fe fouvient que les mains mêmes de CHAP. V. Dieu figurerent l'argile dont il fut formé, & que l'efprit de vie qui lui fut communiqué fortit de la bouche & du cœur, pour ainfi dire, de Dieu même. Il fe fouvient qu'il porta dèslors l'empreinte & le caractere de la Divinité; qu'il devint fon expreffion & fon image, non par la plénitude, mais par la capacité; non par fon fonds, mais par fes defirs; non qu'il fût ni la vérité même, ni le fouverain bien, mais parce que fon efprit ne pouvoit être borné que par une vérité infinie, & que fon cœur étoit plus grand que tous les biens limités; non qu'il fût la liberté même, mais parce que tout, excepté Dieu, lui étoit indifférent, & que comme lui, il n'avoit befoin que de lui pour être heureux, fans qu'aucun des autres êtres lui fût néceffaire. 2. Il fe fouvient de cela, & il pleure en s'en fouvenant. Mais au milieu même de fes larmes, il admire avec quelle facilité de fi grands biens lui furent accordés, & avec quelle profufion tout lui fut donné en un moment: vie, dignité, juftice, immorPartie I. L CHAP. V. talité, empire fur tout le monde materiel & vifible, dont l'image de Dieu qui faifoit fa gloire le diftinguoit infiniment. Il s'étonne de ce que de fi grandes chofes font rapportées dans la Genese d'une maniere fi abregée, & en apparence fi fimple. Il fe figure que fi la fublime dignité de l'homme avoit été plus lentement accordée, moins gratuitement, moins parfaitement dans les premiers inftans, l'homme auroit mieux connu fa véritable grandeur, le prix de ce qu'il avoit reçù, la bonté & la magnificence de celui dont il le tenoit, & qu'étant plus reconnoiffant, il auroit été auffi plus obéiffant & plus fidéle. 3. Mais tournant tout à coup fes regards vers JESUS crucifié, qui elt cette Sageffe dont les mains avoient formé le premier homme, & la voiant clouée fur une croix, revétue de la reffemblance de l'homme, & de l'homme pécheur, avec tous les caracteres extérieurs de l'homme dégradé, exclus du Ciel & du Paradis terreftre, condanné à la pénitence & à la mort : & fçachant СНАР. У. qu'elle s'eft réduite en cet état pour CHAP. V. l'abîme, où il s'eft précipité, fût bien profond, puifque fon Dieu pour le chercher & pour le relever, eft obligé de defcendre fi bas, & de fe rendre femblable à un vers de terre fans défense & fans aucune force apparente; de s'expofer aux outrages les plus fenfibles; de fouffrit qu'on defhonore fon visage par des foufflets, & même par des crachats, comme s'il étoit l'objet le plus digne d'infulte, de mépris, & d'exécration. Il faut, continue-t-il, que l'image de Dieu que l'homme avoit reçue fût bien défigurée & bien méconnoiffable, pour ne pouvoir être réparée que par de telles indignités. 5. Elle n'étoit pas abfolument effacée:car elle ne peut l'être entierement que par l'anéantiffement de l'homme. Mais, excepté quelques grands traits, que fa mifere & fes vices n'avoient pû abolir, tous les autres étoient difparus. Elle étoit comme ces anciens tableaux, où l'on ne diftingue que la taille & le contour de la figure, mais où tous les traits du vifage font effacés ou confus, fans qu'on puiffe difcerner quel eft celui que la figure repréfente. Elle étoit comme ces reftes d'archite- CHAP. V. cture, qui fubfiftent au milieu des ruines,& qui marquent encore la fçavan. te main qui avoit taillé les colonnes, & conduit tout l'édifice; mais qui ne fervent qu'à faire déplorer les débris d'un fi grand ouvrage. Ou plûtôt, ce qui reftoit dans l'homme de fon ancienne reffemblance avec Dieu, devoit être comparé à un tableau dont plufieurs traits originaux étoient effacés, & où une main nouvelle & ignorante en avoit formé d'irréguliers & de difformes, fans qu'on pût difcerner qu'avec peine les anciens & les nouveaux, ni reconnoître l'idée du premier deffein. Elle reffembloit encore à un temple tombé en ruines, mais où quelques celonnes restées dans leur entier étoient placées fans ordre & fans fymmétrie & mêlées avec d'autres défigurées, ou par ce qu'il n'en reftoit que des fragmens, ou parce qu'elles étoient ajoutées par des hommes, qui avoient bâti au milieu des ruines des grottes & des cabanes, plus propres aux bêtes qu'aux ufages de religion: en forte que tout y étoit confondu, le religieux & le profane, , |