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Il cède enfin, il lui laisse épouser son jeune berger, et il le leur dit avec une larme et un sourire:

SILÈNE.

Je ne me vis jamais si touché de pitié;

Il me faut malgré moy souffrir leur amitié.

1

Sus donc, mes chers enfans, qu'aux nopces l'on s'appreste.
Je veux dès à ce soir en commencer la feste.
Pardonnez-moy tous deux si trop injustement
J'ay tousjours traversé vostre contentement.
Allons donc au logis. Venez aussi, Cleante,
Voir accomplir l'hymen d'une amour violente;
Venez disner chez moy. Vous n'y trouverez pas
Ces mets servis par ordre aux superbes repas
Qui de tant d'artifice ont leur grace pourveuë
Qu'ils semblent n'estre faits que pour paistre la veuë;
Mais ce qui se pourra selon ma pauvreté

D'un cœur libre et sans fard vous sera presenté.

(Ibid., III, 4.)

C'est lui qui donne la note finale, avec la même rondeur de bonne humeur touchante, relevée de je ne sais quelle dignité de vieillard et d'aïeul.

SILÈNE.

Sus donc, preparez-vous à gouster les delices
Dont l'amour satisfait vos fidelles services;
Et nous autres vieillards, amoureux du repos,
Allons vuider en rond les verres et les pots.
Le Ciel de toutes parts nous met en asseurance.
Il faut, mon frere, encor, après cette alliance,
Pour joindre de nos cœurs l'estroicte liaison,
Faire de nos maisons une seule maison.
Nous y verrons un jour nos gendres et nos filles
Dans un mesme foyer eslever nos familles,
Et vous, sage vieillard 2, y viendrez avec nous
Prendre part au repos que nous tenons de vous.
(Ibid., V, 5.)

MONOLOGUE DU VIEN ALCIDOR

Ne sçaurois-je trouver un favorable port
Où me mettre à l'abry des tempestes du sort?
Faut-il que ma vieillesse, en tristesse feconde,

1. A partir de, a, ab. 2. Le vieil Alcidor.

Sans espoir de repos erre par tout le monde?
Heureux qui vit en paix du laict de ses brebis,
Et qui de leur toison voit filer ses habits;

Qui plaint de ses vieux ans les peines langoureuses,
Où sa jeunesse a plaint les flammes amoureuses;
Qui demeure chez luy comme en son element,
Sans cognoistre Paris que de nom seulement',
Et qui, bornant le monde aux bords de son domaine,
Ne croit point d'autre mer que la Marne ou la Seine!
En cet heureux estat, les plus beaux de mes jours
Dessus les rives d'Oyse ont commencé leurs cours.
Soit que je prisse en main le soc ou la faucille,
Le labeur de mes bras nourrissoit ma famille;
Et lorsque le soleil en achevant son tour
Finissoit mon travail en finissant le jour,
Je trouvois mon foyer couronné de ma race;
A peine bien souvent y pouvois-je avoir place :
L'un gisoit au maillot, l'autre dans le berceau;
Ma femme, en les baisant, devidoit son fuseau.
Le temps s'y mesnageoit comme chose sacrée;
Jamais l'oisiveté n'avoit chez moy d'entrée.
Aussi les Dieux alors benissoient ma maison;
Toutes sortes de biens me venoient à foison.
Mais, helas! ce bonheur fut de peu de durée :
Aussi-tost que ma femme eut sa vie expiréc,
Tous mes petits enfans la suivirent de prés,
Et moy je restay seul, accablé de regrets,
De mesme qu'un vieux tronc relique de l'orage,
Qui se voit despouillé de branches et d'ombrage.
Ma houlette en mes mains, inutile fardeau,
Ne regit maintenant ni chèvre, ni troupeau.....
Voyant tant d'accidens m'arriver d'heure en heure,
Je cherche à me loger en une autre demeure,
Pour voir si ce malheur, à ma fortune joinct,
En quittant mon pays ne me quittera point,
Et si les champs où Marne à la Seine se croise
Me seront plus i.eureux que le rivage d'Oyse2.

