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DES

CLASSIQUES FRANÇAIS

DES XVI, XVII, XVIII ET XIX SIÈCLES

XVI SIÈCLE

LA POÉSIE AU XVI SIÈCLE

Quand le xvi siècle s'ouvrit, l'héritage que lui laissaient le moyen âge et le xve siècle, qui forme entre eux la transition, consistait dans: -un trésor considérable de Chansons de Geste des XIe et XIIe siècles, trésor oublié de manuscrits dispersés et dormant, avec leurs enluminures, sous la poussière du temps, dans les manoirs des provinces et les hôtels des villes, épopées muettes comme leurs héros, dont quelques noms seulement étaient répétés encore par la prose populaire des romans de chevalerie; - la poésie allegorique et galante du Roman de la Rose, la poésie allégorique et satirique du Roman de Renart et des Fabliaux, la poésie allégorique et morale d'Alain Chartier, la poésie allégorique encore, mais originale, personnelle et souvent mélancolique, des Ballades et des Rondeaux de Charles d'Orléans, des Ballades et des Testaments de Villon; les Ballades touchantes de Christine de Pisan, les Ballades patriotiques d'Eustache Deschamps, les couplets joyeux du Normand Olivier Basselin, qui ont légué à notre langue le mot de vaudeville (vau-de-vire); — et, plus récemment, les poésies, allégoriques toujours, et les chroniques rimées de de JEAN MOLINET (mort en 1507), de GUILLAUME CRÉTIN (mort en 1525), son ami, et de leurs nombreux imitateurs; enfin tout un répertoire dramątique de Mystères empruntés à la religion, de Farces, de Moralités, de Soties, où continue à régner l'allégorie morale, chère au moyen âge, et que gardent, que jouent, qu'enrichissent les Confrères de la Passion, les Clercs de la Basoche et la Société des Enfants sans souci.

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Tel était l'inventaire du moyen âge: des épopées oubliées; un système de poésie allégorique, vieillot, mais toujours pratiqué par les imitateurs attardés et encore nombreux du Roman de la Rose; des moules poétiques (ballades, rondeaux, villanelles, etc.), gracieux, mais courts et maigres; enfin un théâtre déjà suranné, produit et image des temps qui finissaient, mais d'ailleurs toujours goûté, et répondant, faute de mieux, à cet éternel besoin de la représentation et de l'illusion dramatique qui a été, dans tous les temps, un des caractères et une des passions de l'esprit français, et qui fai

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sait applaudir, daus la première moitié du xvIe siècle, les soties, farces et moralités de PIERRE GRINGOIRE (mort en 1534), et au lendemain de l'interdiction des Mystères, l'Abraham sacrifiant, offert ar THÉODORE DE BÈZE aux réfugiés français de Genève. C'est tout ce que la France poétique avait à sa disposition quand l'éclosion et l'épanouissement des deux grandes littératures antiques vinrent inonder de lumières nouvelles, remuer et enthousiasmer les intelligences: l'aurore de la Renaissance, qui avait jeté quelques lueurs dès la fin du xve siècle, se leva radieuse sur le xvie.

Une révolution littéraire était inévitable. Pouvait-elle, en France, se faire dans la poésie, qui seule nous occupe ici, avec les formes du passé? Marot les garda et les pratiqua, en empruntant quelquesunes de celles de l'antiquité, pour y faire entrer l'esprit nouveau qui débordait de toutes parts et qui l'avait pénétré comme les autres. Ronsard, et avec lui l'école à laquelle il donna son nom, répudia hardiment et brusquement le passé national, et ne demanda qu'a l'antiquité, et à l'Italie, qui avait été notre première initiatrice aux littératures antiques, les formes de sa poésie. Un enthousiasme indiscret et précipité gâta son œuvre. Malherbe reprit șur de nouvelles bases la constitution d'une poésie française. La marée montante de l'antiquité, contenue par Marot, avait débordé dans Ronsard dans Malherbe, elle se retira, laissant sur le terrain qu'elle avait couvert et bouleversé le limon fécond sur lequel devaient pousser les moissons du xvire siècle. Autour des trois noms de Marot, de Ronsard et de Malherbe se groupe toute l'histoire de la poésie française au xvr siècle, qu'ils partagent en trois périodes: la première finit au milieu même du siècle; la seconde dure quarante ans; la troisième comprend quelques années seulement, et ne fait que montrer Malherbe au siècle finissant : son rôle et son école appartiennent à l'âge suivant.

