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les Religieufes de Port-Royal, que le Cardinal de Retz leur ayant accordé un autre Supérieur en la place de M. du Sauffay, on ne leur fit aucune peine, là-deffus, quoique M. Singlin qui étoit ce nouveau Supérieur, ne fût pas trop au goût de la Cour, où les Jéfuites, avoient pris foin de le décrier Hy avoit déja plufieurs années qu'il étoit Confeffeur de la maifon de Paris, & fes fermons y attiroient quantité de monde, bien moins par la politeffe du langage, que par les grandes & folides vérités qu'il prêchoit, Mais le talent où il excelloit le plus, c'étoit dans la conduite des ames. Son bon fens joint à une piété & à une charité extraordinaires, imprimoient un tel refpect, que bien qu'il n'eût pas la même étendue de génie & de fcience que M. Arnauld, non-feulement les Religieufes, mais M. Arnauld lui-même, M. Pascal, M. le Maître & tous ces autres efprits fi fublimes avoient pour lui une docilité d'enfant, & fe conduifoient en toutes chofes par fes avis.

Dieu s'étoit fervi de lui pour convertir & attirer à la piété plufieurs per fonnes de la premiere qualité. Et comme il les conduifoit par des voies très-op

pofées à celles du fiecle, il ne tarda guere à être accufé de maximes outrées fur la pénitence. M. de Gondi qui s'étoit d'abord laiffé furprendre à fes ennemis, lui avoit interdit la chaire; mais ayant bientôt reconnu fon innocence, il le rétablit trois mois après & vint lui-même groffir la foule de fes auditeurs. Il vécut toujours dans une pauvreté évangélique, jusques-là qu'après la mort on ne lui trouva pas de quoi faire les frais pour l'enterrer, & qu'il fallut que les Religieufes affliftaffent de leurs charités quelques-uns de fes plus proches parens qui étoient aussi pauvres que lui. Les Jéfuites néanmoins pafferent jufqu'à cet excès de fureur que de lui reprocher, dans plufieurs libelles, de s'être enrichi aux dépens de fes pénitens, & de s'être approprié plus de huit cent mille francs fur les grandes reftitutions qu'il avoit fait faire à quelques-uns d'entr'eux; & il n'y a pas en plus de réparation des outrages faits au Confeffeur, que des fauffetés avancées contre les Religieufes. Le Cardinal de Retz ne pouvoit donc faire à ces Filles un meilleur préfent que de leur donner un Supérieur de ce mérite, ni mieux marquer qu'il avoit hérité de toute la

bonne

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bonne volonté de fon prédéceffeur. Comme c'eft cette bonne volonté dont on a fait le plus grand crime aux prétendus Janféniftes, il eft bon de dire ici jufqu'à quel point a été leur liaifon avec ce Cardinal. On ne prétend point le juftifier de ce qu'une ambition démefurée lui fit entreprendre; mais tout le monde convient qu'il avoit d'excellentes qualités, entr'autres une confidération finguliere pour les gens de mérite, & un grand defir de les avoir pour amis. Il regardoit M. Arnauld comme un des premiers Théologiens de fon fiecle, étant lui-même un Théologien habile, & il lui a confervé jufqu'à la mort cette eftime qu'il avoit conçue pour lui dès qu'ils étoient enfemble fur les bancs: jusques-là qu'après fon retour en France, il a mieux aimé fe laiffer rayer du nombre des Docteurs de la Faculté, que de foufcrire à la cenfure dont il a été parlé, & qui lui parut toujours l'ouvrage d'une ca

bale.

La vérité eft pourtant que tandis qu'il fut Coadjuteur, c'est-à-dire, dans le temps qu'il étoit à la tête de la Fronde, MM. de Port-Royal eurent très-peu de commerce avec lui, & qu'il ne s'aTome 1.

F

mufoit guère alors à leur communiquer ni les fecrets de fa confcience, ni les refforts de fa politique. Et comment les leur auroit-il pu communiquer ? Il nignoroit pas, & perfonne dès-lors ne l'ignoroit, que c'étoit la doctrine de Port-Royal, qu'un fujet, pour quelque occafion que ce foit, ne peut fe révolter en confcience contre fon légitime Prince; que quand même il en feroit injuftement opprimé, il doit fouffrir l'oppreffion, & n'en demander juftice qu'à Dieu, qui feul a droit de faire rendre compte aux Rois de leurs actions, C'est ce qui a toujours été enfeigné à Port Royal, & c'eft ce que M. Arnauld a fortement maintenu dans fes livres, & particulierement dans son Apologie pour les Catholiques, où il a traité la question à fond. Mais non-feulement MM. de Port-Royal ont foutenu cette doctrine, ils l'ont pratiquée à la rigueur. C'est une chofe connue d'une infinité de gens, que pendant les guerres de Paris, lorfque les plus fameux Directeurs de confcience donnoient indifféremment l'abfolution à tous les gens engagés dans les deux partis, les Eccléfiaftiques de Port-Royal tinrent toujours ferme à la refufer à

ceux qui étoient dans le parti contraire à celui du Roi. On fait les rudes pénitences qu'ils ont impofées au Prince de Conti, & à la Ducheffe de Longueville, pour avoir eu part aux troubles dont nous parlons, & les fommes immenfes qu'il en a coûté à ce Prince pour réparer, autant qu'il étoit poflible, les défordres dont il avoit pu être caufe pendant ces malheureux temps. Les Jéfuites ont eu peut-être plus d'une occafion de procurer à l'Eglife de pareils exemples; mais, ou ils n'étoient pas perfuadés des mêmes maximes qu'on fuivoit là deffus à Port-Royal, ou ils n'ont pas eu la même vigueur pour les faire pratiquer.

Quelle apparence donc que le Cardinal de Retz ait pu faire entrer dans une faction contre le Roi des gens remplis de ces maximes, & prévenus de ce grand principe de S. Paul & de S. Auguftin, qu'il n'eft pas permis de faire même un petit mal, afin qu'il en arrive un grand bien? On veut pourtant bien avouer que lorfqu'il fut Archevêque, après la mort de fon oncle, les Religieufes de Port Royal le reconnurent pour leur légitime Pasteur, & firent des prieres pour fa délivrance.

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