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Ariane (1672), son chef-d'œuvre, est touchante, éloquente et passionnée; le Comte d'Essex (1678) a des situations dramatiques. QUINAULT prélude à la gloire de ses opéras par quelques succès sur la scène tragique, où l'Astrate ferait encore, dit Voltaire, un «prodigieux effet ». LA FOSSE (1653-1718) se fait un nom durable par la meilleure des tragédies de second ordre, Manlius (1698). Des deux imitateurs de Racine, l'un, DUCHÉ (1668-1704), continue à écrire pour la maison de Saint-Cyr des pièces bibliques, parmi lesquelles Absalon (1790) est la plus estimée; l'autre, CAMPISTRON (1656-1723), fait apprécier son élégante facilité. LONGEPIERRE (1659-1721) fait applaudir sa Médée (1694).

Dans la comédie nous retrouvons QUINAULT et CAMPISTRON. Des acteurs poètes: MONTFLEURY (mort en 1685), HAUTEROCHE (mort en 1707), BARON (mort en 1729), qui fut élevé par Molière, méritent un souvenir; BOURSAULT (1638-1701) a de jolies scènes; DuFRÉNY (1648-1721) et DANCOURT (1661-1725) ont beaucoup de verve, de naturel et d'esprit (voir dans nos Prosateurs les groupes secondaires du XVIIe siècle); BRUEYS (1640-1723) donne avec PALAPRAT (1650-1721) le Grondeur (1691), «supérieur, dit Voltaire, à toutes les farces de Molière », et l'Avocat Patelin (1706), imitation de la farce célèbre du xv siècle: « Ce sont, dit encore Voltaire, les deux seuls ouvrages de génie que deux auteurs aient composés ensemble. » Tous, qu'ils aient écrit en prose ou en vers, sont effacés par REGNARD (1655-1709), qui faisait rire Despréaux, vieux et difficile.

La dernière comédie de Regnard, le Légataire, couvre de sa gaîté d'étranges libertés contre la morale et la loi, symptôme de cette dissolution de mœurs qui se préparait dans l'ombre, autour de la cour de Versailles attristée par la vieillesse de Louis XIV, et qui, après sa mort, devait éclater et s'étaler sous la Régence. Elle se mêlait au libertinage d'esprit et au culte de la poésie dans le palais du Temple bâti par le commandeur de Souvré, épicurien émérite, dont un vers de Boileau a gardé le souvenir (Sat. III, v. 23), et où le grand prieur de Vendôme réunit après lui dans des « soupers célebres tant de joyeux. convives. C'est là que le spirituel abbé DE CHAULIEU (1630-1720), « l'Anacréon du Temple », et le marquis de La FARE (1663-1712), dont le dieu était la paresse, lisaient leurs vers ingénieux et faciles. Ce sont, avec le spirituel SENECE (1643-1737), satirique, épigrammatiste et conteur de Nouvelles, les derniers représentants de la poésie du siècle de Louis XIV. On les retrouve tous les deux avec Fontenelle, La Motte, Saint-Aulaire, chez la duchesse du Maine, dans la petite cour littéraire de Sceaux, qui, ouverte avant, pendant et après la Régence, relie l'histoire des salons poétiques des xvie et xvII° siècles.

MALHERBE

1555-1628

FRANÇOIS DE MALHERBE, gentilhomme et catholique comme Ronsard, naquit à Caen, six ans après le manifeste de l'école qu'il devait combattre et remplacer. Son père ayant embrassé le calvinisme, il en conçut un tel chagrin qu'il quitta son pays natal à dixsept ans, et suivit le grand-prieur Henri d'Angoulême en Provence: il s'y maria, s'y battit pour la Ligue, et y fit des vers. C'est à ces premières poésies (les Larmes de saint Pierre, 1687; Bouquet de Fleurs de Sénéque, odes morales, 1590), dans lesquelles, il l'a reconnu, il « ronsardisait », comme tout le monde, et, comme Desportes, imitait les Italiens, qu'il dut de venir à Paris fonder contre eux une nouvelle école de poesie. Signalé à Henri IV comme «<< excellent poète » par Des Yveteaux, un des fils de Vauquelin de la Fresnaye, et par le cardinal Duperron, il fut attire à Paris, attaché à la maison du grand écuyer, M. de Bellegarde, et plus tard nommé gentilhomme ordinaire de la chambre. Il commença en 1605 le rôle qu'il poursuivit avec une inflexible ténacité par ses leçons et par ses exemples, sévère envers les autres et envers luimême, pour la pensée, pour le langage, pour l'harmonie, écrivant peu, publiant peu, donnant dans des recueils collectifs, ou seul, mais une à une, ses pièces diverses, odes, stances, paraphrases des Psaumes, chansons, etc. Tyran des mots et des syllabes, a-t-on dit, grammairien-poete, dit Sainte-Beuve, il mit la langue poétique a l'école; entêtée du vin fumeux de Ronsard, et affadie par les sucreries de Desportes, il lui impose un régime sévère, qui a pu l'amaigrir chez les faibles et les malingres, mais auquel resista le mâle et vigoureux tempérament de son génie. Le style sobre, plein et fort de Malherbe a un éclat quelque peu dur, mais il a son étincelle, et parfois aussi ses fleurs. Ses fresques magistrales sont, en somme, malgré des strophes sublimes de Corneille et de Racine, malgre de brillantes rencontres au xvII° et au XVIII° siècle, malgrẻ la profession de lyrisme que firent J.-B. Rousseau et Le Brun-Pindare, notre vraie et classique poésie lyrique, jusqu'à la rèvolution qu'y apporta le xixe siecle.

