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zoo.ogique, géologique et aussi d'imagination, il prendrà le premier rang dans la poésie descriptive, témoin le portrait renommé du cheval qu'on trouvera ci-après et qui rappelle quelquefois heureusement celui de Virgile (Géorgiq. III, 75 sqq.).

DIEU DANS SES ŒUVRES

O Pere 1, done moy 2 que d'une vois faconde -
Je chante à nos neveus la nessance 3 du monde :
O grand Dieu, donne moy que j'étale en mes vers
Les plus rares beautés de ce grand univers :
Done moy qu'en son front ta puissance je lise,
Et qu'enseignant autruy moy-méme je m'instruise...
Or donq avant tout tans, matiere, forme et lieu,
Dicu tout en tout étoit, et tout étoit en Dicu,
Incompris, infini, immuable, impassible,
Tout-esprit, tout-lumiere, immortel, invisible,
Pur, sage, juste et bon. Dieu seul regnoit en paix :
Dieu de soi-méme étoit et l'hôte et le palais.
Puis Dieu engendre son Fils,

sa Vois 5, son Conseil eternel,

De qui l'étre est égal à l'étre paternel.

De ces deux proceda leur commune Puissance,
Leur Esprit, leur Amour, non divers en cssance,
Ains divers en Persone, et dont la Déité

Subsiste heureusement dés toute éternité

Et fet des trois ensemble une essence triple-une".
Tout beau, muse, tout beau': d'un si profond Neptunc
Ne sonde point le fons : garde toi d'aprocher

Ce Caribde glouton, ce Capharé rocher 8,

Où mainte nef, suivant la raison pour son Ourse,
A fet triste naufrage au milieu de sa course.

1. Dieu. Ce vers est le septième du poème.

2. Ce tour latin est fréquent chez Ronsard.

3. On remarquera cette substitution, ordinaire à Du Bartas, de l'e à l'at, nessance, sésons, três (traits), parfets, fet, clers, éclers, mêtre, vesseau. 4. Sic., pour temps. Le p est supprimé aussi dans cors pour corps. 5. Verbum, le verbe.

6. On trouvera infra de beaux vers de Saint-Amand, de Chapelain et de Voltaire sur la trinité; on pourra apprécier le progrès que, de Du Bartas à ces poètes, a fait en netteté, en grandeur et en harmonie, la langue poétique.

7. On sait l'emploi éloquent et tragique que Corneille a fait de cette locution, familière dans son origine. (Voir infra, dans les notes sur Corneille.)

8. Voilà de ces étrangetés plus que bizarres qui arrêtent le lecteur à chaque page dans la lecture des passages de Du Bartas, où le ton est le plus élevé, comme il l'est dans tout ce début.

Cil qui veut seurement par ce goufre ramer,
Sage, ne doit jamais cingler en haute mer,
Ains cotoier la rive, ayant la loi pour voile,
Pour vent le Saint Esprit, et la foi pour Etoile...
Ichele' qui voudra les étages des Cieux;
Franchisse qui voudra d'un saut ambitieux
Les murs de l'univers 2; et, bouffi d'arrogance
Contemple du grand Dieu face à face l'Essance...
Il me plait bien de voir cette ronde machine
Comme estant un miroir de la face divine;
Il me plait de voir Dieu, mais comme revêtu
Du manteau de ce Tout, témoin de sa vertu3 :
Car si les rais ardens que le cler soleil darde
Eblouissent les yeux de cil qui les regarde,
Qui pourra soutenir sur les Cieux les plus clers
Du visage de Dieu les foudroyans éclers?
Qui le pourra treuver separé de l'ouvrage
Qui porte sur le front peinte au if son image?
Dieu qui ne peut tomber ès lours sens des humains",
Se rend come visible ès œuvres de ses mains...
Le monde est un grand livre, où d souverain Mêtre
L'admirable artifice on lit en grosse lettre.
Chaque œuvre est une page, et d'elle chaque effet
Est un beau caractere en tous sens très parfet.
Mais las! come enfançons 5, qui, lassés de l'étude,
fuient pour s'égaier les yeux d'un mêtre rude,
Si fort nous admirons ses marges peinturés,
Son cuir fleurdelizé et ses bors sur-dorés
Que rien il ne nous chaud d'aprendre la lecture
Le ce texte disert où la docte Nature

le

Enseigne
aus plus grossiers qu'une Divinité
Police de ces lois ceste ronde cité 6.

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(La Sepmaine ou Création du monde, ler jour..
Édition de 1579.)

Qui voudra... Cf. p. 6, n. 6; p. 127, n. 3.
Processit longe flammantia monia mundi.

