Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Puis la vous mist tres bien soubz son esselle
Argent et tout (cela se doibt entendre),
Et ne croy point que ce fust pour la rendre,
Car oncques puis n'en ay ouy parler.

Brief, le villain ne s'en voulut aller
Pour si petit: mais encore il me happe
Saye, et bonnet, chausses, pourpoint et cappe:
De mes habitz (en effect) il pilla

Tous les plus beaulx et puis s'en habilla

Si justement, qu'à le veoir ainsi estre,

:

Vous l'eussiez prins (en plein jour) pour son maistre.
Finablement, de ma chambre il s'en va
Droit à l'étable, et deux chevaulx trouva;
Laisse le pire, et sur le meilleur monte,
Picque, et s'en va. Pour abreger le compte,
Soyez certain qu'au partir dudict lieu
N'oublya rien, fors à me dire adieu.

6

Ainsi s'en va chatouilleux de la gorge 5
Ledict valet, monté comme un sainct George:
Et nous laissa monsieur dormir son saoul.
Qui au resveil n'eust sceu finer d'un soul'.
Ce monsieur-là, Syre, c'estoit moymesme,
Qui, sans mentir, fuz au matin bien blesme,
Quand je me vey sans honneste vesture,
Et fort fasché de perdre ma monture.
Mais de l'argent, que vous m'aviez donné,
Je ne fuz point de le perdre estonné,
Car vostre argent, tresdébonnaire Prince,
Sans point de faulte est subject à la pince §.
Bien tost apres ceste fortune là,

Une autre pire encore se mesla

De m'assaillir, et chacun jour m'assault,

1. Auj. aisselle. Etym.: axilla, qui a d'ailleurs fait place à cla.

2. Saie, manteau grossier; saye, sayon, casaque ouverte des paysans et des soldats. Etymol.: sagum.

3. Vêtement juste, a signifie d'abord: qui s'ajuste exactement (justus et habilis ont ce sens); auj., qui est trop étroit ou trop court.

4. Ou hors, excepté. Etym.: foris, dehors.

5. Sentant la hart lui chatouiller la gorge.

6. D'où financer (Etymol. : finis), proprement: terminer un marché en payant.

7. Etymol.: solidum, pièce de monnaie pleine et de poids. D'où vient aussi solde.

8. Est sans faute, assurément, sujet à être pris. Pince, dans cette locution usuelle, est pris dans le sens de: action de pincer, non de: instrument pour pincer.

Me menaçant de me donner le sault 1,
Et de ce sault m'envoyer, à l'envers,
Rithmer 2 soubz terre et y faire des vers.
C'est une lourde et longue maladie
De troys bons moys, qui m'a toute eslourdie3.
La povre teste, et ne veult terminer,
Ains me contrainct d'apprendre à cheminer
Tant affoibly m'a d'estrange maniere,
Et si m'a faict la cuisse heronniere 5,
L'estomach sec, le ventre plat et vague.....
Que diray plus? au miserable corps
Dont je vous parle il n'est demouré fors
Le povre esprit qui lamente et souspire,
Et en pleurant tasche à vous faire rire.

Et pour autant, Syre, que suis à vous 6,
De trois jours l'ung viennent taster mon poulx
Messieurs Braillon, le Coq, Akaquia,
Pour me garder d'aller jusque à quia 7.
Tout consulté, ont remis au printemps
Ma guérison; mais, à ce que j'entens,
Si je ne puis au printemps arriver,
Je suis taillé de mourir en yver,
Et en danger, si en yver je meurs,
De ne veoir pas les premiers raisins meurs.
Voylà comment depuis neuf moys en ça9
Je suis traicté. Or ce que me laissa
Mon larronneau, long temps a, l'ay vendu,
Et en sirops et julez 10 despendu :

Ce neantmoins, ce que je vous en mande
N'est pour vous faire ou requeste ou demande :
Je ne veulx point tant de gens resembler 11,

1. Faire sauter le pas de vie à trèpas.

2. C'est le mot familier à Marot.

3. Edition de Lyon, 1544. D'autres éditions portent estourdie. 4. Marcher avec précaution, rapprendre à marcher.

5. Maigre comme la patte d'un héron.

6. Aussi vrai que.

7. Etre à quia représente la situation de celui à qui, dans la controverse, on pose une question cur ou quare, et qui répond quia, parce que, sans pouvoir aller plus loin. D'où le sens de: être réduit à la dernière extrémité. On dit mettre, réduire à quia.

