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vouloir vivre heureux, dès qu'on eft CHAP. VIII. timide fur le premier point, on l'eft: néceffairement fur le fecond. Alors le repos, la liberté, les amis, les emplois deviennent des tentations preffantes. Alors une vie fans protection, fans établissement, fans biens, fans dignité, paroit affreuse. Alors on examine, on délibere, on héfite fur un devoir qui aura de fi triftes fuites & prefque toujours on réuffit à l'obfcurcir par la malheureuse facilité qu'a l'efprit à juftifier nos attachemens, ou par les fauffes lumieres de ceux que notre duplicité cherche à rendre nos complices, fous. le prétexte de demander confeil.

8. Pour juger fainement de ces devoirs, qui entraînent avec eux des. difgraces ou des pertes, il faut être pleinement libre. Et pour conferver une liberté fi entiere, il faut ne tenir à rien, & ne regarder pas comme une extrêmité qui foit hors d'apparence, le facrifice même de la vie. Alors ni l'exil, ni la prifon n'étonnent plus. Alors on ne craint plus ni la fo litude, ni la pauvreté, ni l'improbation, ni le mépris. Alors tout ce qui

CHAP. VIII. ne va pas jufqu'aux dernieres épreua ves, paroit leger, & l'on accepte. comme des difpenfes & comme des graces tout ce qui n'eft pas exigé, quoiqu'on s'y fût attendu. En ne mettant point de bornes à son sacrifice, on en remplit avec joie tantôt une partie, & tantôt une autre: & l'expérience fait voir que c'eft de la pleine foumiffion à un événement qui eft rare & extraordinaire, tel que le facrifice de la vie, que dépend la fou

52.

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miffion à tous les autres événemens,

dont la vie des juftes eft quelquefois

traverfée.

Matt. 10, 28. " 9. Ne craignez. point ceux qui » tuent le corps, difoit le Fils de » Dieu à fes difciples, & qui ne peu-. » vent tuer l'ame: mais craignez plûtôt celui qui peut perdre dans l'enfer & le corps & l'ame.» En ôtant la crainte de la mort, il ôtoit la fource de toutes les craintes humaines. Il alloit au principe de tous nos affoibliflemens, & il nous appre noit que fi nous refufions d'aller jufques-là, nous conferverions dans notre cœur un principe de féduction & de crainte, qui se manifesteroit,

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lors même qu'il ne s'agiroit pas du CHAP. VIII. martyre. Portez vos vûes, nous di foit-il dans la perfonne de fes difciples, au-delà de cette vie, & audelà de la mort. Abandonnez aux hommes tout ce qui peut dépendre des hommes. Ne vous liez point à tout ce qu'ils peuvent vous ôter. Laiffez-les regner fur le tems & fur tout ce qui eft temporel. Ne faites point dépendre d'eux ni votre amour ni votre espérance. Mettez en fûreté votre foi, en leur livrant tous les autres biens. Dès que je n'excepte pas votre vie, je n'excepte rien. Souvenez-vous que vous êtes éternels, & que votre bonheur ou votre malheur le feront auffi. Dépouillez-vous de tout ce qui peut fervir à vous retenir, & à donner quelque avantage fur vous à vos ennemis. Ôu leur pou voir n'ira pas jufqu'à vous ôter la vie; & dès-lors vous n'aurez aucune peine à leur abondonner tout ce qui eft extérieur, & qui tient lieu de vétement, puifque vous portez votre ame dans vos mains, & que vous êtes préparés à me la remettre: qu je leur permettrai de tuer le córps,

CHAP. VIII. & Vous n'aurez aucune peine à mè l'offrir comme une hoftie volontaire, puifque vous n'attendiez que le moment d'être immolés avec Ifaac, & que vous ne mettiez comme lui aucune borne à votre obéiffance: Ne terreamini ab his qui occidunt corpus, & poft hæc non habent amplius quid fa

Luc. 12.4.

ciant.

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10. J'ai dit les occafions où le que facrifice de la vie eft néceffaire, font rares. Mais il n'en faut pas conclure qu'elles n'arrivent prefque jamais, ni que ce foit une précaution fuperflue dans un tems de tranquillité & de paix, de s'y préparer. Ces occa fions font fouvent imprévues, & peuvent devenir générales très-fu bitement. L'hérélie des Ariens fit beaucoup de martyrs après le regne de l'idolatrie. Les Vandales qui pafferent en Afrique exciterent une cruelle perfécution contre les Catho liques, contre le peuple auffi-bien que contre les Evêques & le Clergé Et comme cette Eglife étoit alors pleine de force & de courage, elle fut féconde en martyrs & en confeffeurs. Mais lorsque les Mahome

drini,

tans s'en rendirent les maîtres, elle CHAP. VIII ne rendit prefque aucun combat. La défertion & l'apoftafie furent prefque univerfelles. Et depuis plufieurs fiecles la religion y a été totalement éteinte, plûtôt par l'amour des biens préfens, que par la terreur des fupplices. L'hiftoire remarque que * Annal. Eus l'Egypte dominée par les mêmes in- tych. Alexan fideles fut prefque toute pervertie par la mauvaise & frivole honte d'une diftinction extérieure dans les habits, prefcrite par les Caliphes. La foi a été enlevée avec la même facilité dans des provinces & dans des roiaumes entiers par les héréfies du feiziéme fiecle. Les Evêques, comme le peuple, ont été emportés comme une paille légere par le premier tourbillon, fans rendre aucun témoignage à l'ancienne doctrine, & fans s'expofer aux moindres perfécutions, pour en conferver le dépôt à la poftérité. L'amour de la vie, du repos, d'une fauffe gloire avoit tout engourdi dans ces provinces & dans ces roiaumes, avant que la tentation en découvrît la foibleffe. La foi y étoit languiffante & fans forces; les

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