I. ÉCOLE DE MAROT. Rien ne s'improvise en ce monde. La Renaissance française, dont l'essor fut déterminé par l'arrivée des Grecs de Constantinople dans l'Occident, par la recherche et la découverte des manuscrits grecs et latins, par l'invention de l'imprimerie, par l'exemple de l'Italie, s'était préparée lentement et sourdement. L'antiquité n'avait pas été inconnue au moyen âge. Christine de Pisan et Alain Chartier citaient Sénèque, Cicéron, Virgile. Il arrivait même à la poésie de se gâter par l'érudition scholastique: Guillaume de Lorris imitait et traduisait déjà Ovide bien avant Octavien de Saint-Gelais (mort en 1502), qui, tout en accumulant rondeaux sur ballades, faisait aussi une traduction de l'Énéide, présentée à Louis XII en 1500. Les derniers siècles du moyen âge avaient donc commencé à initier la société laïque aux lettres antiques, comme à l'émanciper dans l'ordre politique et religieux par la décadence de la féodalité, les défaites de la théocratie pontificale et les essais de l'esprit d'examen. Mais au xvi° siècle était réservé de faire avec éclat la Réforme et la Renaissance.

Clément Marot fut un adepte de l'une et un précurseur de l'autre,

en restant avant tout le représentant de ce qu'il y avait de meilleur dans la tradition littéraire du passé. Il écrivit des ballades et des rondeaux comme le moyen âge, des élégies, des églogues, des épîtres, des épigrammes comme les anciens, et des psaumes que chantèrent les Huguenots. Ce qui fait son originalité et sa gloire, c'est d'avoir gardé, cultivé et développé dans sa grâce et sa fleur le seul germe vivace qui restait du moyen âge, ce vif esprit qui avait produit les Fabliaux, qu'il transmit des trouvères de l'Ile-de-France à Regnier, à La Fontaine et à Voltaire, et qui se conserva dans ses poésies comme dans le sel toujours piquant de la vieille Gaule, sans se perdre sous la floraison étouffante et désordonnée de Ronsard, sans se dessécher sous la rude main de Malherbe ou de Boileau1.

1. Voici les noms des genres poètiques pratiqués par Marot et son école :

BALLADE.

Pièce de vers coupée en trois stances égales et suivie d'un court envoi; toutes les stances et l'envoi lui-même sont terminés par le même vers, qui sert de refrain. La ballade redoublée a deux refrains, l'un au milieu, l'autre à la fin de chaque stance. - On appelle aussi ballade, dans un sens plus moderne, un récit en vers disposé en stances régulières et souvent reproduisant des traditions ou legendes. Schiller, V. Hugo, etc., ont écrit des ballades. C'était primitivement un poème à chanter et à danser. (Etym.: baller, danser.)

CHANT ROYAL.- Diffère de la ballade en ce qu'il comprend cinq stances, et que l'envoi est de cinq à huit vers.

COQ-A-L'ANE. - Discours de fantaisie en vers sur tout sujet. Du Bellay en indique le caractère, quand il demande qu'on le remplace par la satire, dont l'étymologie latine (satura lanx, plat farci) exprime l'idée de la variété des sujets qu'elle traite. Il s'appelait aussi, au moyen âge, fatrasie (fartus de farcio, qui a produit farce, et a précisément le même sens que satur).

COMPLAINTE.

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L'étymologie en explique le caractère. L'école de Ronsard a pratiqué ce genre de l'ancienne poésie.

Petites pièces de dix, huit,

ETRENNE. Petite pièce de vers offerte en souhait de nouvel an et en étrenne. Etymol.: strena, en latin étrenne. DIXAINS, HUITAINS, SIXAINS, QUATRAINS. six et quatre vers. MASCARADE. Vers faits pour les personnages qui figurent dans les mascarades ou dances exécutées par des gens déguisés et masqués. Marot n'en écrivit point. Son école la légua à celle de Ronsard, qui la cultiva fort.

