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Les bois, les vergers, le Clain du Poitou, l'Orne de la Normandie, voilà toute sa vie, sa joie et son rêve. Faire de ses fils des amis des champs fut son dernier but. L'un d'eux, Des Yveteaux, n'y faillit qu'a moitié; il joua au berger dans son jardin du Préaux-Clercs à Paris. A dix-neuf ans il publia (1555) en deux livres, sous le nom de Foresteries, qui n'a pas fait fortune, des pièces de mètres et de strophes très variés, où l'entrain de la jeunesse n'a d'égal que le mauvais goût. Il les renia lui-même; il ne les reimprima pas dans l'édition de ses œuvres qu'il donna deux ans avant sa mort. Elle contient ses Satyres françoises en cinq livres, ses Idillies en deux livres, son Art poétique françois en trois livres. Le nom de Satire avait été renouvelé de l'antiquité par J. Du Bellay dans son Illustration de la langue françoise; le genre avait été accidentellement cultivé par du Bellay lui-même, par Ronsard par Jean de la Taille.-Ses cent cinquante Idillies, «imagettes et pe tites tablettes de fantaisie d'amour,» dit-il dans sa préface, très va riées d'étendue, d'allure, de mètre, ont leur originalité. Il a le bon goût de ne pas nommer son vieux maître Ronsard quand il déclare que les «noms de Guillot et de Pierrot, au lieu de Thyrsis et de Tityre, ne contentent pas son opinion »; ce sont les Phillis et les Galatée qu'il chante.Son Art poétique, qui venait après plusieurs autres (Sibilet, Peletier du Mans, etc.), est le seul qui compte avant celui de Boileau; comme Boileau il y met judicieusement Horace à contribution. Partout son style, encore qu'un peu traînant parfois, a une grâce piquante dans ses Idillies, une grande franchise d'allure dans ses Satyres, d'heureuses rencontres dans son Art poétique. Il lui manque l'éclat de Ronsard dans les premières, la vigueur de Régnier dans les secondes, la netteté de Boileau dans le dernier; mais il suit son sentier après l'un et ouvre la route aux deux autres.

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Va donc, va, mon enfant, va-t-en à l'aventure,
Puisque de mon conseil obstiné tu n'as cure.
Toutefois si tu as quelquefois ce bon heur

De voir autour de toy quelques hommes d'honneur
Qui te prestent l'oreille, et qu'un soleil aimable
De ses rais 2 échauffans te rende favorable.....

Si l'on s'enquiert de toy quel homme je puis estre,

Di 3.

Di, que ne passant point encor dix et huict ans,

1. Cf. MARTIAL, Epigramm., I, 4:

Argiletanas mavis habitare tabernas,

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Cum tibi, parve liber, scrinia nostra vacent....

i, fuge; sed poteras tutior esse domi

2. Rais (Étym. radius), d'où rayon, de Saint-Pierre. Inus té aujourd'hui.

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-se trouve encore dans Bernardin

3. Ici le poète dit son origine, ses ayeux, ses premières années, son enthousiasme pour Baït et Ronsard.

Grimoult, Toutain et moy, poussez d'un beau printans,
Nous quittames Paris et les rives de Seine,

Vinmes dessus le Loir, sur la Sarte et sur Maine :
Lors Angers nous fit voir Tahureau, qui mignart
Nous affrianda tous au sucre de son art.

Delà nous vinmes voir les Nimphes Poitevines,
Qui suivoient par les prés, Françoises et Latines,
Le jeune Saintemarthe, et ses vers enchanteurs
Apres eux attiroient les filles et pasteurs.

Et di, qu'ayant encor sans cotton le visage,
Je mis au jour les vers de mon apprentissage.
Au lieu de demesler les epineuses lois,

Les Nimphes, les Sylvains nous suivions par les bois 1... Di, que je fus sujet à la haine, à l'envie

2

De plusieurs qui depres epluchèrent ma vie :
Et ne m'ayant haineux par medits pardonné 3,
Secret sur leurs medits mes mœurs je façonné“.
Di, que je fus d'ailleurs aimé de tout le monde,
D'un cœur ouvert et franc, de conscience ronde,
Et que j'aime chacun, mais, sur tous, ces esprits
Que la douceur d'amour et des muses tient pris.

(Satyres françoises, liv. I", dernière pièce :
A son livre.)