(Ibid., V, 1.)

1. Cf. Le vieillard de Vérone, de Claudien.

2. Ce touchant monologue, cité partout, a toujours passé pour le morceau capital de l'ouvrage. Que de traits sobres et nets y peignent la nature! Quelles esquisses charmantes de tableaux rustiques et domestiques! En

A M. LE COMTE DE BUSSY DE BOURGOGNE

ODE

Bussy, nostre printemps s'en va presque expiré,
Il est temps de joüir du repos asseuré

Où l'âge nous convie :

Fuyons donc ces grandeurs qu'insensez nous suivons 1,
Et, sans penser plus loin, joüissons de la vie
Tandis que nous l'avons.

Donnons quelque relasche à nos travaux passez;
Ta valeur et mes vers ont eu du nom assez
Dans le siecle où nous sommes;

Il faut aimer nostre aise, et, pour vivre contens,
Acquerir par raison ce qu'enfin tous les hommes
Acquierent par le temps 2.

Que te sert de chercher les tempestes de Mars,
Pour mourir tout en vie au milieu des hazards
Où la gloire te menc?

Ceste mort qui promet un si digne loyer
N'est toûjours que la mort qu'avecque moins de peine
L'on trouve en son foyer.

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1. Nous poursuivons, recherchons. Sequi s'emploie en ce sens.
2. Avec le temps; en laissant venir, sans l'avancer, l'âge du repc 3.
3. Salaire (prix du gite, Locarium).

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Que sert à ces galans ce pompeux appareil
Dont ils vont dans la lice esbloüir le soleil
Des tresors du Pactole?

La gloire qui les suit après tant de travaux,
Se passe en moindre temps que la poudre qui vole
Du pied de leurs chevaux.

A quoy sert d'eslever les murs audacieux
Qui de nos vanitez font voir jusques aux cieux
Les folles entreprises?

Maints chasteaux, accablez dessous leur propre fais,
Enterrent avec eux les noms et les devises

De ceux qui les ont faits1.....

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1. Cf. L'expression des mêmes idées dans les Stances à Tircis (Morceaux choisis pour les classes de Grammaire). Racan, en ses odes, psaumes et stances, a su conduire harmonieusement toute période poétique et développer avec ampleur une idée morale dans tout genre de strophes. Voici une stance dont Malherbe, dit-on, était jaloux :

Il voit ce que l'Olimpe a de plus merveilleux,
Il y voit à ses pieds ces flambeaux orgueilleux
Qui tournent à leur gré la Fortune et sa rouë,
Et voit comme fourmis marcher nos légions
Dans ce petit amas de poussière et de boue
Dont nostre vanité fait tant de regions.

(Consolation à M. de Bellegarde sur la mort
de M. de Termes son frère.)

Cf. SENEQUE, Q. Nat., præfatio: Quum te in illa vere magna sustuleris, quoties videbis exercitus subrectis ire vexillis, et, quasi magnum aliquid agatur, equitem modo ulteriora explorantem, modo a lateribus affusum, libebit dicere:

It nigrum campis agmen...

(Voyez VIRGILE, E., VI, 405; il s'agit des fourmis)

Formicarum iste discursus est et in angusto laborantium... Punctum est istud in quo navigatis, in quo bellatis, in quo regna disponitis. - Sénèque devait être familier à Racan comme il l'était à Malherbe.

La stance suivante a devancé le Chêne et le Roseau, dont un passage la rappelle. On sait que La Fontaine proclamait Racan son « maître » avec Malherbe.

Tel qu'un chesne puissant, dont l'orgueilleuse teste,
Malgré tous les efforts que lui fait la tempeste
Fait admirer nature en son accroissement;

Et son tronc venerable aux campagnes voisines
Attache dans l'enfer ses secondes racines,

Et de ses larges bras touche le firmament.