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RONDEAU. 1° Le rondel ou rondeau primitif, ou triolet, est de huit vers. Le premier se répète après le troisième, et le premier et le deuxième après le sixième. - 2 Le rondeau proprement dit est de treize vers. Le premier ou les premiers mots seulement du premier vers se répètent après le huitième, et après le dernier, sans faire partie des vers. 3o Le rondeau redoublé est de vingt vers, disposés en cinq quatrains; les quatre premiers vers font l'un après l'autre le dernier vers des quatre derniers quatrains.

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VILLANELLE. Chanson rustique où le refrain est obligatoire après chaque couplet. Il ne l'était pas dans la pastourelle, qui en est l'origine. Ajoutons à cette liste le blason, fantaisie de Marot, plutôt que genre poétique, qui eut la vogue, comme au XVIIe siècle le portrait en prose, au xixe ce qu'on a appelé physiologie, et qui participe de l'un et de l'autre. Les amis et imitateurs de Marot font à l'envi les blasons du cœur, de l'esprit, du soupir, de la larme, du front, de l'œil, de la main, des cheveux, etc. Cela pouvait être mis au nombre des « épisseries », contre lesquelles se fâchait Du Bellay, à meilleur titre que les vieilles poésies gauloises.

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Autour du nom de Marot, roi incontesté de la poésie dans la première moitié du xvie siècle, se groupent en faisceau, d'abord les noms de ses prédécesseurs et contemporains, parmi lesquels nous citerons JEAN BOUCHET (1475-1555), dont il faut renoncer à nommer les poèmes de toute espèce, comptant plus de cent mille vers;-JEHAN DES MARES, dit MAROT, mort vers 1525, qui fut valet de chambre de François Ier, et qui écrivit, comme après lui son fils, des rondeaux, des épîtres, des élégies, des églogues; et surtout JEAN LE MAIRE DES BELGES, né en Hainaut (mort en 1524 ou 1548), qui fut historiographe de Louis XII, et qui dans ses poèmes allia, un des premiers, avec originalité, l'érudition antique à toutes les traditions épiques, allégoriques et satiriques du moyen âge; — puis les noms de ses amis, de ses contemporains et de ses successeurs: d'abord ceux qui le défendirent dans sa querelle contre Sagon et consorts (voir infra sa Notice biographique), et qu'il mène gaiement à la victoire par la plaisante, mordante et triomphante épître de « Fripelippes, valet de Marot, à Sagon » (Epitres, II, 12), tels que: Antoine HÉROET (1492-1568), qui fut évêque de Digne, et qui cultivait les Muses et Platon; Maurive SÈVE, échevin de Lyon, qui vivait encore en 1562, et qui écrivit des églogues, force dixains et un Microcosme, sorte de prélude à la Création de Du Bartas; Claude CHAPPUIS, d'Amboise, le « capitaine Chappuis » de Rabelais, qui fut, comme Marot,valet de chambre de François Ier et son bibliothécaire;

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Charles FONTAINE, de Paris, bien connu par ses « Ruisseaux de Fontaine », qui railla Du Bellay, et qui batailla vaillamment pour son maître et ami et pour lui-même contre Sagon et contre l'école de, Ronsard; puis l'imprimeur-poète CORROZET, traducteur d'Esope, auteur de vers moraux, de chants royaux, etc., dont le joli conte du Rossignol se trouve in extenso dans le recueil d'Auguis (1824, t. III); — Étienne FORCADEL, de Béziers, poète mythologique, comme Marot en sa première manière, et, à sa suite, poète de Blasons; François HABERT, qui traita presque tous les mêmes sujets que Marot, qui reçut de Henri II le titre de poète royal, et dont un recueil de fables lues et imitées par La Fontaine doit sauver le nom de l'oubli avec ceux de HEUDENT et de GUÉROULT, fabulistes comme lui; Roger de COLLERYE, qui, comme Marot, sut parler gaiement de << Plate bourse » et popularisa le nom de Roger Bon Temps, qu'il se donnait; Victor BRODEAU, que Marot appelait son fils; le sieur de LA BORDERIE, qu'il appelait son mignon; BONNAVENTURE DES PÉRIERS (mort vers 1544), qui fut comme lui valet de chambre de Marguerite, qui eut quelquefois de la grâce dans ses vers (voyez infra, Poės. Var.) comme il eut de l'esprit dans sa prose;