8. Capable de. On dit auj.: taillé à, taillé pour. Vient du sens propre de taillé, c.-à-d. formé : un homme bien, mal taillé.

9. Jusqu'ici, jusqu'à ce jour. Cf.: Venez ça, en ce lieu. Etymol.: ecce hac. 10. Potion adoucissante. Etymol. julapium, bas latin, de jelâb, arabe, potion faite de fruits, eau et miel.

11. Ressembler est encore employé activement par Malherbe, Bossuet.

Qui n'ont soucy autre que

â

d'assembler1.
Tant qu'ilz vivront, ils demanderont eulx;
Mais je commence à devenir honteux,
Et ne veulx plus à vos dons m'arrester 2.
Je ne dy pas, si voulez rien3 prester,
Que ne le prenne. Il n'est point de presteur
(S'il veult prester) qui ne face ung debteur.
Et sçavez vous, Syre, comment je paye?
Nul ne le sçait, si premier ne l'essaye;
Vous me debvrez (si je puis) du retour :
Et vous feray encores ung bon tour 5;
A celle fin qu'il n'y ayt faulte nulle,
Je vous feray une belle cedulle 6,
A vous payer (sans usure il s'entend)
Quand on verra tout le monde content;
Ou (si voulez) à payer ce sera,

4

Quand vostre loz7 et renom cessera.
Et si sentez que soys foible de reins 8
Pour vous payer, les deux princes lorrains
Me pleigeront. Je les pense si fermes,
Qu'ilz ne fauldront pour moy à l'ung des termes.
Je sçay assez que vous n'avez pas peur
Que je m'enfuye, ou que je soys trompeur; ·
Mais il faict bon asseurer ce qu'on preste.
Brief, vostre paye (ainsi que je l'arreste)
Est aussi seure, advenant mon trespas,
Comme advenant que je ne meure pas.
Advisez donc : si vous avez desir
De rien prester, vous me ferez plaisir;
Car puis un peu 10, j'ay basty à Clement,
Là où j'ay faict un grand desboursement;

1. Colligere, amasser.

2. S'en tenir à, ne compter que sur.

3. Rien, jamais, personne ne doivent le sens négatif qu'à la négation, quand elle les accompagne.

4. Premièrement.

5. Je tournerai les choses d'une façon avantageuse pour vous.

6. 1 Simple feuille de papier pour prendre une note; 20 promesse de payer son seing privé, billet. Etymol.: schedula, de scheda, feuillet, page, venant de σχίδη, σχίζειν.

7. Laus.

8. On dit figurément avoir les reins solides, forts, être riche.

9. LA FONTAINE emploie encore pleiger; PASCAL, pleige, caution. Etymol. controversée. Les deux Lorrains sont: Jean, cardinal de Lorraine, et Claude de Lorraine, duc de Guise

10. Depuis peu. Etymol. post, qui a aussi le sens de depuis. Voyez SALLUSTE, Jug., V. Il feint qu'il a, comme les grands seigneurs, deux terres portant ses noms.

Et à Marot, qui est un peu plus loing :
Tout tumbera, qui n'en aura le soing.
Voila le poinct principal de ma lettre,
Vous sçavez tout, il n'y fault plus rien mettre :
Rien mettre, las! certes, et si feray,
Et ce faisant, mon style j'enfleray,

Disant: 0 roy amoureux des Neuf Muses,
Roy, en qui sont leurs sciences infuses,
Roy, plus que Mars, d'honneur environné,
Roy, le plus roy qui fut onc couronné,
Dieu tout puissant te doint pour t'estrener
Les quatre coings du monde à gouverner,
Tant pour le bien de la ronde machine,
Que pour aultant, que sur tous en es digne1.
(Epitres, 1, 14).

