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1749.

l'Auteur au

bûvois une grande abondance pour tempérer les chaleurs que me faifoit effuyer le foleil le plus ardent. Novembre. Preffé par la faim auffi-bien que mon nègre, je me déterminai à faire le dîner du fauvage. Rien n'y man- Dîner de qua. J'avois tué, chemin faifant, plus de gibier que milieu des quatre hommes affamés n'en auroient pû manger. Mon bois. nègre ne fut pas embarraffé pour le faire rôtir; il frotta enfemble deux bâtons qui prirent feu à l'instant; il fit auffi une broche de bois, qu'il garnit avec un toucan, deux perdrix & deux pintades. Quand ce dîner, encore plus frugal & de moindre appareil que celui des nègres, fut fini; je crus ne pouvoir rien faire de plus avantageux pour moi & pour tous les françois qui viendroient par la fuite fe promener dans ce dangereux endroit, que d'y mettre le feu, comme le pratiquent les nègres. Pendant deux heures que je reftai ly met le feu là, je le fomentai, & j'y fournis des matieres fuffifantes pour embrâfer plufieurs lieues de ce vaste défert, qui s'étend depuis le village appellé Ndounnmangas jufqu'à Podor, dans une efpace de plus de vingt lieues, & qui n'eft fréquenté que rarement par les maures, qui y campent dans quelques endroits où ils ont mis le feu. A fept heures du foir le bateau tant defiré & fi long-tems attendu, arriva : je m'y embarquái avec une grande fatisfaction à la lueur du feu que j'avois allumé; & j'appris huit jours après qu'il brûloit encore, & qu'il avoit découvert plufieurs lieues de pays.

en se retirant.

Nombre pro

On arriva le 8 à Lamnaï. Cette petite ifle, qu'on digieux d'oipeut nommer à bon droit l'ifle aux oifeaux, eft fort feaux fur l'ifle baffe, & n'a pas deux cens toises de longueur. Ses ar

de Lamnaï.

1749.

bres étoient couverts d'une multitude fi prodigieuse Novembre. de cormorans & de hérons de toutes les efpeces, que les laptots qui entrerent dans un ruiffeau, dont elle étoit alors traversée, remplirent en moins de demiheure un canot, tant des jeunes qui furent pris à la main ou abattus à coups de bâtons, que des vieux dont chaque coup de fufil faifoit tomber plusieurs douzaines. Ces oiseaux fentent un goût d'huile & de poiffon qui ne plaît pas à tout le monde.

Stratiote

plante du Nil.

Je trouvai dans cette ifle une plante que je n'avois pas encore vû : c'étoit le ftratiote, connu fous le nom de ftratiote d'Egypte; cette plante merveilleufe qu'on dit fe promener fur les eaux du Nil, cherchant fa nourriture à la maniere des animaux. C'eft affurément bien mal à propos qu'on a fait ce petit conte, ou qu'on a interprêté dans ce fens les defcriptions, peut-être trop lâches, que les voyageurs en ont donné. Le ftratiote du Niger eft le même que celui du Nil, dont on voit la figure dans Profper Alpin (1), & dans le Jardin de Malabar (2); & il porte des racines fi bien piquées en terre, que l'on a affez de peine à l'arracher. Ce qui a fans doute induit en erreur, c'est que cette plante produit des petits bouquets de feuilles fort écartés les uns des autres, & portés fur une tige, qui, après avoir flotté fur l'eau, va se perdre infenfiblement dans la terre, à peu près comme font dans ce pays-ci les potamogetons, les nymphoides, & les feuilles mêmes du nenufar.

La proximité où j'étois de Podor, que l'on décou

(1) Hay alem el maovi, id eft, ftratiotes. Profp. Alp. Ægyp. v. 2. p. 5 1, (2) Kodda-pail, Hort. Mal. vol. 11. pag. 32. tab. 63.

1749. Novembre.

10.