3. Virtus, puissance.

4. Sous les sens lourds des hommes.

(LUCRECE, I, 71,)

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5. Petits enfants. LA FONTAINE a employé ce mot, inusité aujourd'hui. 6. Cf. RONSARD, p. 53. Le sens est d'ailleurs different. - François Colletet, poète crotté de Boileau, raconte, nous dit Sainte-Beuve (Tableau de la poésie française au XVIe siècle), à la suite de la vie de Du Bartas par son pere Guillaume Colletet, que Ronsard, dans un Jeu de Paume qu'il fréquentait, reçut un jour, et lut avec admiration, oubliant sa raquette, le début de la Sepmaine, et s'écria: «Oh! que n'ai-je fait ce poème! Il est temps que

LE DÉLUGE

Dans l'obscure grote

Du mutin Roy des vents le Tout-Puissant garrote
L'Aquilon chasse nue 2, et met pour quelque tans
La bride sur le col aus forcenes Autans.
D'une æle toute moite ils comencent leur course :
Chaque poil de leur barbe est une humide source;
De nues une nuit enveloppe leur front;
Leur cri froid et neigeux tout en pluyes se fond,
Et leurs dextres pressant l'épesseur des nuages
Les rompent en éclers, en pluyes, en orages.

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Les torrens écumeus, les fleuves, les ruisseaus
S'enflent en un moment. Ja les confuses eaus
Perdent leurs premiers bords, et dans la mer salee,
Ravageant les moissons, courent bride-avalee 3.

Ja la terre se perd, ja Nerée est sans marge,
Les fleuves ne vont plus se perdre en la mer large;

Ronsard descende du Parnasse et cède sa place à Du Bartas. » Mais la renommée du nouveau poète ne tarda pas à l'inquiéter. « Comme son propos courait, qu'on lui prêtait même encore d'avoir envoyé à son rival uue plume d'or en s'avouant vaincu, et d'avoir dit que Du Bartas avait plus fait en une semaine que Ronsard en toute sa vie, il lança un sonnet plein de fierté pour y répondre. » (SAINTE-BEUVE )

Voici ce sonnet:

A Jean D'Aurat.

Ils ont menty, D'Aurat, ceux qui le veulent dire,
Que Ronsard, dont la Muse a contenté les Rois,
Soit moins que le Bartas, et qu'il ait par sa voix
Rendu ce tesmoignage ennemy de sa lyre!

Ils ont menti, D'Aurat! si bas je ne respire;
Je sçay trop qui je suis, et mille et mille fois
Mille et mille tourmens plustost je souffrirois,
Qu'un adveu si contraire au nom que je desire.

Ils ont menty, D'Aurat! c'est une invention
Qui part, à mon advis, de trop d'ambition.
J'auroy menty moy-mesme en le faisant paroistre ;

Francus en rougiroit, et les neuf belles sœurs
Qui tremperent mes vers dans leurs graves douceurs,
Pour un de leurs enfans ne me voudroient cognoistre.

(Les Sonnets divers, 72.) - Tome V, p. 348).

1. Garrot a signifié 1° trait d'arbalète, 2° morceau de bois court que l'on passe dans une corde pour la serrer en tordant. D'où garroter, atiacher comme avec un garrot; en espagnol, garrotar, étrangler. Ce mode de strangulation est encore le supplice usité en Espagne. — Étym.: l'espagnol garrote (origine inconnue).

2. Du Bartas a fait, plus que Ronsard, abus de ces mots composés : le ciel porte-flambeau (ier vers du poème).

Le feu donne-clarté, porte-chaud, jette-flamme, (IIe jour).
Mercure eschelle (escalade)-ciel, invente-art, aime-lyre (III jour).

3. Abaissée, abattue; les Latins disent immissis habenis, laxis, bride lâchée. Étym.: Aval (de val, vallée), la pente de la vallée, le bas du courant, par oppos tion à Amont (a valle, a monte, du côté du val, du mont). D'où avaler la nourriture, là faire descendre.

Eus-méme sont la mer; tant d'oceans divers
Ne font qu'un ocean; méme cet univers

N'est rien qu'un grand etang qui veut joindre son onde
Au demeurant des eaus qui sont dessus le monde...
Tandis la sainte Nef sur l'échine azurée 1

Du superbe ocean navigoit asseurée,

Bien que sans mât, saus rame, et loin, loin de tout port,
Car l'Eternel étoit son pilote et son nort.
Trois fois cinquante jours le general naufrage
Degâta 2 l'univers. Enfin d'un tel ravage
L'Immortel s'émouvant n'eut pas soné si tot
La retrete des eaus, que soudain flot sur flot
Elles gaignent au pié 3. Tous les fleuves s'abaissent.
La mer r'entre en prison. Les montaignes renaissent.
Les bois montrent déjà leurs limoneus rameaus;
Ja la montagne croit par le décroit des eaus,
Et bref la seule main du Dieu darde-tonnerre
Montre la terre au ciel et le ciel à la terre".

