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tement avec M. Bail. Ils commencerent par la maifon de Paris. Ils y trouve rent la célebre Mere Angélique qui étoit dangereufement malade, & qui mourut même dans le cours de cette vifite. Voici le moment de dire quelque chofe de plus particulier de cette fainte fille.

La Mere Angélique étoit un prodige d'efprit, de favoir & de vertu. Elle avoit paffé tout l'hiver à PortRoyal des Champs avec une fanté foible & languiffante, ne s'étant pas bien rétablie d'une grande maladie qu'elle avoit eue l'été précédent. Il y avoit déja du temps qu'elle exhortoit fes Religieufes à fe préparer par beaucoup de prieres aux tribulations qu'elle prévoyoit leur devoir arriver. Elle apprit la femaine de Pâques les réfolutions qui avoient été prifes contre le monaftere de Paris. Malgré fes grandes infirmités & l'amour qu'elle avoit pour fon défert, elle manda à la Mere Abbeffe, que fi l'on jugeoit à Paris fa préfence néceffaire dans une conjoncture fi importante, elle s'y feroit porter. Elle le fit en effet, fur ce qu'on lui écrivit qu'il étoit à propos qu'elle vînt. Elle apprit en chemin que ce jour-là

même M. le Lieutenant Civil étoit venu dans la maifon de Paris, & les ordres. qu'il avoit apportés. Elle fut donc un trifte témoin de la fortie des Poftulantes. Sa grande réfignation aux ordres de la Providence, & fa grande fermeté n'empêcherent pas que fes entrailles ne fuffent émues lorfqu'elle vit fortir toutes ces pauvres filles qu'on yenoit enlever les unes après les autres, & qui, comme d'innocens agneaux, perçoient le ciel de leurs cris en venant prendre congé d'elle, & lui demander fa bénédiction. Il y en eut trois entre autres pour qui elle fe fentoit particulièrement attendrir; c'étoient Mefdemoifelles de Luynes & Mademoifelle de Bagnols. Elle les avoit élevées toutes trois prefque au fortir du berceau, & ne pouvoit oublier avec quels fentimens de piété leurs parens, qui avoient fait beaucoup de bien à la maison, les lui avoient autrefois recommandées pour en faire des offrandes dignes d'être confacrées à Dieu dans fon monaftere. Elles étoient fur le point d'y prendre l'habit, & attendoient ce jour avec grande impatience.

Le moment de leur fortie étant

arrivé, la Mere Angélique, qui fentit fon cœur fe déchirer, & fa fermeté s'ébranler, s'adreffa tout-à-coup à Dieu, le priant de la foutenir; & elle prit la réfolution de les mener elle-même à la porte, où leurs parens les attendoient. Elle les leur remit entre les mains avec tant de marques de conftance, que Madame de Chevreuse, qui venoit querir Mefdemoiselles de Luynes, ne put s'empêcher de lui faire compliment fur fon grand courage. Madame, lui dit la Mere Angélique d'un ton qui acheva de la remplir d'admiration, tant que Dieu fera Dieu j'efpérerai en lui & ne perdrai point courage. Enfuite s'adreffant à Mademoifelle de Luynes l'aînée, qui fondoit en larmes: Allez, ma fille, lui dit-elle, efpérez en Dieu, & mettez en lui votre confiance; nous nous reverrons ailleurs, où il ne fera plus au pouvoir des hommes de nous féparer.

Dans tous ces combats de la foi & de la nature, la foi prenoit le deffus à mefure que la nature tomboit dans l'accablement ; & l'on s'apperçut bientôt que fa fanté dépérifloit à vue d'œil. Ajoutons à tous ces déchiremens de cœur le

mouvement continuel qu'il falloit qu'elle fe donnât dans ce temps de troubles & d'agitation, étant obligée à toute heure tantôt d'aller au parloir, tantôt d'écrire des lettres, foit pour demander confeil, foit pour en donner: il n'y avoit pas de jour qu'elle ne reçût des lettres des Religieules des Champs, chez qui il fe paffoit la même chofe qu'à Paris, & qui n'avoient recours qu'à elle dans tout ce qui leur arrivoit. Elle étoit de toutes les proceffions qu'on faifoit alors pour implorer la miféricorde de Dieu.

La derniere où elle affifta, fut celle qui fe fit pour les fept Novices, afin qu'il plût à Dieu d'exaucer les prieres qu'elles lui faifoient pour demeurer dans la maifon. On lui donna à porter une Relique de la vraie Croix, & elle y alla nuds pieds, comme toutes les autres Religieufes; elle fe traîna comme elle put le long des cloîtres dont on faifoit le tour; mais en rentrant dụ cloître dans le chœur, elle tomba en foibleffe, & il fallut la reporter dans fa chambre & dans fon lit, d'où elle ne fe releva plus. Il lui prit une grande oppreffion accompagnée de fievre, & cette oppreffion, qui était continuelle, avoit des accès fi violens, qu'on croyoit à tou

moment qu'elle alloit mourir; de forte que dans l'efpace de deux mois, on fut obligé de lui apporter trois fois le faint Viatique.

La plus rude de toutes les épreuves, tant pour elle que pour la Communauté, ce fut l'éloignement de M. Singlin & des autres Confeffeurs, du nombre defquels étoient M. de Sacy & M, de Sainte-Marthe, deux des plus faints Prêtres qui fuffent alors dans l'Eglife. Il y avoit plus de vingt ans que la Mere Angélique fe confeffoit à M. Singlin, & l'on peut dire qu'après Dieu, elle avoit mis en lui toute l'efpérance du falut. On peut juger combien il lui fut fenfible d'être privée de fes lumieres & de fes confolations, dans un temps ou elles lui étoient fi néceffaires, fur-tout fentant approcher l'heure de fa mort. Cependant elle fuppórta cette privation fi douloureufe avec la même réfignation que tout le refte; & voyant fes Religieufes qui s'affligeoient de n'avoir plus perfonne pour les conduire, & qui fe regardoient comme des Brebis fans Pafteur, elle leur difoit: « Il ne s'agit pas »de pleurer la perte que vous avez »faite en la perfonne de ces yertueux

Eccléfiaftiques, mais de mettre en

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