SUITE DU PORTRAIT DE VAUQUELIN PÁR LUI-MÊME

Je ne sçauroy, quand je sçay le contraire,
Suivre le mal et laisser à bien faire",

1. Vers charmants, où, dans l'âge mûr, tout un regain de jeunesse reverdit, sous le souvenir des jeunes enthousiasmes et des amities poétiques de la vingtième année. Les uns et les autres ne se retrouvent-ils pas à un moment de notre histoire littéraire du XIXe siècle, qui a plus d'un rapport avec le temps de Ronsard? Je parle de l'Ecole romantique et du cénacle de 18-6. Avec quel charme de verve ou de gaieté melancolique les rappellent et Th. Gautier en maint passage et Gérard de Nerval en sa Bohème galante! - TAHUREAU, du Mans, plus âgé que Vauquelin de neuf l'avait initié à la poésie. Il mourut l'année même où parurent les Foresteries qui lui sont dédiées, après avoir chanté sous le nom de l'Admirée celle qu'il épousa deux ans avant sa mort.

ans,

SCEVOLE DE SAINTEMARTHE,dans un sonnet mis par Vauquelin en tête des mèmes Foresteries, leur promettait à tous deux, avec la confiance de la jeunesse, l'immortalité. Il survécut seize ans à son vieil ami.

2. Exposé à, obnoxius; l'objet de..

3. Leurs médisances haineuses ne m'épargnèrent pas.

4. Il tirait parti de ces « utiles ennemis » dont, après Plutarque, parle Boileau, Epitre VII:

5. Manquer à.

Je sais sur leurs avis corriger mes erreurs
Et je mets à profit leurs malignes fureurs.

A l'honneur vray l'utile preferant :
Ni ne sçauroy trouver, au demeurant,
Fausses raisons pour rabattre à toute heure
Des gens d'honneur la fortune meilleure 1,
En élevant le jeune ambitieux,

L'avare ingrat et le traitre envieux.
Je ne sçauroy avoir la conscience
D'offencer Dieu en certaine science 2,
Nuisant à tel, qu'en mon cœur je sçay bien
Estre tenu pour un homme de bien...

Je ne sçauroy déguiser tant mon stile
Que de nommer un Thersite un Achille,
Ni, pour le sang antique et genereux,
Comme un Roland estimer un poureux 3.
Je ne sçauroy d'une bouche effrontee
D'un sot marmot" la Muse avoir vantee,
En assurant que le Grec, le Romain,
Ni le François n'ont eu tel escrivain.
Je ne sçauroy, de façon coustumiere,
Louer quelqu'un devant, et en derriere
En dire mal et me rendre si faint

Qu'aux riants rire et plaindre si l'on plaints.
Je ne sçauroy penser ce qu'il faut dire
Pour plaire au Prince en tout ce qu'il desire.
Je ne sçauroy la verité cacher

De

peur de voir un autre s'en facher.

Je ne sçauroy, double et plein de falace,
Tromper l'ami sous une aimable face.
Je ne sçauroy apeler bon ami

Celuy qui parle en flatant à demi.......

Je ne sçauroy, promettant faussement,
Decevoir Dieu par quelque faux serment,
Ni mes prochains et je ne m'approprie
Ce qui n'est mien, ni de mon industrie 8.

1. Ravaler, dénigrer, médire de...

2. L'art de la calomnie.

3. On a dit pour peur: poür, peour, paour, poor (Étym. pavorem); pour peureux paoros, peüros, paoureux (AMYOT).

4. Anciennement, nom du singe.

5. Cf. HORACE, A. Poét. v. 101:

Ut ridentibus arrident, ita flentibus adflent
Humani vultus.....

6. Duplex, par opposition à simplex; duplicité, simplicité (franchise). 7. Decipere.

8. Ce que je ne dois pas à mon activité et à mon intelligence (de, venant de).

Voilà pourquoi d'honorer ne me chaut1
Les grands à qui la Fortune plus vaut
Que le bon sens : et pourquoi tant m'agree
Auprès de Caen la Normande contree:
Et cela fait que nos lieux 2 me sont or 3
Ma cour, mon Louvre et mon palais encor *.
(Satyres françoises, liv. III.)

MISERE DES POÈTES

L'homme se fait pourement immortel
Quand il n'a point de pain à son hôtel".
Il ne vit point de luths et d'epinetes,
D'odes, sonnets d'amours, de chansonnettes;
Car entre nous ne vaut pas un liard
Le bon Virgile, au prix d'estre gaillard
Comme Vaumord, dont la fine ignorance,
A vingt pour cent, double son abondance.
Phoebus au pres ne seroit qu'un coquin
Qu'un cagnardier' n'ayant ne pain ne vin.....
Tout son cœur met en ses vers le poete,
Mais le Milourd son ame plus parfaite

1. Chaloir, importer, soucier. Ne s'emploie qu'impersonnellement. A vieilli. Etym.: calere, être chaud, et, de la, désirer. PASCAL: Que nous en chaut-il? LA FONTAINE: Non pourtant qu'il m'en chaille.

