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CHAP. V.

re deftination, & encore plus par notre création nouvelle, au-deflus de tout ce qui doit finir avec le tems, au-deffus de l'univers entier, confideré comme l'affemblage de tous les biens qui ne font ni la justice, ni la verité: & ce feroit pour nous une extrême folie, de perdre notre ame pour acquerir tout le monde ; puifque rien ne peut entrer en comparaifon avec elle, ni tenir lieu d'échange à fon égard. Et cependant tout entre en comparaison avec elle, & fouvent tout lui eft préféré. On délibere férieusement entr'elle & les moindres biens: entr'elle & une espérance fouvent mal fondée des biens les plus legers: entr'elle & la crainte des maux paffagers, & fouvent imaginaires. On oublie à chaque moment ce qu'elle eft, & ce qu'elle a couté. C'eft être fage, que de s'en fouvenir; c'eft être vertueux, que de lui donner la préference. Et l'effet du plus grand courage confifte, à être plus touchés de notre interêt perfonnel que de tout autre, en nous eftimant plus nous-mêmes, que ni la li terté, ni la vie, felon cette parole

du

apprend ce qu'est l'homme.

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du grand Apôtre: Non facio animam CHAP. V.
meam pretiofiorem quam me. « Je fais «
plus d'état de moi que de ma vie.

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4. Mais ce courage, qui eft fi conforme à l'équité, & fi étroitement hé avec nos véritables interêts, & qui par conféquent devroit être fort commun, eft devenu très-rare. Une ame immortelle, achetée fi cherement par fon Libérateur, deftinée à un bonheur infini, & qui eft le bonheur de Dieu même, felon cette parole, intra in gaudium Domini tui ; eft Matth. 25. 22. prefque toujours facrifiée à un bonheur préfent, ou pûtôt au defir & à la recherche d'un tel bonheur. Mais demandez à ceux qui le cherchent avec tant d'empreffement, s'ils fçavent ce qu'ils cherchent, & s'ils en ont une jufte idée. Demandez - leur fi quelqu'un d'eux l'a trouvé; s il a pû s'y fixer; s'il a pû le fixer lui même ; s'il n'a pas échapé à leurs mains, quand ils ont cru l'avoir faifi; s'ils n'ont pas éprouvé que cétoir une ombre fans réalité qui les avoit éduits; s'ils n'ont pas été dégourés fucceffivement de tous les biens dont ils avoient Partie I. M

a

CHAP. V. fait dépendre leur félicité, avant que de les avoir obtenus. Demandezleur fi cette expérience, qui les a détrompés à l'égard de tout ce qu'ils ont obtenu, les a corrigés, & leur ôté le defir de chercher quelque chofe de nouveau. Demandez-leur s'ils ont enfin compris que leur cœur étoit plus vafte & plus grand que tout ce qu'ils ont eu, & que tout ce qu'ils ont efperé: fi ce gouffre infatiable n'a pas paru auffi avide, & auffi plein de defirs, après tout ce qu'on y a jetté, que s'il étoit demeuré abfolument vuide: & fi une faim fi dévorante, à qui rien ne fuffit, ne les a pas enfin convaincus qu'elle a un autre objet, qu'ils s'efforcent inutilement de remplacer par tous les biens particuliers qu'ils entaffent, & qui ne font à l'égard du bien infini que le cœur a perdu, mais dont il eft un continuel defir, qu'une goutte d'eau, plus capable d'allumer fa foif que de l'éteindre. Demandez-leur enfin fi leur mifere, au milieu des biens préfens, n'est pas une preuve fenfible d'une gran

deur prefque infinie qu'ils négligent, CHAP. V. & à laquelle ils ne peuvent renoncer, quoiqu'ils foient affez malheureux pour l'oublier, & affez injuftes pour mettre leur bonheur dans cet oubli.

3. Quelle différence entre ces hommes trompés qui courent, un bandeau fur les yeux, après des biens qui fuient devant eux, & qui n'ont aucune folidité; & ces hommes fidéles & reconnoiffans, à qui JESUSCHRIST crucifié a appris quelle eft leur véritable dignité, & quel eft le remede à leur mifere; en qui il a éteint la foif des biens, qui ne peuvent qu'augmenter leur mifere, en enflammant la concupifcence qui eft la fource de leur injuftice; à qui il a montré en quoi confifte le véritable bonheur, & l'unique chemin pour y arriver; qu'il confole maintenant par la patience & par l'efpérance, & qu'il tient humiliés, mais tranquilles à fes pieds, après les avoir perfuadés, que toutes leurs anciennes agitations étoient inutiles, & qu'ils ne pouvoient trouver de

CHAP. V. repos, de fureté, de gloire, de bonheur, qu'en fe tenant unis à lui, qui eft l'auteur & le réparateur de leur véritable grandeur, & le feul qui puiffe les relever de leur baffelle, & les délivrer de leur mifere.

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