donc aucune idée flétrissante, & celle que des ignorans voudroient y attacher, ne vient que groffier du vulgaire. d'un préjugé T. Je ne tiens plus contre la force de vos raifons, il faut me rendre. Je veux déformais vous prendre pour Maître, & recevoir vos leçons deux fois par jour, le matin & le foir, comme on fait dans les Ecoles publiques. Vous êtes trop généreux & trop complaifant, pour ne pas être au deffus des atteintes de la jaloufie. Vous ne laifferez ignorer à votre Eleve aucune des finesses de l'Art; j'aime au moins à me le perfuader. Je ferai votre premier disciple, & ce titre eft pour moi du plus heureux augure; les meres, dit-on, chériffent toujours plus tendrement leurs premiers-nés, DES 73 DES GENS DE LETTRES QUI S'ENGAGENT A VIVRE CHEZ LES GRANDS. PAR où dois-je commencer ou finir l'énumération des défagrémens inféparables de la familiarité mercenaire que l'on recherche auprès des riches & des Grands? Comment raconter tout ce que font obligés de faire & de fouffrir à leur fuite ces infortunés qui fe mettent à leur folde, & qu'on pourroit appeler des amis à gages, fi le nom d'ami convenoit à des efclaves auffi malheureux? Je n'ignore pas toutes les peines attachées à leur condition; mais je n'ai jamais été réduit à les connoître par ma propre expérience; & puiffent les Dieux ne me jamais mettre Tome III. D à pareille épreuve! Beaucoup d'autres, moins heureux que moi, m'en ont fuffifamment inftruit. Dans cette foule de mécontens, les uns déploroient les maux de toute efpece qu'ils enduroient encore; les autres, dégagés enfin de leurs fers, & comme évadés d'une affreufe prifon, aimoient à fe rappeler le fort qu'ils avoient eu à fupporter, & fe félicitoient d'en être délivrés. H falloit fur tout entendre ceux qui avoient affifté, pour ainfi dire, à toutes les cérémonies de cette lugubre fête, & en connoiffoient tous les mysteres. Je les écoutois avec la plus grande attention faire le récit de leur naufrage, & des circonftances heureuses auxquelles ils étoient redevables de leur falut défefpéré. Tels ces infortunés que nous voyons la tête rafe à l'entrée de nos Temples (a); ils nous font une (a) Ceux qui avoient fait naufrage fe rafoient la tête, & confacroient leur cheveluré aux Dieux. Marins. defcription touchante des horribles tempêtes auxquelles ils ont échappé ; ils représentent les flots amoncelés, les vents furieux, les écueils & les rochers, leurs biens jetés à la mer, les mâts brifés, le gouvernail emporté ; ils n'oublient point les Diofcures, qui, comme des étoiles tutélaires, font venus briller à leurs yeux: car il n'eft point de tragédie de cette efpece où ces Divinités ne jouent leur rôle : c'eft quelquefois un autre Dieu qu'ils ont vu tout-à-coup s'affeoir à la hune, ou s'arrêter à la pouppe; sa main bienfaifante a dirigé vers le rivage tranquille le vaiffeau doucement porté fur les ondes applanies, & déposé en fûreté les Navigateurs fauvés par la protection du Ciel. Ce font mille autres aventures funestes, propres à exciter la compaffion généreufe des affiftans envers des hommes chéris des Dieux au fein même du malheur. Mais tout cela n'eft rien en comparaifon des orages me; mais domestiques que l'on éprouve dans les maisons des Grands. Ecoutez ceux qui en ont été les triftes victimes. On s'embarque avec joie, vous diront-ils; au moment du départ, la mer eft caique de fouffrances dans tout le cours de la navigation! Après avoir long-temps enduré la foif, le mal de coeur, les travaux infatigables de la pompe, on finit par aller malheureufement échouer contre un écueil caché ou une roche escarpée, & l'on fe fauve à peine nud & manquant de tout encore ceux que j'ai entendus fupprimoient-ils par honte une partie de leurs infortunes, qu'ils auroient voulu oublier pour toujours, Ce qu'ils m'ont avoué me fait conjecturer le refte; & je veux ici, mon cher Timoclès (a), vous en faire l'expofé fidele. Depuis long-temps je m'apperçois du (a) Cet ami de Lucien n'eft point connu d'ailheurs, |