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Ce qui contribuoit encore à faire aimer la jeune Abbeffe, c'étoient les foins particuliers que Monfieur & Madame Arnauld prenoient de toute la maifon. Leur follicitude alloit jusqu'à prendre foin du bien-être général & particulier de tout le monaftere.

Enfin le moment de la grace pour l'Abbeffe de Port-Royal arriva. Elle étoit à peine dans fa 17 année, que Dieu qui avoit de grands deffeins fur elle, fe fervit pour la toucher d'une voie affez extraordinaire. Vers la fête de l'Annonciation en 1608, un Capucin qui étoit forti de fon couvent par libertinage, & qui alloit fe faire apoftat dans les pays étrangers, paffant par Port-Royal, fut accepté par l'Abbeffe & par les Religieufes pour prêcher dans leur Eglife. Il le fit; & ce miférable parla avec tant de force fur le bonheur de la vie religieufe, & fur les rabaiffemens profonds du Fils de Dieu dans fon incarnation, que la jeune Abbeffe en fut vivement émue. Son averfion pour la vie religieufe s'évanouit; & elle forma dès-lors la réfolution non-feulement de pratiquer fa Regle dans toute fa rigueur, mais d'employer même tous fes efforts pour la faire obferver auffi à fes Re

ligieufes. Elle leur en parla à mots couverts. Elle fit un renouvellement de fes vœux, & une feconde profeffion, n'étant pas contente de la premiere. Elle réforma tout ce qu'il y avoit de mondain dans fes habits, ne porta plus qu'une chemife de ferge, ne coucha plus que fur une fimple paillaffe, s'abftint de manger de la viande, & fit fermer de bonnes murailles fon Abbaye, qui ne l'étoit auparavant que d'une méchante clôture de terre éboulée prefque par-tout. Elle eut grand foin de ne point alarmer fes Religieufes par trop d'empreffement à leur vouloir faire embraffer la Regle. Elle fe contentoit de donner l'exemple, leur parlant peu, priant beaucoup pour elles, & accompagnant de torrens de larmes le peu d'exhortations qu'elle leur faifoit quelquefois. Dieu bénit fi bien cette conduite, qu'elle les gagna toutes les unes après les autres, & qu'en moins de cinq ans la communauté de biens, le jeûne, l'abftinence de viande, le filence, la veille de la nuit, & enfin toutes les austérités de la Regle de S. Benoît furent établies à Port-Royal de la même maniere qu'elles l'étoient encore au temps de la deftruction du monaftere.

Cependant elle n'en vint pas là fans avoir éprouvé bien des peines de la part de fa famille. Ses pere & mere, quoique pleins dereligion, s'oppofoient plus que perfonne à la réforme : ils aimoient leur fille, & ils craignoient qu'une vie trop auftere ne ruinât fa fanté, & n'abrégeât fes jours.

La jeune Abbeffe trouva moins de réfiftance de la part de fes Religieufes que de la part de fes parens. M. Arnauld, comme bienfaiteur & comme pere de l'Abbeffe, avoit coutume d'entrer dans l'intérieur du Monaftere avec fa famille, quand il venoit voir fa fille. L'Abbeffe ayant gagné fes Religieufes pour leur faire obferver la clôture qu'elles n'obfervoient auparavant ni pour elles ni pour leurs parens, prit la réfolution de refufer enfin l'ouverture de la porte à fes pere & mere même. Elle ne laiffoit pas de redouter ce moment qui ne devoit pas tarder, parce que les vacances approchoient. Elle écrivit à fa foeur Anne, pour prévenir fon pere. Madame Arnauld qui vit la lettre, ne voulut pas qu'on la montrât à son mari, difant que ce n'étoit pas la peine de le chagriner, en lui parlant d'une chofe que fa fille

1609.

n'auroit pas la hardieffe d'exécuter. Cependant le temps venu, toute la famille part de Paris pour fe rendre à Port-Royal, le pere, la mere, Madame le Maître leur fille aînée, Mademoiselle Anne Arnauld, & Monfieur d'Andilly leur fils. La Mere Angélique avoit auprès d'elle dans le couvent, fa fœur Agnès & une autre fœur appellée Marie. L'Abbeffe avertie du jour de l'arrivée, avoit pris la précaution de retirer à elle toutes les clefs de la clôture. A l'heure du dîner la compagnie arriva. La Mere Angélique qui attendoit dans l'Eglife le moment critique entendant le carroffe, fort & va fe rendre à la grande porte du couvent. La compagnie defcend & frappe à cette porte pour fe faire ouvrir comme à l'ordinaire. L'Abbeffe ouvre le guichet. M. Arnauld fe préfente, & lui dit de lui ouvrir. Elle fupplia fon pere de vouloir bien entrer dans un parloir voifin où elle pourra lui parler. Il refufe d'y entrer. Il infifte, il preffe, il commande de lui ouvrir; & fur les refus réitérés, il fe fâche, entre en colere, frappe de plus en plus. Madame Arnauld fe met de la partie, & parle à fa fille avec hauteur & dureté.

M. d'Andilly, jeune homme de vingt ans, le prend d'un ton encore plus haut, & lâche contre fa fœur tout ce qui lui vient à la bouche de termes injurieux & outrageans. Il appelle les Religieufes, il les fomme de faire cesser l'infulte qu'une fille dénaturée fait à fon pere, & à un pere bienfaiteur de la maison. Toutes les Religieufes fe tenoient à l'écart, & attendoient en filence le dénouement de la fcene, la plupart approuvant leur Abbeffe.

M. Arnauld voyant l'infléxibilité de fa fille, ordonna tout en colere qu'on lui rendît à l'heure même fes deux filles qui étoient dans le couvent, Agnès & la petite Marie. La Mere Angélique qui comprit que fon deffein étoit d'entrer de gré ou de force quand la porte feroit ouverte, fans fe troubler & fans perdre la préfence d'efprit donna la clef d'une petite porte à une Religieufe, & lui fit figne de faire fortir fes deux jeunes fœurs par cette porte. M. Arnauld fut tout furpris de les voir fi-tôt devant lui. M. d'Andilly qui fut le premier à les appercevoir, alla au devant de fa fœur Agnès, invectivant contre l'Abbeffe. Agnès répondit gravement que fa foeur ne fai

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