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1749. Novembre.

fines; elle s'étendit encore jufques dans les bois & les marigots qui font répandus à deux lieues à la ronde. J'y trouvai auffi beaucoup d'arbres nouveaux, & des oifeaux d'une grande beauté. Mais parmi les chofes fingulieres que j'obfervai, rien ne me frappa plus que certaines éminences de terre, que leur hauteur & leur régularité me firent prendre de loin pour un affemblage de cafes de nègres, & même pour un village confidérable. Ce n'étoit cependant que les nids de certains petits infectes. Ces nids font des pyramides rondes de huit à dix pieds de hauteur, fur à peu près autant de bafe, dont la furface eft unie, & d'une terre graffe extrêmement dure & bien maçonnée. L'intérieur eft un labyrinthe de petites galeries entrelacées les unes dans les autres: elles répondent à une petite ouverture qui donne entrée & fortie aux infectes qui l'habitent. On les appelle vagvague: peut-être font-ce les mêmes l'on nomme que de bois & fourmis blanches en Amérique & dans les Indes orientales. Ils ont la figure des fourmis ordinaires, mais leurs membres font moins diftingués. Leur corps qui est d'un blanc fale, eft auffi plus mol, plus rempli, & comme huileux. Ces animaux multiplient prodigieusement, & quand ils travaillent à fe loger, ils attaquent d'abord quelque tronc d'arbre mort, qu'ils ont bientôt rongé & détruit.

Obfervation de la latitude de Podor,

poux

Dans mes deux voyages j'avois levé avec soin la carte du Niger depuis fon embouchure jusques à Podor: il ne me reftoit plus qu'à connoître la latitude de ce lieu. La différence que je trouvois entre mon plan & celui que donnent les cartes anciennes & mo

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Décembre..

dernes, me fit foupçonner que cette latitude n'avoit 1749. pas été bien déterminée, s'il étoit vrai qu'on y eût jamais travaillé. Pour m'en affurer, je fixai avec les précautions requifes un gnomon de 8 pieds 1 pouce 1 ligne de hauteur, au-deffus d'une plate-forme réduite à un niveau affez exact. J'y obfervai, pendant le mois de novembre & une partie de celui de décembre, différens points d'ombre du foleil, qui me donnerent, par le calcul, fa hauteur; je conclus la latitude de Podor de 16 d. 44 . boréale, boréale, conformément au résultat que je communiquai, pour lors à M. le Monnier, qui voulut bien en faire part à l'Académie des Sciences (1). Cette obfervation étoit de quelque importance, puifqu'elle corrige une erreur de plus de 15 minutes dont toutes les cartes font Podor trop feptentrional; & qu'elle diminue de beaucoup la longueur du cours du fleuve, dont même la plupart des directions données jufqu'à présent étoient fausses. Ainsi outre l'avantage que je retirai de mon fecond voyage de Podor, en prenant des connoiffances de l'hiftoire naturelle du pays; il me procura encore celui de yérifier & de corriger un point de géographie essentiel pour le cours du Niger, dont nous ne connoiffons bien encore qu'une petite partie.

17. Retour de

du Sénégal,

En defcendant ce fleuve, les vents d'eft me furent auffi favorables qu'ils m'avoient été contraires en mon- Podor à l'isle tant. Je partis de Podor le 17 décembre, & j'arrivai le 21 à l'ifle du Sénégal; deforte que je ne fus que cinq jours dans mon retour, au lieu que j'en avois

(1) Cette obfervation a été imprimée dans le 2o volume des Mémoires préfentés à l'Académie par divers Sçavans, p. 605.

Ab

1749. Décembre.

1750.

Second voyage à Gorée.

10 Février. Voyage de Gambie.

employé dix-neuf à monter à Podor. Les eaux en baillant avoient laiffé fur les bords du fleuve un limon dont les nègres fçavent profiter auffi-tôt qu'elles fe font retirées. Ils avoient femé par-tout le gros mil, le tabac, & des haricots de plufieurs efpeces.

Je ne reftai pas long-tems à l'ifle du Sénégal : j'en 11 Janvier. partis le 11 janvier de l'année suivante pour retourner une feconde fois à l'ifle de Gorée, où j'arrivai le 15. De-là je devois faire le voyage de Gambie avec Mrs de la Brue & de Saint-Jean, directeurs, l'un de la conceffion du Sénégal, & l'autre de l'isle de Gorée. Ils alloient rétablir le comptoir françois d'Albréda, fitué sur ce fleuve à fix ou fept lieues de fon embouchure, & diftant d'environ cinquante lieues de l'ifle de Gorée. Trois bâtimens mirent ensemble à la voile le 10 février, & entrerent le 20 dans le fleuve Gambie. Son embouchure ne commence, à proprement parler, qu'à la pointe de Bar, quoique fon lit foit prolongé affez avant dans la mer, par des bancs de fable ou des hauts-fonds qui fe trouvent entre l'ifle aux Oiseaux & le cap Sainte-marie. Ce cap eft une terre haute qu'on laisse sur la droite. Depuis la pointe de Bar jufqu'au comptoir d'Albréda le fleuve a une largeur affez inégale d'une lieue dans quelques endroits, & d'un peu davantage dans d'autres. Ses bords font affez élevés, & garnis des deux côtés de grands arbres qui indiquent affez la bonté du terrein.