Arrivée à Po

Chaleur ex

vroit au loin par-deffus des terres fort basses, me faifoit le moment foupirer avec d'autant plus d'ardeur après le où je devois y débarquer, que le bateau faifoit à peine trois ou quatre lieues par jour. Enfin cet heureux inftant arriva le 10 de novembre, & mit fin le dix- dor. neuvième jour à ce voyage long, difficile, & d'autant plus pénible que je l'avois fait dans le mois où se font fentir les plus grandes chaleurs de l'année. Le thermometre que je ne pouvois expofer fûrement que dans ceffive dans la chambre du bateau, y marquoit fur le midi depuis les bateaux, 40 jusqu'à 45 degrés. Elle étoit fi pénétrée de l'ardeur du foleil, que la nuit même elle confervoit encore 30 à 32 degrés de chaleur : c'étoit une vraie étuve, ou même une fournaise ardente, dans laquelle distilloit goute à goute le bray & le goudron, que les chaleurs liquéfioient au point de lui permettre de paffer par toutes les jointures du bâtiment. Enfin les chaleurs que j'ai fouffertes dans ce rude voyage, étoient telles que je ne crois pas qu'on en puisse éprouver ailleurs de plus grandes; & je ne fuis nullement furpris que la plupart des françois qui font près de deux mois à faire le voyage de Galam en juillet & août, y arrivent rarement fans être attaqués de quelque fievre ardente. Auffi ceux qu'une longue expérience ou une parfaite connoiffance du pays ont rendu plus prudens, partent dès le mois de juin, auffi-tôt que les eaux font affez hautes; alors ils ont beaucoup moins à craindre & à fouffrir de l'intempérie de la faifon pluvieuse & des chaleurs qui augmentent continuellement depuis le mois de juin jufqu'en novembre: ils n'y réfifteroient certainement point en partant en feptembre & octobre.

1748. Une autre incommodité du voyage de Podor on Novembre. de Galam, pendant le mois d'octobre, ce font les macommodes. ringoins & les abeilles. J'ai dit ailleurs combien les

Abeilles très

premiers font importuns : les abeilles le font encore
davantage. Tous les jours vers le midi, j'étois fûr d'être
accueilli par un, deux, & quelquefois plufieurs effains
qui venoient fe rendre dans la chambre du bateau,
attirés peut-être par l'odeur pénétrante & réfineuse du
goudron: elles m'obligeoient de quitter le bateau,
de chercher à terre la tranquillité.

&

La même chose m'arriva à Podor en novembre & décembre. Il y a apparence que c'eft pendant ces trois mois que les effains fortent des vieilles ruches pour en former de nouvelles: on en trouve alors affez fouvent des monceaux confidérables. Je vis un jour un toit de cafe, dont la furface de feize pieds quarrés, étoit recouverte d'une couche de plus de quatre travers de doigt, d'abeilles qui s'y étoient ainfi entaffées. C'est une preuve non équivoque de la prodigieufe quantité qu'il y a de ces infectes dans le pays. Ils fe logent partout; mais communément dans les troncs d'arbres que la vieilleffe a creufés. Cette année ils avoient fait trois ruches dans notre habitation de Podor : l'une entre les volets & la fenêtre d'une chambre au premier étage; l'autre au rez de chauffée, dans une petite armoire pleine de ferrailles dont on ouvroit tous les jours un battant, & qui étoit placée au fond d'un magasin fort obfcur; la troifiéme étoit fufpendue au plancher d'un autre magasin, fur le coin même de la porte. On réuffit difficilement à chaffer ces petits animaux, même pendant la nuit, & par le moyen du feu : ils fçavent

trouver dans les ténèbres ceux qui les inquiétent, & ils les puniffent par des piquûres très-douloureuses.

1749. Novembre.

leur miel.

Podor.

Ces abeilles ne different de celles d'Europe que par, Qualité de la petiteffe. Leur miel a cela de fingulier, qu'il ne prend jamais de confiftance comme le nôtre : il est toujours liquide & femblable à un fyrop de couleur brune. On peut dire qu'il eft infiniment fupérieur pour la délicateffe & le goût au meilleur miel qu'on recueille dans les provinces méridionales de la France. Le terrein de Podor me parut alors bien différent, Plantes de de ce que je l'avois vû dans mon premier voyage. Au lieu d'une plaine féche & ftérile, je vis une campagne agréable, entrecoupée de marais dans lefquels le ris croiffoit naturellement, & fans avoir été femé. Le terrein plus élevé étoit couvert de mil: l'indigo & le coton y étaloient la plus belle verdure. Prefque toutes les plantes aquatiques des pays chauds pafferent en revûe fous mes yeux : j'obfervai là le meniante (1), deux efpeces de pontederia (2), les juffiaa (3), les lemma, & le pongati (4) du Jardin de Malabar. J'y trouvai auffi plufieurs efpeces d'alifma, de liferons de nénuphar, l'utriculaire, l'hottonia (5), les adhatoda, un grand nombre de fouchets & d'autres plantes la plûpart inconnues.

Je ne bornai pas ma curiofité aux campagnes voi- Eminences de

(1) Nymphæa Indica minor lævis. Rumph. Herb. Amb, vol. 6. pag. 167. tab. 72. fig. 3.

(2) Pontederia floribus umbellatis. Linn, Fl. Zeyl. 129. .

(3) Nouvelles efpeces. 400

(4) Pongati. Hort, Mal. vol. 11. pag. 47. tab. 24.

(5) Hottonia flore folitario, ex foliorum alis proveniente. Burm. Th. Zeyl. pag. 121, tab, 55. fig. 1.

terre fort fin gulieres.

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