui furprit les Turcs à la pointe du jour ceux-ci fe mirent en bataille & fondirent fur les Chrétiens qui les reçurent la lance à la main, les repoufferent jufques dans un angle formé par un lac & une riviere; les Turcs fe fauverent comme ils purent; les Francs en tuerent un très-grand nombre, & les poursuivirent jufqu'à Harem éloignée de dix milles du champ de bataille. Les habitans de Harem à la vue des Francs, mirent le feu à la ville, prirent la fuite, & les Arméniens & les autres Chrétiens s'emparerent de la place qu'ils livrerent aux Croisés. Les Turcs perdirent dans cette action (a) environ deux mille (a) Cet événement arriva le 7 de Février de l'an 10978

Tom. II. Part. II,

M

Apr. J. C.

hommes. Les Francs revinrent devant Antioche chargés de L'an 1997. dépouilles, & conduifant avec eux mille chevaux dont ils Redouan. avoient un grand befoin.

Dekak.

pour

Les affiégés attendoient toujours le fecours de Harem;
les Francs leur firent perdre bientôt cette efpérance en
Jeur lançant deux cens têtes de ces Turcs, & en en faisant
planter trois cens autres fur des pieux au pied des murailles
de la ville; enfuite pour continuer le fiége avec plus de
fûreté, ils firent bâtir une fortereffe fur une colline des
environs. Il y avoit cinq mois qu'ils tenoient cette place
affiégée lorsqu'ils apprirent que plufieurs vaiffeaux Genois
étoient arrivés à l'embouchure de l'Oronte: ils envoyerent
quelques détachemens pour efcorter ces fecours; mais les
ennemis ne cefferent de les inquiéter. Boëmond & le Comte
de Touloufe, obligés de marcher en perfonne, furent furpris
par les Turcs qui s'étoient placés au nombre de quatre
mille dans un défilé. Les Chrétiens chargés de bagages,
arprès quelques efforts, fe débanderent & prirent la fuite,
& tout ce convoi fut diffipé avec une perte confidérable
pour les Croifés. Godefroi, Robert Comte de Normandie,
le Comte de Flandres, Hugues le Grand & les autres Chefs
coururent au fecours des Chrétiens difperfés; alors Baghi-
fian fit mettre toutes fes troupes fous les armes, & vint cam-
per à la
porte du pont pour recevoir fes Turcs, mais le Duc
de Lorraine qui s'étoit emparé d'une éminence voifine pen-
dant l'action, tuoit tous ceux qui paroiffoient, ou les obli-
geoit à retourner fur leurs pas. Baghi-fian crut devoir fer-
mer les portes, afin de ne laiffer à fes gens d'autre espé-
rance de falut que dans la victoire. Les Turcs ne purent
réfifter, & furent prefque tout paffés au fil de l'épée, à la
vûe des affiégés qui regardoient l'action du haut de leurs
murailles. Baghi-fian reconnut fa faute, & fit rouvrir les portes
pour fauver le refte. Les Turcs s'y jetterent en foule, plu-
fieurs furent étouffés ou précipités dans le fleuve. C'eft dans
cette action que le Duc de Lorraine d'un coup de fabre
coupa un cavalier par le milieu du corps, toute la partie
fupérieure jufqu'à l'eftomac tomba à terre, le refte du tronc
avec les cuiffes & les jambes refta fur le cheval qui rentra

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dans la ville & y porta l'horreur & la défolation. Les Turcs
perdirent deux mille hommes, & Antioche étoit prise fans Apr. J. C.
la nuit qui fit ceffer le combat.

L'an 1097.
Redouan.

& firent Dekak.

Les Princes Croifés continuerent les travaux, & firent élever une fortereffe à la tête d'un pont auprès duquel il y avoit une mosquée & un cimetiere; les Turcs avoient paffé la nuit à enterrer dans cet endroit leurs morts; & la populace de l'armée Chrétienne avoit été rouvrir ces tombeaux pour s'emparer de toutes les chofes précieufes qu'on y met¬ toit. Le Comte de Toulouse avec cinq cens hommes, eut la garde de cette fortereffe; les Turcs n'avoient plus de fortie libre que par la porte d'Occident qui étoit entre la montagne & l'Öronte, par-là ils faifoient entrer leurs convois, on réfolut d'y élever un fort; Tancrede fe chargea de l'exécution & en vint à bout. La ville fermée de toutes parts commença à fentir la difette, pendant que les Chrétiens recevoient par mer des provifions en abondance. On apprit alors que le Sulthan de Perfe envoyoit une armée formidable au fecours d'Antioche. Cette nouvelle découragea les Francs; Etienne Comte de Chartres profita d'une maladie qu'il avoit, pour fe retirer dans la Cilicie, en attendant cet évenement; plus de quatre mille hommes des fiens le fuivirent. Les Princes Croifés qui alloient fe trouver dans un plus grand befoin de fecours, réfolurent unanimement de défendre à qui que ce foit de fortir du camp fans permillion.

Anne Com

Dès le commencement du fiégé le Prince Boëmond avoit Guillaume eu des liaisons avec un des Officiers de Baghi-sian, nommé de Tyr. Phirouz (a), originaire d'Arménie, qui offrit de lui remettre nène. une tour où il commandoit. Boëmond on fit part aux Croisés, mais il exigea qu'on lui laifferoit Antioche. Tous les Croifés y confentoient à l'exception du Comte de Toulouse qui Aboulfedha vouloit garder cette Place pour lui Pendant cette contefta- Aboulmahafen. tion on apprit que Kerboga (b), Emir de Mouffoul, & un des plus braves Capitaines de fa Nation, venoit par ordre du Sulthan de Perfe, avec une armée de deux cens mille hom

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bagath. Il portoit le titre de Couam ed-
doulet, & il avoit été remis en liberté
après la mort de Toutoufch.

