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Golfe de Setilie; mais il vint un vent fi contraire qu'il nous fit relâcher à Limaffe autre ville de l'Ifle de Chypre. Outre une chaffe abondante nous y fîmes auffi provifion d'excellent vin; ce lieu eft de toute l'Ifle celui où il en croît de meilleur. La bonace qui dura depuis fit que nous étions encore le vingt-fixiéme à la vûë de Setilie. Nous en voyions les Jardins & les maifons, & nous n'en étions éloignez tout au plus que de cinq lieues. Comme la nuit s'approchoit, nous renverfâmes un peu dans le Golfe où nous demeurâmes toute la nuit à la cape. Le vingt-feptiéme, on ne peut pas comprendre fans l'avoir vû comment la mer avec fi peu de vent,a pû s'irriter au point qu'elle le fut.

Il fe trouva fept groffes mers auffi hautes que des montagnes qui fe battoient les unes contre les autres ; & notre pauvre petit bâtiment leur fervoit comme de jouet. Il ne faifoit point de went, & il falloit nous laiffer emporter aux vagues. Par bonheur notre bâtiment étoit tout neuf, ce qui fit qu'il résista aux grands coups de mer qui devoient le brifer mille fois pour une. D'un autre côté, nous ne voyions pas moins la mort affurée. La mer nous menaçoit à tous

coups de jetter notre barque contre des 10chers plus noirs que du charbon. Le tems qui devint plus gros & plus obfcur à peine nous laiffoit entrevoir la lumiere des éclairs, & le tonnerre qui fe faifoit entendre en plus de dix endroits, combattoit avec le bruit des flots à qui nous épouvanteroit davantage par des éclats terribles, & des coups inoüis.

Nous apperçûmes encore pour furcroit cinq groffes trompes peu éloignées de nous, & qui ne nous faifoient pas moins appréhender un naufrage dans ces flots du Ciel, que dans ceux de la mer. On fçait que ces trompes font des tourbillons qui s'élévent jufques dans les nuages, & qui abîment les bâtimens qu'ils rencontrent. Ce fut alors que la peur nous fit réciter l'Evangile de Saint Jean par plufieurs fois. Chacun fit des vœux dans fon particulier ; & l'on commença à jetter à la mer ce qu'il y avoit de plus pefant dans la barque, comme le fougon, les ancres, la chaloupe, tout le bois, & à vuider les bariques d'eau. A peine étions - nous dans cet exercice qu'outre l'horrible feu dans les airs qui fuccédoit de tems en tems à l'obscurité profonde, la pluye avec la grêle partageant la fonction de nous accabler de

maux, ne faifoient que rendre la tempête plus affreufe & redoubler notre effroi. Comme tout nous menaçoit d'un naufrage prochain, le Patron de la barque s'enquit de tout l'équipage s'il ne vouloit pas bien faire un vou de faire prier pour les ames du Purgatoire ; à quoi tout le monde ayant confenti, on commença à réciter les Litanies desSaints, & les autres prieres que l'on dit à la mer. Enfuite le Patron, invoquant les ames du Purgatoire, fe mit à les prier ainfi : cheres ames du Purgatoire, donneznous un peu de vent, nous vous donnerons deux piaftres. Comme il n'en venoit point, il recommença plus haut fa même priere, en augmentant toûjours d'une piaftre; de maniere qu'il marchanda avec les ames qu'il invoquoit, & leur en offrit jufqu'à 25. Ce fut dans ce moment que je connus que Dieu écoutoit benignement la priere des fimples. Il daigna nous faire voir en cette occafion les effets de fon indulgence & de fa miséricorde. Une petite haleine de vent nous donna beaucoup d'efpérance.

Le Capitaine fit ratifier la promeffe qu'il avoit faite des 25 piaftres pour les ames du Purgatoire ; & dès fut convenu d'en payer la part, fa

que chacun

le vent

devint un peu plus fort; on mit une petite voile qui nous éloigna de la terre & nous fit gagner l'embouchure du Golfe. Lanuit étant furvenue, & le vent continuant, nous nous mîmes à la cape, c'est-à-dire, en état de n'avancer ni reculer. Après quoi les feux faint Elme vinrent nous annoncer la fin de la tempête; nous les voyions courir, pour ainfi dire, le long de notre barque, & il y en eut qui demeurerent fort longtems fur le mât du bâtiment. Ce qu'on appelle feu faint Elme font des exhalaifons qui s'élévent toûjours après de groffes tempêtes.

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Quand le jour fut venu, le vent se mit un peu plus fraís, & fervit à nous tirer hors du Golfe. Le 28 nous nous trouvâmes proche le cap Selidrone; le vent étoit affez frais, mais nous avions toûjours quatre à cinq mers fort groffes à combattre, ce qui nous fit prendre la réfolution d'aller moüiller avec une feule ancre qui nous refstoit dans le port Adrafan. Néanmoins, quand nous fûmes dedans l'embouchure du port, le vent nous refufa, & fe mit contraire. Ce contraste nous obligea de couper entre la terre ferme & les rochers de la Figiere, & de paffer devant plufieurs Ifles où il y avoit beaucoup à craindre à caufe de certains

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rochers

rochers qui font à fleur d'eau. Après que nous eûmes furmonté toutes ces Ifles nous nous trouvâmes hors du Golfe, & tout-à-fait hors de danger. Enfin un vent de poupe vint enfler nos voiles, & nous porta proche du Cacomo; mais comme il étoit tard, nous ne pûmes pas y entrer.

XIII.

La Ville de Rhodes. Le Gouverneur de l'Ile eft de Marseille. Religion Catholique défendue dans la Ville de Chio. Conful des Holandois à Chio Catholique. Tremblement de terre. Juifs ne touchent point d'argent le jour du Sabat.

L

E vingt-neuviéme au matin, le tems étoit fi obfcur que nous ne pouvions voir la terre. Dès qu'il fit un peu clair, nous apperçûmes Château rouge, ou Caftel-Roffo, petite Ifle où nous fûmes mouiller l'ancre dans un des meilleurs. ports du Levant. Nous ne nous fîmes pas prier de mettre pied à terre, & nous allâmes loger dans le village du même nom Castel - Roffo. Il a un château fur le haut de la montagne, & pour toute garnifon neuf à dix Turcs. Le village eft en defcendant du château, bâti par

Tome II.

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