Cf. VIRGILE, G., II, 296.
Période plus large encore:

(Ode pour M. de Bellegarde.

L'effort de peu de jours mettra dans le cercueil
Ces contempteurs du Ciel, ces tirans de la terre;
Le courroux du Seigneur, touché de eur orgueil,
A déjà sur leur teste appresté son tonnerre:
Leurs vains titres d'honneur seront anéantis,
Leurs palais, leurs chasteaux, si richement bastis,
A peine laisseront leurs traces dans les herbes,
Tandis que vous verrez couvrir en la saison
Vos costeaux de raisin, vos campagnes de gerbes,
Et la paix en tout temps benir vostre maison.

(Psaume XXXV.)

VOITURE

1598-1648

VINCENT VOITURE, né à Amiens d'un fermier des vins, fut le plus goûté des roturiers auxquels s'ouvrit l'aristocratique hôtel de Rambouillet. Il y tint son rang par le talent et s'y fit applaudir et respecter. Boileau, qui, en un vers, a mis Racan dans le voisinage d'Homère, a mis Voiture à côté d'Horace (Sar. IX, 1669), et, une autre fois, à côté de Malherbe (Epit. IX, 1675). La même année, il le déclare «< inimitable» (Lettre à M. de Vivonne). Vieilli, et à distance, il est plus froid: Voiture, encore « charmant », a d'insipides jeux de mots et des finesses aigues » (Sat. XII, de l'Equivoque) Voiture n'est en réalité, comme on l'a dit, que le père de l'ingenieuse badinerie. Mais, dans sa manie de broder des riens, il avait quelquefois beaucoup de délicatesse et d'agrement» (VOLTAIRE, Dictionn. philosoph.. Goût). Il avait avant tout de l'esprit : « Il etait beaucoup plus homme d'esprit que poete « (LA HARPE). Cela ne suffit pas a la postérité. Elle est moins indulgente pour lui que Boileau, qui ne s'est dedit qu'à moitié de ses premieres admirations; que l'hôtel de Rambouillet, qu'il amusait et qui lui passait la hardiesse de ses reparties; que Anne d'Autriche, qui un jour lui pardonna la familiarite un peu vive de quelques jolis vers. Elle a peu à glaner dans son petit recueil de Stances, Chansons, Epitres et Sonnets. Les Rondeaux, où il ne pouvait être prolixe, sont peut-être le meilleur de ses fantaisies poétiques: ce sont des bagatelles lestes et piquantes.

ÉPISTRE A MONSEIGNEUR LE PRINCE' SUR SON RETOUR
D'ALLEMAGNE, l'an 1645

Soyez, Seigneur, bien revenu

De tous vos combats d'Allemagne :
Et du mal qui vous a tenu

Sur la fin de cette campagne....
Mais dites-nous, je vous supplie,

La Mort, qui dans le champ de Mars,

Strophe lyrique :

Leurs (des années) courses entre-suivies
Vont comme un flus et reflus;

Mais le printemps de nos vies

Passe et ne retourne plus.
Tout le soin des destinées

Est de guider nos journées
Pas à pas vers le tombeau.
Le Temps de sa faux moissonne,
Et sans respecter personne,
Ce que l'homme a de plus beau.

(Ode. La Venue du Printemps, à M. de Termes.)

1. Le duc d'Enghien, devenu prince de Condé en 1646, par la mort de son père. Il tomba malade apres la victoire de Nordlingen sur les Impériaux (août 1643). La pièce que nous citons e partie est celle que La Harpe et Voltaire s'accordent à signaler particulièrement << Voiture écrit au grad Condé sur sa maladie Commencez doncques à songer, etc. Ces vers passent encore aujourd'hui pour être pleins de goût, et pour être les meilleurs de Voiture. (VOLTAIRE, Dictionn. philosophique, Goût.)

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