On mouil le vis-à-vis

L'on mouilla vis-à-vis le comptoir, & l'on resta le comptoir quelques jours en rade fans defcendre à terre. On y fit d'Albréda, bonne chere, en maigre fur-tout. Les nègres nous apfleuve de portoient quantité d'excellens poiffons, des rayes, des

Poiffons du

Gambie.

foles, des vieilles monftrueuses, & beaucoup d'huîtres d'arbres (1) qui font très-abondantes dans ce fleuve, Elles ont tout ce qui leur faut pour y vivre. Les mangliers dont tous fes bords font bien fournis, leur prêtent leurs racines pour s'y attacher, & l'eau de la mer n'y perd jamais fa falure. Ce qu'il y a de fingulier, c'eft que par-tout ailleurs on détache les huîtres des rochers, au lieu que là on les cueille fur les arbres. Lorfque la mer a baiffé, elle les laisse à découvert, & on les voit pendantes à leurs racines : c'eft ce qui a fait dire à quelques voyageurs qui en ont vus de femblables en Amérique, qu'elles perchoient fur les arbres. Les nègres n'ont pas tant de peine qu'on penferoit bien, à les cueillir: ils ne font que couper la branche où elles font attachées. Une feule en porte quelquefois plus de deux cens, & fi elle a plufieurs rameaux elle fait un bouquet d'huîtres qu'un homme auroit bien de la peine à porter. La coquille de ces huîtres differe de celles d'Europe, en ce qu'elle eft plus longue, plus étroite & moins épaiffe; du reste la délicateffe & le bon goût de leur chair ne permettent pas aux connoisseurs d'y appercevoir aucune différence.

1750. Février.

Huîtres d'ar bres.

terelles.

Ce fut dans ce voyage que je commençai à con- Nuage de fau noître par moi-même les défordres que caufent les fauterelles, ce fléau fi redouté dans ces brûlans climats. Le troifiéme jour après notre arrivée, nous étions encore en rade: il s'éleva au-deffus de nous, vers les huit heures du matin, un nuage épais qui obfcurcit l'air en nous privant des rayons du foleil. Chacun fut

(1) Voyez l'Histoire naturelle des Coquillages bivalves. Genre ‹. l'Huitre, planc. 14. fig. 1.

1750. Février.

Peuples qui mangent les fauterelles.

étonné d'un changement fi fubit dans l'air, qui eft rarement chargé de nuages dans cette saison ; mais on reconnut bientôt que la cause en étoit dûe à un nuage de fauterelles. Il étoit élevé d'environ vingt ou trente toifes au-deffus de la terre, & couvroit un espace de plufieurs lieues de pays, où il répandoit comme une pluie de fauterelles qui y paiffoient en fe repofant, puis reprenoient leur vol. Ce nuage étoit apporté par un vent d'est affez fort: il fut toute la matinée à paffer fur les environs, & on jugea que le même vent les précipita dans la mer. Elles porterent la désolation par-tout où elles pafferent: après avoir confommé les herbages, les fruits, & les feuilles des arbres, elles attaquerent jusques à leurs bourgeons & leurs écorces: les rofeaux mêmes des couvertures des cafes, tout fecs qu'ils étoient, ne furent point épargnés: enfin elles cauferent tous les ravages qu'on peut attendre d'un animal auffi vorace. J'en pris un grand nombre que l'on voit encore dans mon cabinet: elles étoient entierement brunes, de la groffeur & longueur du doigt, & armées de deux mâchoires dentées comme une fcie & capables d'une grande force. Elles avoient des aîles beaucoup plus longues que celles de toutes les fauterelles que je connois : c'étoit fans doute à leur grandeur qu'elles devoient cette facilité à voler & à se foutenir dans l'air.

On ne fe perfuaderoit pas facilement qu'un infecte hideux comme l'eft la fauterelle, pût fervir de nourri ture à l'homme. C'est cependant un fait certain que plufieurs nations de ce pays la mangent. Elles donnent même différentes façons à ce mêts fingulier. Les unes

le

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