DESCRIPTION DU PARNASSE FRANÇOI S. PREMIERE PARTIE. Des Figures qui forment ce Groupe &du deffein que j'ay en dans fa compofition. E PARNASSE FRANÇOIS est reprefenté par une Montagne ifolée,un peu efcarpée, & d'une belle forme, où font difperfés quelques Lauriers, Palmiers, Mirtes, & troncs de Chênes entourrés de Lierre. Trente-fix Figures y font placées, dont quatorze principales ; fçavoir, Apollon, les trois Graces, la Nymphe de la Seine, huit Poëtes & un Muficien; & vingt-deux plus petites reprefentant des génies on y voit encore les Médaillons de fept Poëtes, & celui d'un Muficien, le Cheval Pegaze, & quelques petits animaux qui fervent d'attributs pour le genre Pastoral, & celui des Fables. LOUIS LE GRAND, le Protecteur des Sciences & des beaux Arts, Fondareur de plufieurs fçavantes Académies, qui a animé par fa vertu, par fes belles actions & par fes bienfaits le génie des Poëtes & des Muficiens à celebrer les merveilles de fon Regne, y paroît fous la figure d'Apollon couronné de Lauriers, & jouant de la Lyre dans une attitude majestueufe & pleine de graces. Il eft affis fur le fommet du Parnaffe auprès de quelques Lauriers, par-deffus lefquels le Cheval Pegaze paroît tout en l'air. La Nymphe de la Seine dont les eaux arrofent Paris, le vrai féjour des Sciences & des beaux Arts, est affise un peu plus bas, & à côté d'Apollon, aiant un bras appuïé fur une Urne d'où fort une nappe d'eau : elle tient lieu fur le PARNASSE FRANÇOIS des Fontaines de Caftalie & d'Hipocréne & du Fleuve Permeffe,celebre fur le Parnaffe de la Grece, & fur le Mont-Helicon. On voit fur un terrain au-deffous d'Apollon les trois Graces de notre Parnaffe; fçavoir, Mefdames de la Suze & des Houlieres, & Mademoiselle de Scudery, connues par la beauté de leur genie, & par l'élégance de leurs ouvrages, en Vers & en Profe. Huit Poëtes renommés & un excel lent Muficien,qui foutient le Médaillon d'un neuviéme Poëte, tiennent fur le PARNASSE FRANÇOIS la place de neuf Mufes, comme les modéles de la belle Poëfie & Mufique Françoife. Ils ont tous vêcu fous le Regne de LOUIS LE GRAND leur Apollon, & ne vivent plus que par leurs ouvrages immortels. Ces grands Hommes font, Pierre Corneille, Moliere, Racan, Ségrais, la Fontaine, Chapelle, Racine, Defpreaux, & Lully le Muficien, portant fur un bras le Médaillon de Quinault fon Poëte, Lully & Quinault ne formant pour ainfi-dire, qu'un même genie pour la compofition des Operas parfaits. J'ay fuivi dans le choix de ces Hommes Illuftres le fentiment des Perfonnes d'Erudition & du difcernement le plus délicat & le plus jufte, & pour dire davantage la renommée qui a porté leurs beaux ouvrages, & leurs noms glorieux par tout où regnent la fcience & le bon goût. On doit remarquer auffi que les neuf Poëtes, compris Quinault, dont Lully foutient le Médaillon, ont excellé chacun dans un genre de Poëfie different, & Lully dans la Mufique, où on les propose pour de bons modéles, de même que les neuf Mufes du Parnaffe de la Grece, qui étoient regardées chacune comme un jufte modéle d'une Science ou d'un bel Art aufquels elles préfidoient. Corneille & Racine ont traité tous deux le genre Dramatique, & ont également excellé dans le Tragique; mais ils ont pris des routes differentes, felon la remarque de la Bruiére en parlant des ouvrages d'efprit, Corneille, ditil, nous affujettit à fes idées, Racine fe conforme aux nôtres : celui-là peint les Hommes comme ils devroient être, celui-ci les peint comme ils font. Ces deux Poëtes font d'ailleurs trop d'hor neur au PARNASSE FRANÇOIs pour n'y pas tenir des premiers rangs. A l'égard des autres Poëtes, on fçait que Moliere a excellé dans la Comedie; Racan dans l'Ode & la Pastorale; la Fontaine dans les Fables & les Contes; Ségrais dans l'Eglogue & dans fa Traduction en Vers François de l'Enéïde & des Georgiques de Virgile; Chapelle dans de petites piéces de Poëfie fines & delicates, & d'un ftile libre & naturel, il eft regardé auffi comme un bon Original dans la compofition des Vers fur des rimes redou. blées, genre de Poëfie très-harmonieux & difficile, & dans de petits ouvrages mêlés de Profe & de Vers; Defpreaux a excellé dans la Satire, & dans les Poëmes de l'Art Poëtique & du Lutrin; Quinault a porté la Poëfie Lyrique ou Chantante à fon plus haut degré, & le fameux Lully a infiniment furpaffé tous les Muficiens qui l'ont precédé, & est regardé comme le Pere & le modéle |