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Son premier recueil complet est de 1621. Ménage annota et publia en 1666 ses œuvres reunies. La Collection des grands écrivains de la France contient une édition définitive de ses oeuvres de vers et de prose, en cinq volumes in-8°: le premier suffit à ses poesies; les autres renferment ses traductions du XXXIIIe livre de Tite-Live, des Bienfaits et de quatre vingt-onze lettres de Séneque, sa correspondance, son curieux Commentaire critique de Desportes, et un précieux Lexique.

ODE AU ROY LOUIS XIII

Allant châtier la rébellion des Rochellois, et chasser les Anglais qui en leur faveur étoient descendus en l'île de Rhé 2.

1627

Donc un nouveau labeur à tes armes s'appreste:
Prends ta foudre, Louis, et va comme un lion

1. La pièce de Malherbe le plus souvent citée sont les Stances à Du

Donner le dernier coup à la derniere teste

De la rebellion 1.

Fais choir en sacrifice au demon 2 de la France
Les fronts trop eslevés de ces ames d'enfer;
Et n'espargne contre eux pour notre delivrance
Ny le feu ny le fer.

Assez de leurs complots l'infidele malice 3
A nourri le desordre et la sedition:

Quitte le nom de Juste, ou fais voir ta justice
En leur punition.

Le centieme decembre a les plaines ternies,
Et le centieme avril les a peintes de fleurs,
Depuis que parmy nous leurs brutales manies 5
Ne causent que des pleurs!

Dans toutes les fureurs des siecles de tes peres,
Les monstres les plus noirs firent-ils jamais rien
Que l'inhumanité de ces cœurs de viperes

Ne renouvelle au tien?

Par qui sont aujourd'huy tant de villes desertes,
Tant de grands bastimens en masures changés,
Et de tant de chardons les campagnes couvertes,
6
Que par ces enragés?

Les sceptres devant eux n'ont point de privileges,
Les immortels 7 eux-mesme en sont persecutés;

<< Les quatre

périer (voir dans notre Recueil des classes de grammaire). stances où il a paraphrasé une partie du psaume CXLV sont parfaites. Elles sont des derniers temps de sa vie, car sa vieillesse est allée jusqu'au terme en s'affermissant et se perfectionnant (voir ibidem). Son Ode à Louis XIII partant pour La Rochelle, qu'il a faite à 72 ans (près de 73; voyez la note à la strophe 22e), est la plus complète de toutes, la plus hardie de composition, de style, d'images, et vers la fin, la plus virilement touchante. » (SAINTE-BEUVE, Causer. du Lundi, t. VIII.)

1. Tout, dès cette première strophe, donne le ton du reste de l'ode: et le début d'une brusquerie insolite, et la mâle vigueur du troisième vers, et ces images courtes et pressées, ajoutons même, jusqu'à se relier mal entre elles; elles ne manqueront pas dans les strophes suivantes, mais avec un goût plus discret. La brièveté de ce rythme serré contribuera à accentuer la pensée.

2. Δαίμων, genie.

3. Malitia, la méchanceté; infidèle, révoltée. Ailleurs, il appelle noire malice le don d'Eurydice, si tôt retiré à Orphée par les Enfers.

4. Louis XIII a été surnommé Louis le Juste.

5. Mavia, furór, délire.

6. Que..., si ce n'est. Ce tour se retrouve constamment dans CORNEILLE, MOLIÈRE, etc.

1. Traces du paganisme latin, restées dans notre langue qui se remit à 1 école de l'antiquité au xvi' siècle. De même, on dit encore: Grands dieux! Bons dieux jurer ses Grands dieux.

Et c'est aux plus saincts lieux que leurs mains sacrileges
Font plus d'impietés.

Marche, va les destruire, esteins-en la semence ;
Et suis jusqu'à la fin ton courroux genereux,
Sans jamais escouter ni pieté ni clemence,
Qui te parle pour eux.