2. A nous autres qui vivons dans nos campagnes. Voyez cette idée développée largement, non sans un mélange de bonhomie, d'enthousiasme et de fierté, dans le morceau suivant.

3. Or, maintenant. Voyez le morceau suivant.

4. Cf. infra deux passages de Jean DE LA TAILLE et de PIBRAC, et RACAN, Stances à Tireis:

Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau.

A. CHÉNIER, Elégies XXIII, lui aussi trouve son indépendance et «<< son Louvre, non plus aux champs, comme le paysan de Racan, ou comme Vauquelin, gentilhomme campagnard, mais sous le toit ».

Quid Romæ faciam? mentiri nescio.....

a dit JUVENAL, avant Vauquelin. C'est ce que dit, après lui, REGNIER, Sat. III. Voyez infra. On y trouvera le « je ne sçaurois » de Vauquelin. MAYNARD (voir infra sa notice) a dit aussi :

Que ferai-je à la cour? j'adore la vertu,

Et les amis du Louvre adorent la fortune.

3. Pauvrement. Voy. le morceau précédent, note 4me.

6. Sic. On a souvent reproduit ce passage en écrivant autel. Le poète se comparerait à un Dieu dont l'autel est vide. Telle n'est ni l'orthographe ni la pensée de Vauquelin.

7. Cagnard, cagnardier, fainéant, gueux (Étym.: Cagne, chienne, du latin canis). On a dit cagnarder, cagnarderie. On a démoli récemment les cagnards de l'Hôtel-Dieu, arches sous lesquelles couchaient, aux siècles passés, les vagabonds. (Voyez Dictionn. de Richelet.)

8. Milord signifiait déjà, populairement, un homme très riche. Henri ESTIENNE dit « un gros milort »; BRANTOME, « ces gras usuriers milorts »; SCARRON, «<les gros milours ».

Met en son or au pres duquel combien
Pourroit valoir des Muses tout le bien?
O que lourdauts et que bestes nous sommes
De tant louer indignement les hommes!
J'entends les grands qui pensent qu'on leur doit
Tous les beaux vers qu'un bel esprit conçoit.....
De peu de cas les poetes se paissent,

Mais les larrons abondamment s'engraissent
De bons chapons, de perdris, de faisans,
Et sur leur table ayant tous mets plaisans,
Ils ont encor souvent chez eux une plantee,
Comme en trophé', la corne d'Amaltee1:
Vautours goulus, non jamais assouvis
De tant de biens qu'au peuple ils ont ravis,
Et va pressant leur griffe deloyale
Le suc coulant de l'eponge royale.
Les doctes sont tenus comme pedants,
Les grands vanteurs 2 avisez et prudants,
Accorts et fins : comme à poure canaille

3

Du pain au docte à grande peine on baille.....
On n'use point pour son manger et boire
De tous les chants des filles de Memoire
Ni d'Apollon, lequel le plus souvent,
Ayant disné, ne soupe que de vent.
Et puis, en fait, ni d'odes ni de ryme,
Tant bonnes soient, on ne fait point d'estime;
Chacun s'en moque, et le riche usurier
Ne bailleroit là dessus un denier.

Il faut porter une autre chose en gage,
Car on ne vit de vers ni de langage 5.

(Satyres françoises, liv. III; à J.-A. de Baif,
dernière pièce.)

1. Chèvre de Crète, nourrice de Jupiter. Une de ses cornes, arrachée et remplie de fruits par les Nymphes, devint la Corne d'abondance.

2. Aujourd'hui vantard. Ce troupeau vanteur qui tant en soy se fie (DESPORTES). De grands vanteurs petits faiseurs (ancien proverbe). La première édition de l'Académie maintient encore vanteur,

3. Accort (Etym. italien accorto), tient de avisé et de fin.

4. Les Muses nées de Jupiter et de Mnemosyne (Μνημοσύνη de μνήμη, me moire), fille du Ciel et de la Terre.

5. Cf. MOLIÈRE, Femmes Sav., III, 7.

Juvenal a exprimé le premier ces plaintes avec une âpre énergie. (Sat. VII, Litteratorum egestas):

Frange, miser, calamos, vigilataque prælia dele,
Qui facis in parvâ sublimia carmina sellâ,
Ut dignus venias bederis et imagine macra.
Spes nulla ulterior; didicit jam dives avarus
Tantum admirari, tantum laudare disertos.

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