III

DU CHAMP D'ATTIGNY A MADAME D'ALENÇON2 (1521)

En campagne.

De jour en jour une campaigne verte
Voit on icy de gens toute couverte,

La pique au poing, les trenchantes espees
Ceinctes à droict 3, chausseures découppees,
Plumes au vent, et haultz fiffres sonner
Sur gros tabours qui font l'air resonner;
Au son desquelz, d'une fiere façon,
Marchent en ordre, et font le lymaçon,
Comme en bataille, affin de ne faillir,

Quand leur fauldra deffendre, ou assaillir,
Toujours crians, les ennemys sont nostres!

1. Cette épître a toujours été citée comme un des chefs-d'œuvre de Marot. « Il n'y a rien, dans notre langue, de plus piquant, de plus naïf, de plus malicieux, de plus adroit » (GÉRUZEZ). On y remarquera bon nombre de ces enjambements dont, après lui et à son exemple, ont fait un si heureux emploi La Fontaine et Voltaire, dans les vers de huit et dix syllabes.

2. Marot servait sous le duc d'Alençon, qui commandait l'avant-garde de l'armée conduite par le Roi contre Henri de Nassau, général de Charles-Quint. au secours de Mézières.

3. Au côté droit.

4. Le x1 siècle dit tabur (Ch. de Roland), Rabelais, tabour, d'Aubigné, tambour. Etymol. controversée. Sus, dominant le son des tambours.

5. Les soldats nouveaux, à qui on apprend des limaçons [sorte de manœuvre], font bien davantage de tours et retours, pour leur plaisir » (LANOUE). Cité par LITTRÉ.

Et en tel poinct sont les six mil apostres
Déliberez soubz l'espee Sainct Pol',

Sans qu'aucun d'eulx se montre lasche ou inol.
Souventesfoys par devant la maison

De monseigneur viennent à grand foyson
Donner l'aulbade 2 à coups de hacquebutes 3,
D'un autre accord qu'espinettes, ou flustes.
Apres oyt on sur icelle prairie

Par grand terreur bruyre l'artillerie
Comme canons doubles, et racourciz,
Chargez de poudre et gros bouletz massifz
Faisans tel bruict, qu'il semble que la terre
Contre le ciel veuille faire la guerre.

(Epitres, 1, 3.)

IV

AUX DAMES DE PARIS (1529)

Les larmes de Magdeleine.

Ayez bon cueur et contenez vos larmes,
Que vous avez pour les Adieux rendues.
Las, mieulx vauldroit les avoir espandues
Dessus les piedz de Christ, les essuyans
De vos cheveulx, et vos pechez fuyans,
Par repentance, avecques Magdalaine.
Qu'attendez-vous? Quand on est hors d'alaine,
La force fault. Quand vous serez hors d'aage,
Et que vos nerfz sembleront un cordage,
Plus de vos yeulx larmoyer ne pourrez,
Car sans humeur seiches vous demourrez :
Et quand vos yeulx pourroient pleurer encores,
Ou prendrez-vous les cheveulx qu'avez ores 7
Pour essuyer les piedz du roy des cieulx?

(Epitres, 11, 4.)

1. François de Bourbon, comte de Saint-Pol (1491-1545), fait chevalier par Bayard sur le champ de bataille de Marignan.

2. Donner un concert à l'aube.

3. Etym.: l'allemand Haken (croc pour appuyer l'arme), Buchse (canon d'arme à feu). Auj. Arquebuse.

4. Marot, qui savait conter, savait peindre, au moins esquisser d'une touche brillante un vit et gai tableau.

5. On imputait à Marot des Adieux satiriques aux Dames de Paris. Il se défendit dans une épitre (II. 3) de les avoir écrits. Ce désaveu ne désarma pas six dames de Paris. » Il promet de les faire repentir, et, parlant des farmes qu'elles auront alors à répandre, il ajoute les vers suivants. 6. Soyez fermes.

7. A l'heure qu'il est. Etymol.: hora. Or, conjonction, a la même étymologie, et, indiquant la suite d'un raisonnement, signifie maintenant.'

« AnteriorContinuar »