Ils ont beau vers le ciel leurs murailles accroistre 2,
Beau d'un soin assidu travailler à leurs forts,
Et creuser leurs fossés jusqu'à faire paroistre
Le jour entre les morts 3.

Laisse-les esperer, laisse-les entreprendre.
Il suffit que ta cause est la cause de Dieu,
Et qu'avecque ton bras elle a pour la defendre
Les soins de Richelieu

:

Richelieu, ce prelat de qui toute l'envie
Est de voir ta grandeur aux Indes se borner 5,
Et qui visiblement ne fait cas de sa vie
Que pour te la donner o.

Rien que ton interest n'occupe sa pensée,
Nuls divertissemens ne l'appellent ailleurs 7,
Et, de quelques bons yeux qu'on ait vanté Lyncée,
Il en a de meilleurs.

1. Le plus serait exigé aujourd'hui.

2. Grandir, élever jusqu'au ciel.

3. Cf. VIRGILE, Æn., VIII, 242 sqq.:

Non recus ac si qua penitus vi terra dehiscens
Infernas reseret sedes et regna recludat

Pallida, Dis invisa, supe que immane barathum
Cernatur, trepidentque immisso lumine manes.

4. Parmi les odes et les sonnets écrits par les poètes à la gloire de Richelieu, il faut distinguer une Ode de CHAPELAIN, qui commença sa réputation, et, dans cette ode, la strophe suivante :

De quelque insupportable injure
Que ton renom soit attaqué,

Il ne sauroit être offusqué;
La lumière en est toujours pure;
Dans un paisible mouvement
Tu t'élèves au firmament,

Et laisses contre toi murmurer sur la terre;
Ainsi le haut Olympe à son pied sablonneux
Laisse fumer la fondre et gronder le tonnerre,
Et garde son sommet tranquille et lumineux.

On a gardé encore le souvenir de deux odes à Richelieu, l'une de RACAN, l'autre de Adam BILLAUT, de Nevers, connu sous le nom de Maître Adam, qui resta menuisier en devenant poète (mort en 1662).

5. Non pas s'arrêter aux Indes, mais n'avoir de bornes que les Indes. 6. Te la consacrer.

7. Rien ne peut le distraire de la préoccupation de ton intérêt.

8. Les anciens attribuaient une vue perçante au lynx et à Lyncée, pilote

Son ame toute grande est une ame hardic,
Qui pratique si bien l'art de te secourir,

Que, pourveu qu'il soit creu, nous n'avons maladie
Qu'il ne sache guerir. . .

Certes, ou je me trompe, ou desjà la Victoire,
Qui son plus grand honneur de tes palmes attend,
Est aux bords de Charente en son habit de gloire,
Pour te rendre content.

Je la vois qui t'appelle, et qui semble te dire :
« Roy, le plus grand des roys, et qui m'es le plus cher,
Si tu veux que je t'aide à sauver ton empire,

Il est temps de marcher. >>

Que sa façon est brave 1, et sa mine asseurée !
Qu'elle a fait richement son armure estoffer 2 !
Et qu'il se connoist bien 3, à la voir si parée,
Que tu vas triompher!

Telle, en ce grand assaut où des fils de la Terre
La rage ambitieuse à leur honte parut,
Elle sauva le ciel, et rua le tonnerre

4

Dont Briare mourut.

Desjà de tous costés s'avançoient les approches
lci couroit Mimas, là Typhon se battoit,
Et là suoit Euryte à destacher les roches
Qu'Encelade jetoit 6.

Ces colosses d'orgueil furent tous mis en poudre,
Et tous couverts des monts qu'ils avoient arrachés 7
Phlegre qui les reçut, put encore la foudre

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9

Dont ils furent touchés.

des Argonautes, qui tua Castor et fut tué par Pollux (voyez PINDARE, N X). HORACE, Ep. I, 1, v. 28:

Non possís oculo quantum contendere Lynceus.

1 Que sa manière (façon) d'être, que son air est beau et brillant! Bravu 1° vaillant; 2° bien vêtu,

2. Garnir richement. Etym.: étoffe (de stupa, qui a donné étoupe). 3. Agnoscitur, on reconnaît. 4. Ruere, actif, lancer.

AEn. VI, 287).

Briare, ou Briarée, centumgeminus (VIRGILE,

5. Travaux d'attaque, terme de génie militaire.

6. Deux vers pleins et serrés, dont chaque mot parle aux yeux, et la rude harmonie, à l'oreille.

7. Cf. QUINAULT, Les Géants, infra. La strophe de Quinault est incomparable.

8. C'est dans une vallée de Macédoine, près de Phlegra ou Pallère, que .a fable place le combat des Géants contre les Dieux.

9. Put est la troisième personne de l'indicatif présent de l'ancien verbe pui, aujourd'hui puen

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