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avec ardeur que les Filles de la Vifitation & celles de Port-Royal fuffent unies du même lien d'amitié qui avoit fi étroitement uni leurs Meres. Revenons à Maubuisson.

Le 10 Septembre 1619, Madanie d'Eftrées s'échappa de la maifon des Filles-Pénitentes de Paris, où elle avoit été enfermée, & arriva dès fix heures du matin à Maubuisson, escortée du Comte de Sanzé fon frere, & de plufieurs Gentilshommes qui avoient coutume d'y paffer le temps avec elle., Une des portes lui fut ouverte par une des anciennes Religieufes. La premiere perfonne qu'elle rencontra fut la Mere Angélique qui ne fe troubla point d'une rencontre fi peu attendue. Madame d'Ef trées lui dit avec émotion : Il y a longtemps, Madame, que vous tenez ma place; je reviens à ma maifon, il faut que vous en fortiez. La Mere lui répondit d'un ton ferme : Madame, je fuis toute prête à le faire, quand ceux qui n'y ont mife m'en retireront. Enfuite elle conduifit Madame d'Estrées à fon logis Abbatial. Comme la Mere Angélique ne s'approprioit rien, une partie de ce logis fervoit d'infirmerie. La Dame en y entrant, trouva cou

chées

chées fur des paillaffes deux Religieufes qui avoient pris médecine. Elle fut fort: choquée, & dit d'un air dédaigneux qu'on otât toutes ces vilaines de devant Jes yeux.

La Mere Angélique laiffa la Damedans fon appartement, & alla donner ordre à diverfes chofes : elle alla ellemême à la cuifine faire préparer un dîner honnête pour la Dame, puis elle recommanda à fes filles de faire tout ce qu'elles avoient à faire fans trouble & fans confufion. On alla au choeur; la grand'Melle fut chantée solemnellement. Madame d'Eftrées y fut auffi; mais elle n'ofa entrer dans le chœur. La Mere Angélique fe mit à fon ordinaire dans la place d'Abbeffe. La Dame en fur piquée au vif, & dit tout haut avec dépit : Quelle hardieffe! Une écoliere prendre ma place en ma' préfence! La Mere étoit en effet fon: écoliere, puifqu'elle avoit été pentionnaire à Maubuillon, & y avoit fait profeffion. Après la mefle Madam d'Eftrées fe promena dans la maifon pour tâcher d'attirer les anciennes dans fon parti; mais prefque toutes aimoient déja la Mere Angélique. Madame d'Eftrées ayant demandé à deux, d'entr'elles les Tome 1.

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clefs de toute la maison, elles lui répondirent qu'elles avoient remis les clefs entre les mains de Madame. Ce mot offenfa l'Abbeffe, elle dit tout en colere Eft-ce qu'il y a ici une autre Madame que moi ?

la

L'heure du dîner étant venue Mere Angélique fit fervir Madame d'Ef trées dans fa chambre, & alla de fon côté dans le réfectoire avec fes filles. Avant de fe mettre à table, elle les avertit de ce qui fe paffoit, & leur dit que ne fachant pas ce qu'elles deviendroient avant la fin du jour, elle les exhortoit à bien manger, pour être en état de fupporter quelque fatigue qu'il y auroit peut-être à effuyer.

Après le dîner, le Bernardin Confeffeur des anciennes, demanda la Mere Angélique au parloir, & tâchą de luj perfuader de fe retirer doucement, la menaçant du Comte de Sanzé. Madame d'Eftrées fut à fon tour propofer à la Mere de s'en aller de bon gré plutôt que de force. La réponse de la Mere fut qu'étant Religieufe, elle ne devoit pas violer fa clôture; qu'il n'y auroit que l'autorité de fes Supérieurs, ou une violence étrangere, qui pourroit la faire fortir. Voyant qu'il n'y auroit

rien à gagner, Madame d'Eftrées réfolut de l'emporter par artifice ou par violence. Elle propofa à la Mere d'aller enfemble à l'Eglife. On fe mit en marche. Les filles de la Mere Angélique l'accompagnerent. Toute cette pieufe compagnie fe mit à genoux pour fe recommander à Dieu dans cette étrange conjoncture. Mde d'Eftrées ne pouvant gagner les anciennes pour l'aider à mettre dehors la Mere par force, la tira brusquement du côté de la porte de l'Eglife, & fe mit à crier au fecours. La Religieufe affidée qui avoit une fauffe clef, ouvrit alors la porte de l'Eglife. Le Comte de Sanzé & les Gentilshommes de fa compagnie entrerent l'épée nue à la main. Un d'eux appuya le piftolet fous la gorge de la Mere Angélique pour la faire fortir. Mais tout cela ne l'étonnant point, l'Abbeffe, le Confeffeur & ces jeunes gens la prirent par force, & la mirent hors du couvent. Madame d'Eftrées vouloit empêcher toutes les filles de fortir avec la Mere; mais elle ne put y réuffir; toutes fortent en foule pour fuivre leur fainte Abbeffe; de forte que la Mere avoit avec elle plus de trente perfonnes. Se trouvant ainfi fans feu

ni lieu, elle adreffa fa priere au Seigneur, mit en lui toute fa confiance puis réfolur de s'en aller avec fa compagnie à Pontoife. Elle fit ranger toutes les filles deux à deux, comme dans une procellion, les Poftulantes les premieres, enfuite les Novices, puis les Profefles les dernieres avec elle. Elles entrerent ainfi dans la ville en filence les voiles baifiés, & avec une grande modeftie. Le monde ne pouvoit s'ima giner ce que c'étoit que cette proceflion infolite. Les uns penfoient que c'étoit un nouvel établiffement que ces Religieufes venoient faire dans la ville: d'autres fe doutoient de ce qui étoit arrivé; & tous étoient dans l'admiration de leur modefte & fainte tranquillité, La Mere conduifit fes filles dans la premiere Eglife qui fe rencontra fur le chemin, qui étoit celle des Jéfuites. Le Grand Vicaire de Pontoife, & le Docteur Duval qui étoient amis de la Mere, vinrent la trouver dans cette Eglife, pour délibérer fur ce qu'il y avoit à faire. Les Carmelites, les Urfulines, l'Hôtel-Dieu enyoyerent offrir leur maifon à la Communauté ambulante, ou en tout ou en partie. La Mere les remercia de leurs

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