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L'ALCYON,

O U

LA MÉTAMORPHOSE.

CHÉRÉPHON, SOCRATE (a).

CHÉRÉPHON.

QUELLE

UELLE Voix fe fait entendre? Elle vient de la pleine mer, du côté du rivage & de ce promontoire; qu'elle est agréable! Je ne fais quel animal peut proférer ces fons; les habitans des eaux font abfolument muets,

(4) Des Savans eftimables, tels que Muret, le Fevre, Hemfterhuis, doutent que ce Dialogue foit de Lucien. C'est au refte une trèsbelle imitation de la maniere de Platon, & l'on a douté s'il ne falloit pas l'attribuer à ce Philo.

fophe, du temps de Diogène de Laërce.

S. C'est un oiseau de mer, qu'on nomme Alcyon. Il gémit & fe lamente fans ceffe. Une ancienne tradition dit qu'Alcinoé, fille d'Eole, avoit époufé, fous les premiers aufpices de l'Hyménée, Céix, fils de Lucifer, dont la beauté ne le cédoit point à celle de fon pere. Cette tendre épouse («), inconfolable de la mort de fon mari avoit parcouru inutilement toutes les contrées de la terre pour le trouver; les Dieux lui donnerent des ailes, & elle le cherche depuis ce temps fur toutes les mers, en volant fous la forme d'un oiseau.

C. Quoi! c'eft-là le célebre Alcyon? Sa voix m'étoit abfolument inconnue,

(a) Céix s'étoit noyé dans la mer en la traverfant pour aller retrouver fa femme, qui l'attendoit avec une extrême impatience. Les Dieux récompenferent leur fidélité, en les métamorphofant l'un & l'autre en Alcyons. Ils voulurent que la mer fut calme & paifible dans le temps que ces oifeaux y feroient leurs nids.

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& c'est la premiere fois qu'elle frappe mes oreilles ; elle imite parfaitement le ton de la douleur. Cet oiseau eft-il bien gros?

S. Non; mais, malgré fa petiteffe, les Dieux ont magnifiquement récompenfé en lui la conftance de l'amour conjugal. Lorfqu'il fait fon nid, on voit régner dans toute la nature, au milieu même de la faison la plus orageufe, ces jours fereins que l'on nomme les jours d'Alcyon, tels que celui dont nous jouiffons. N'admirez-vous pas ce ciel fans nuages, cette mer tranquille & unie comme une glace?

C. Vous avez raison; nous sommes depuis hier dans ces beaux jours.

Mais dites-moi, je vous prie; fautil croire que des oifeaux, comme vous le fuppofiez tout-à-l'heure, aient jamais été métamorphofés en femmes, ou des femmes en oifeaux ? Pour moi, cela me paroît abfolument impoffibl.

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S. Nous ne fommes guere en état de juger de ce qui eft poffible, ou de

ce qui ne l'est pas, mon cher Chéréphon; nous n'avons pour nous décider que les foibles lumieres de notre raifon; elle n'est capable, ni de connoître la nature des chofes, ni de les difcerner, ni de fe déterminer fur le. degré de leur certitude. Prefque toujours nous regardons comme très-difficile & comme impoffible ce qu'il y a de plus facile; notre erreur vient fouvent de notre peu d'expérience, & plus fouvent encore de la foiblesse de notre intelligence. L'homme le plus avancé en âge n'eft en effet qu'un vieux enfant; la vie la plus longue eft un moment d'enfance, fi on la compare à l'éternité. Comment, après cela, des êtres fi bornés & dépourvus de toutes notions fur la puiffance des Dieux ou d'une Intelligence fuprême, oferoient-ils prononcer fur ce qui

eft poffible, ou fur ce qui ne l'eft pas ?

Vous favez à quelles tempêtes le ciel étoit en proie il y a trois jours. On ne peut fe rappeler fans frayeur le bruit épouvantable du tonnerre & des vents déchaînés; on eût cru que la terre étoit prête à s'écrouler fur fes fondemens. En peu d'inftans nous vîmes, avec furprife, un calme parfait fuccéder à l'orage. Or, je vous le demande, croyez-vous que, pour appaifer en un clin d'oeil les ouragans furieux, diffiper les nuages amoncelés dans l'étendue des cieux, & rétablir l'harmonie entre tous les élémens confondus, il faille moins de pouvoir que pour changer une femme en oiseau ? Ne voyons-nous pas tous les jours des enfans former fous nos yeux mille figures différentes, avec un morceau de terre ou de cire? Il eft donc à préfumer qu'un Etre tout-puiffant par excellence, & dont les forces ne peuvent

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