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L'an 1098.

Dekak,

mes, au fecours d'Antioche (a). Il étoit accompagné de DéApr. J. C. kak Roi de Damas, de Thoghteghin, de Dgenah ed doulet Redouan. Roi d'Hemeffe, de Sokman, fils d'Ortoc, Roi de Maredin, d'Arflan schah Roi de Sandgiar, & de plufieurs autres Emirs Turcs. Il vint camper dans le territoire d'Edeffe ou Roha, qui appartenoit alors aux Francs. Il fit le fiége de cette place, mais Baudouin l'obligea, après trois femaines, de décamper. Pour couvrir fa honte il prétexta la néceffité d'aller promptement délivrer Antioche, remettant la prife d'Edeffe à fon retour. Pendant ce tems-là les Princes Francs envoyoient de tous côtés des efpions pour s'informer de la marche de cette puiffante armée. Ils cachoient aux troupes qui étoient occupées au fiége d'Antioche l'approche des ennemis. On propofa dans le Confeil de lever le Gége pour aller à la rencontre de Kerboga; d'autres vouloient qu'on laiffât des troupes devant la ville: Boëmond profita de l'embarras dans lequel étoient tous les Chefs de l'armée, pour fair valoir les liaifons qu'il avoit ménagées dans la ville, & la néceffité d'accepter les offres de Phirouz. Le feul Comte de Toulouse ne voulut rien relâcher des droits qu'il prétendoit avoir fur Antioche; mais on paffa outre, & Boëmond se prépara à exécuter fon projet la nuit fuivante. Il fut arrêté qu'à la neuvieme heure les Princes Croifés fortiroient à la tête de leurs troupes, fous prétexte d'aller au-devant de Kerboga, & que vers la premiere veille, ils rentreroient en filence dans le camp.

Dans le tems que ce projet alloit être exécuté, les Turcs qui étoient dans Antioche foupçonnerent qu'il fe tramoit quelque trahifon, & en accuferent les Chrétiens; Baghi-fian les interrogea tous, & Phirouz comme les autres ; mais cet Officier répondit avec tant de confiance, en propofant de changer tous ceux qui avoient la garde des tours & des murailles, qu'on le jugea innocent. On réfolut de suivre fon confeil; mais on ne le fit pas affez promptement. On laiffa à Phirouz le tems de livrer la tour à Boëmond. Dans le moment qu'il étoit à conférer avec ce Prince du haut

(a) L'an 491 de l'Hegire.

Dekak.

des murailles, un des principaux Officiers de Baghi-sian passa avec un grand nombre de foldats & de flambeaux, pour l'an 1998. Apr. J. C. examiner fi les fentinelles n'étoient pas endormies. Il recom- Redouan. manda à Phirouz de veiller avec foin fur les mouvemens des Chrétiens. Auffi-tôt qu'il fut paffé, Boëmond & les autres Princes fe rapprocherent de la tour en filence avec leurs troupes. Après leur avoir donné le mot du guet, Phirouz lâcha une échelle de corde; mais aucun foldat n'ofa s'y rifquer; Boëmond indigné de leur lâcheté, monta avec une intrépidité fans exemple & parla à Phirouz, perfonne ne fut encore affez hardi pour le fuivre, & il fut obligé de defcendre pour les encourager & les faire revenir de l'étonnement dans lequel il les voyoit. Alors, tous coururent à l'échelle, monterent fur les remparts, égorgerent les fentinelles de dix autres tours & ouvrirent une porte. Les Francs entrerent en foule dans la ville, les affiégés fe réveillerent & n'apperçurent partout que des Francs; les Grecs, les Syriens & les Arméniens, qui pendant le fiége avoient reçu mille avanies, fe joignirent aux Croifés; on égorge de tous côtés les Turcs qui cherchent à fe fauver. Plus de dix mille hommes font paffés au fil de l'épée. Baghi-fian prend la fuite & s'éloigne Aboulmade cette ville qui étoit au pillage. Une playe qu'il avoit Guillaume s'étoit ouverte, la force du mal & le défespoir d'aban- de Tyr. ner fa famille & tous les Musulmans, lui cause le transport Aboulfedha au cerveau, il tombe de cheval, quelques cavaliers qui l'accompagnent veulent le faire remonter, mais la foibleffe ne lui permet plus de fe tenir; les cavaliers le quittent pour fe fauver eux-mêmes & le laiffent à terre. Un Arménien occupé à couper du bois le rencontra comme il alloit rendre les derniers foupirs, lui coupa la tête & la porta aux Princes Francs. Le fiége d'Antioche (a) avoit duré neuf mois. Les Francs y trouverent des richeffes immenfes. Les Hiftoriens Orientaux difent qu'il périt dans le fac de cette ville cent mille hommes.

Il reftoit encore à prendre la citadelle dans laquelle trois mille hommes s'étoient retirés avec Sanfadonia (b) & Bul

(a) Elle fut prife le 3 de Juin de l'an 1098. Aboulfedha dit dans le mois

Dgioumadi elaoual.

(6) Peut-etre Schamfeddounia.

hafen.

Guillaume

de Tyr. Jacques de Vitry.

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