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la permiffion de fortir auffi pour un moment. Voilà, répondit-il, bien des forties; revenez donc au plus vite. Il fallut permettre cependant aux Religieufes d'aller faire leurs paquets. On les apportoit dans le chapitre à mesure, & on y mettoit les étiquettes : les Sœurs reftoient enfuite dans le chapitre avec les Exempts & les Archers qui y étoient entrés. M. d'Argenson se tenoit dans le paffage du dortoir pour viliter les paquets. Elles étoient fi preffées, qu'elles ne prirent pas la moitié de ce qu'il leur falloit ; & plufieurs paquets furent tellement brouillés, que quelques-uns allerent où il ne falloit pas.

Quand M. d'Argenfon eut marqué l'exil de chacune, il demanda les Reliques. La Prieure lui dit que s'il vouloit prendre la peine d'aller au lieu où elles étoient, elle l'y conduiroit. Son respect pour les chofes faintes le retint: Dieu me garde, dit-il, de mettre la main à l'encenfoir; mais faites venir votre Eccléfiastique à qui vous montrerez toutes chofes. En même-temps il dit à un des Commiffaires d'accompagner l'Eccléfiaftique. Cet homme ne put s'empêcher de témoigner à la Religieufe qui le conduifoit, qu'il étoit fenfiblement touché

de leur état & de la peine qu'on leur faifoit. Le but de cette vifite des Reliques étoit le même que de la vifite des autres lieux, qui étoit de voir s'il ne fe trouveroit pas des papiers détournés & cachés à deffein. Mais il ne fe trouva rien. Il demanda enfuite la Cellériere pour avoir les livres de compte, & favoir ce qui étoit dû aux domeftiques. La Prieure à ce moment parla de deux vieilles perfonnes que la maifon nourriffoit en dedans, & lui demanda ce qu'il en feroit. Il dit que cela étoit fâcheux, mais qu'il y aviferoit quand les Religieufes feroient parties. En mêmetemps il prit les clefs de la porte de clôture, & les mit entre les mains d'un archer, qui ouvroit & fermioit fuivant fes ordres.

Après cela il rentra dans le chapitre, & avec lui une troupe de fes Archers & Exempts. On en compta jufqu'à trente dans le chapitre qui en étoit tout rempli. Outre ceux-ci, il y en avoit un grand nombre dans la cour du dehors à garder les domeftiques; fans ceux qui inveftiffoient tout l'enclos de la maifon & ceux qui gardoient les avenues, ainfi qu'il a déja été dit; en forte que plufieurs perfonnes qui ont vu tout ce monde,

ont penfé qu'il y avoit près de trois cents hommes fur pied pour enlever vingtdeux filles douces comme des agneaux. Un grand Seigneur qui rencontra, en chaffant dans ces quartiers-là, plufieurs corps de ces troupes, fut furpris d'apprendre le fujet pour lequel ils étoient commandés, & ne put retenir quelques marques de fa compaflion fur une violence fi criante à l'égard de ces faintes Religieufes.

Se voyant fi près de fortir, & tous ces archers entrer en foule dans leur chapitre pour les enlever, quelquesunes d'entr'elles s'approcherent de leur Prieure, & lui dirent: Quoi, ma Mere, fortirons-nous ainfi fans protefter ni faire aucun acte Elle leur répondit que, comme tout fe faifoit par lettre de cachet, il n'y avoit point de proteftations à faire, & que le feul parti qu'il y avoit à prendre étoit d'obéir avec foumiffion. Elles l'embrafferent & ne lui parlerent pas davantage.

Pendant ce temps-là M. d'Argenfon donnoit fes ordres pour faire partir promptement. Toutes ces pauvres filles étoient à jeun. La Mere le repréfenta au Magiftrat, & lui demanda s'il ne feroit pas à propos qu'elles allaffent

un moment au réfectoire, pour prendre un peu de nourriture. Non, répondit-il, mais faites apporter ici à manger. On apporta du pain & du vin dans le Chapitre; mais perfonne n'y toucha, excepté une Sœur que M. d'Argenfon preffa de manger un morceau, voyant qu'elle en avoit abfolument befoin.

Jufques-là les carroffes étoient demeurés dehors. Le Lieutenant de Police alors ordonna qu'on les fît entrer. Auffi-tôt toute la cour fe trouva remplie de carroffes, ainsi que d'Archers & d'Exempts. Il y avoit auffi quelques femmes que le Magiftrat avoit eu la précaution de faire venir pour accompagner les Sœurs dans le voyage, & pour rendre fervice aux infirmies. Une Sœur fe rappellant fon vœu de clôture & de stabilité, demanda pour elle & pour les autres où étoient leurs obédiences. Le Lieutenant de Police répondit: On vous les donnera, & ceux qui doivent vous conduire les porteront

avec eux.

Enfin il fallut partir. M. d'Argenfon conduifit lui-même toutes les Religieufes aux carroffes, & recommanda fort à chaque Exempt d'en avoir grand foin, & de les traiter avec toutes for

tes d'honnêtetés. Le départ de la Sœur âgée de quatre-vingt-fix ans & paralytique, fut remis au lendemain. Les lieux où elles furent exilées étoient Blojs, Rouen, Chartres, Mantes, MeauxAmiens, Compiegne, Autun & Montcenis. Malgré les recommandations de M. d'Argenfon, la plupart eurent beaucoup à fouffrir de leur gardes, qui, les regardant comme des prifonnieres d'Etat, les traitoient avec beaucoup de dureté. Outre cela, la mauvaife faifon & les mauvais chemins leur rendirent le voyage extrêmement pénible; jufques-là que quelques-unes verferent dans la route en un endroit effroyable, d'où on les tira fi couvertes de boue, qu'il fallut leur donner des habits féculiers pour laver leurs robes.

Pour les Sœurs Converfes, elles eurent l'avantage de n'être pas envoyées loin; cinq même refterent dans le Diocefe de Paris, & furent exilées à SaintDenys en France; & les deux autres à l'Abbaye de Loigny, Diocefe de Chartres. Depuis cependant on les transféra ailleurs.

On mit enfuite dehors tous les domestiques de la maison, que l'on avoi retenus captifs toute la journée. Auffi

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