MARGUERITE D'ANGOULÈME, qui le protégea, et qui, dans le mélange assez disparate de ses poésies diverses, chansons, épîtres, etc., cultiva l'allégorie mystique et l'allégorie mythologique; une autre femme, LOUISE LABÉ, « la Belle cordière » de Lyon (1526-1566), qui a fait le Débat de la Folie et de l'Amour et, comme lui, des élégies; FRANÇOIS Ier encore, si l'on veut, qui écrivit des vers dans le goût de Marot, comme son petit-fils Charles IX en écrivit à la gloire

de Ronsard; - Jacques PELLETIER, du Mans, qui, avant 1550, ouvrit l'hospitalité de son Recueil à la première ode de Ronsard, supprimée depuis par son auteur, et qui passa ensuite dans le camp nouveau; - enfin, et surtout, pour clore une liste qui ne saurait épuiser tous les noms de cette époque, le plus brillant des seconds de Marot, MELIN DE SAINT-GELAIS, mort en 1558, qui ne ménagea pas les épigrammes aux jeunes poètes de l'école nouvelle, se réconcilia avec eux en souriant, et reçut leurs fleurs sur sa tombe; c'était un acte de reconnaissance : il avait emprunté le premier à l'Italie le sonnet, auquel ils firent une éclatante fortune à côté des genres renouvelés de l'antiquité.

II. ÉCOLE DE RONSARD. — L'antiquité avait déjà pénétré de toutes parts dans la prose par les travaux des érudits et la plume des écrivains. Elle était restée au seuil de la poésie, où n'y était entrée qu'en étrangère, poussant des reconnaissances de droite et de gauche sur le domaine où régnait encore le moyen âge, pour y dresser une tente d'un jour, ici une élégie, là une églogue, lorsqu'en 1548 deux jeunes gens de vingt-quatre ans concurent et exécutèrent le projet de l'y introduire par conquête : c'étaient Joachim du Bellay et Pierre de Ronsard. Du fond du collège de Coqueret, où ils étudiaient avec ardeur, sous la direction d'un maître renommé dans la poésie française et latine, d'Aurat, Du Bellay, le dernier venu, lança dès 1549 un manifeste éloquent, la Deffense et illustration de la langue françoyse, où il appelait tous les Français patriotes » (le mot lui est attribué) à accomplir une œuvre nationale en faisant de la langue maternelle une rivale des langues grecque et latine. Il fallait pour cela laisser là les ballades, rondeaux, virelais, coqs-à-l'âne et autres « épisseries » gauloises, ne plus revenir aux mystères, qu'un arrêt du Parlement venait fort à propos d'interdire (17 novembre 1548), « dévorer les anciens, les convertir en sang et en nourriture, » et du sein fécond de notre poésie fortifiée et régénérée tirer, à l'imitation de l'Italie, odes, tragédies, comédies, épopées, églogues, satires. La même année il publie dans son premier recueil des Vers lyriques ou Odes. L'année suivante Ronsard donne son premier livre d'Odes. En vain Charles Fontaine répond à la Deffense de l'un; en vain Melinde Saint-Gelais raille et parodie les Odes de l'autre. Le public, la cour, les poètes applaudissent. L'école nouvelle commence triomphalement son règne de quarante ans. Elle se constitue dès le premier jour, d'abord sous le nom modeste de Brigade, puis, quand la gloire est venue, sous le titre brillant de Pléiade, renouvelé du siècle des Ptolémées. L'étoile la plus éclatante de la constellation poétique est RONSARD, qui, d'année en année, donne Odes, Hymnes, Élégies, Eglogues, noms antiques, poèmes tout remplis, tout chargés des mots, des tours, des images de l'antiquité : discours de toute nature, qui sont en réalité, ou des épîtres ou des satires à la manière antique, d'ailleurs la plus personnelle de ses œuvres; sonnets par centaines, importation de l'Italie, cette seconde antiquité-;

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