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Ses paturons sont courts, ni trop droicts, ni lunez";
Ses bras secs et nerveus, ses genoux descharnez.
Il a jambe de cerf, ouverte la poictrine,

Large croupe, grand corps, flancs unis, double eschine,

1. Cependant l'Arche. Cf. « sur le dos de la plaine liquide. » (RACINE, Phèdre, V, 6.)

2. Dévasta. Gater, vient de vastare, rendre désert, désoler, ravager, comme gué de vadum.

3. Gagner au pied, s'enfuir, s'avancer vers (petere) du (à) pied. Je vais gagner au pied. (MOLIÈRE, Préc., X.)

4. Nous ne donnons ces vers, dont l'harmonie a d'ailleurs un mouvement remarquable, que pour signaler, particulièrement dans la première partie du morceau, un curieux abus de l'imaginatien mythologique en un sujet qui devait puiser à une toute autre source son inspiration. (Voyez le Déluge d'Alfred de Vigny.) Nous faisons grâce, par des coupures, des moins pardonnables imitations des fautes de goût reprochées à Ovide (Metam. I.), par exemple :

L'estourgeon côtoiant les cimes de châteaus
S'émerveille de voir tant de tois dans les eaus.

Cela prépare les « poissons ébahis » de Saint-Amand. Il avait l'imagination plus heureuse quand il définissait la maladie,

Poison à mille noms, ministre du trépas,

Qui s'en vient au galop et s'en retourne au pas.

5. C'est le premier cheval dompté par l'homme, par Caïn.

6. Partie inférieure de la jambe du cheval, voisine de la corne (sabot). Étym.: Pâture, 10 pâturage; 20 corde liée au bas de la jambe de l'animal mis au pâturage.

7. En forme de croissant. Un coutelas luné en façon de serpe. (BAIF.)

133053B

Col mollement vousté comme un arc my tendu,

Sur qui flotte un long poil crespement espandu,
Yeux gros, prompts, relevés, bouche grande, escumeuse,
Naseau qui ronfle 1, ouvert, une chaleur fumeuse.....
Son pas est libre et grand; son trot semble egaler
Le tigre en la campaigne et l'arondelle en l'er:
Et son brave galop ne semble pas moins viste
Que le dard biscaïn ou le traict moscovite.
Mais le fameux canon, de son gosier bruyant,
Si roide 2 ne vomit le boulet foudroyant,
Qui va d'un rang entier esclaircir une armee
Ou percer le rempart d'une ville sommee3,
Que ce fougueux cheval, sentant lascher son frein
Et piquer ses deux flancs, part viste de la main,
Desbande tous ses nerfs, à soi mesmes eschappe,
Le champ plat bat, abat; destrappe, grappe, attrape
Le vent qui va devant; couvert de tourbillons 5
Escroule sous ses pieds les bluetans sillons,
Fait descroistre la plaine, et, ne pouvant plus estre
Suivi de l'œil, se perd dans la nuë champestre 7.

(Seconde sepmaine, Ir journée.)

VAUQUELIN DE LA FRESNAIE

1536-1607

JEAN VAUQUELIN, nè à la Fresnaie-au-Sauvage, près de Falaise, fut un enfant de cette verte et grasse Normandie, qui, aux xvie et XVII siècles, a donné nombre de poètes et d'amis de la nature. Jeune il étudia le droit à Paris et à Poitiers, et en même temps s'enrôla avec passion dans la « brigade » de Ronsard. Plus âgé il fut magistrat à Caen et gentilhomme campagnard, et resta poète.

1.

Collectumque fremens volvit sub n ribus ignem.

(VIRGILE, G., III. 85.)

2. Employé comme adverbe. On dit de même parler haut, parler franc, trancher net, etc.

3. Ellipse de de se rendre. On dit sommer et attaquer une ville. 4. Destrapper, dégager, dénouer, passer au travers; grapper, cueillir, détacher, semer et laisser derrière soi. Cf. carpere iter, legere littus. 5. De poussière. C'est le pulverulenta putrem... de Virgile.

6. VIRGILE (G. II, 105) dit du laboureur Cumulosque ruit male pinguis arenæ. - Bluetans, étincelants. Bluette, petite étincelle (beluette, patois normand). Etym.: Ber, préfixe péjoratif, et lucere.

7. Cette description vaut par plus d'un trait précis et expressif, et non par le puéril effet d'harmonie imitative du vers: « Le champ plat... », qui l'a rendue célèbre.

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