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Mais, puisque luy seul est ma vie,
Malgré les fortunes senestres 1,

Les yeulx ne seront point les maistres
Sur tout le corps, car par raison,
J'ayme mieulx perdre les fenestres
Que perdre toute la maison.

(IV, 29.)

III

DE CUPIDO ET DE SA DAME

Amour trouva celle qui m'est amere:

Et j'y estois, j'en sçay bien mieulx le compte 2:
Bon jour, dit-il, bon jour Venus, ma mere;
Puis tout à coup il veoit qu'il se mescompte,
Dont la couleur au visage luy monte,
D'avoir failly honteux Dieu sçait combien :
Non, non, Amour, ce dy je, n'ayez honte;
Plus clair voyans 3 que vous s'y trompent bien.

(III, 24.)

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ÉPITAPHE

DE MONSIEUR DUTOUR, MAISTRE ROBERT GEDOYN

6

Sçais-tu, passant, de qui est ce tombeau?
D'un qui jadis, en cheminant tout beau 5,
Monta plus haut que tous ceulx qui se hastent.
C'est le tombeau, là ou les vers s'appastent
Du bon vieillard agréable et heureux
Dont tu as vu tout le monde amoureux.
Cy gist, helas, plus je ne puis le taire,
Robert Gedoyn excellent secretaire,
Qui quatre roys servit sans desarroy 7.
Maintenant est avecques le grand Roy,

1. Malgré les mauvaises chances que je cours.
2. Je connais d'autant mieux l'histoire.

3. Allusion au bandeau que porte l'Amour.

4. C'est, ce me semble, dit Marmontel, le sel le plus fin, le plus délicat de l'épigramme; mais sous une apparence de simplicité qui le rend plus piquant encore. »

5. Doucement. A ce sens dans l'emploi exclamatif que l'on en fait: tout beau! Cf. infra, CORNEILLE (Don Sanche), et la note.

6. Se nourrissent (ad, pascor, pastus, d'où appast).

7. Trouble, désordre. Etymol. : dés, arroy, train, équipage. On a dit

aussi desroi.

Ou il repose apres travail et peine.
Or a vescu personne d'aage pleine 1,
Pleine de biens et vertu honorable:
Puis a laissé ce monde miserable,

Sans le regret qui souvent l'homme mord.
O vie heureuse, o bien heureuse mort 2!

(Cimetière, XXV.)

MELIN DE SAINT-GELAIS

1486-1558

M. Nisard a dit de Clément Marot: « C'est Villon à la cour, valet de chambre d'une reine et page d'un roi. Sorti du peuple, le service de la cour où il s'est policé n'a pas altéré le cachet de naïveté et de poésie dont il est marqué. Le naturel a résisté à la condition. » C'est peut-être la condition qui a marqué d'un cachet d'affeterie et de mignardise son ami MELIN DE SAINT-GELAIS, fils de gentilhomme, abbé et aumônier de cour, poète de cour, organisateur des fêtes et des mascarades de la cour, toujours pourvu d'un dixain, d'un quatrain, d'un rondeau, d'une chanson pour amuser tous et chacun, toujours en veine et en verve, rimant d'une main légère une bluette pour la belette d'une dame, une folie pour le psautier d'une demoiselle, spirituel, galant, mordant, aiguisant la pointe de l'épigramme gauloise où affinant celle du madrigal italien, qu'il rapporta de l'Italie avec le sonnet. Fin et avisé, il sut ménager à sa renommée vieillissante un déclin doux et souriant. Il ne perdit le vent qu'une fois, sur la fin de sa vie, et le reprit habilement. Le vieil enfant gâté de la cour de François Ier décocha quelquesunes de ces épigrammes où il excellait contre la jeune, brillante et belliqueuse école qui rajeunissait la poesie à la cour de Henri II. On les lui rendit; il les accepta en homme d'esprit, désarma toute colère, et, heureux jusqu'au bout, il s'endormit et mourut sous les fleurs sans épines que ses vainqueurs, généreux sans danger, jetèrent sur sa tombe.

Voir l'édition des Œuvres de Melin de Saint-Gelais par M. Blanchemain, 3 volumes, 1873 (Bibliothèque elzévirienne).

RONDEAU

A Dieu me plains, qui seul me peut entendre . Et qui congnoist quelle fin doyvent prendre

1. Plenus annis obiit (Plin. j., II, 1).

2. Le ton de cette épitaphe est remarquable par un mélange de gravité, de douceur et de mélancolie.

Tant de travaux, de ce commencement;
Car je suis seur (s'ils durent longuement)
Que je puis bien certaine mort attendre.
Assez congnois que trop veux entreprendre;
Mais quel remède? ailleurs ne puis entendre
Ny ne feray j'en fay vœu et serment
A Dieu.

Tende la mort son arc, s'elle veut tendre.
Je ne luy puis commander ny deffendre;
Une en a pris le pouvoir seulement :
Mais si tiendray-je en mon entendement
Ceste amitié, jusques à l'âme rendre
A Dieu.

DIXAIN

Si j'ay du bien, hélas, c'est par mensonge,
Et mon tourment est pure vérité:

Je n'ai douceur qu'en dormant et en songe,
Et en veillant je n'ay qu'austérité :
Le jour m'est mal, et bien, l'obscurité :
Le court sommeil ma dame me présente,
Et le réveil la fait trouver absente.
Ah! pauvres yeux, où estes-vous réduits?
Clos, vous voyez tout ce qui vous contente,
Tandis qu'ouverts, ne voyez rien qu'ennuis2?

ÉPIGRAMMES

D'UN PAÏSAN

Un maistre ès arts, mal chaussé, mal vestu,
Chez un paisan demandoit à repaistre,
Disant qu'on doit honorer la vertu

Et les sept arts, dont il fut passé maistre.

« Comment! sept arts, respond l'homme champestre : Je n'en sçay nul, hormis mon labourage;

Mais je suis saoul lorsqu'il me plaist de l'estre,

Et si nourris ma femme et mon mesnage! »>

1. Cependant (quoique les choses soient ainsi, sic).

2. Claude de Pontoux, mort jeune, en 1579, a exprimé la même idée dans un sonnet, dont plusieurs vers sont pris au dixain de Saint-Gelais. 3. Cf. le rondeau précédent et la note.

D'UN CHARLATAN

Un charlatan disoit en plein marché
Qu'il monstreroit le diable à tout le monde;
Si1 n'y eut nul, tant fust il empesché 2,
Qui ne courust pour voir l'esprit immonde.
Lors une bourse assez large et profonde
Il leur desploie, et leur dit: Gens de bien,
Ouvrez vos yeux, voyez, y a-t-il rien?
-Non, dit quelqu'un des plus près regardans.
Et c'est, dit-il, le diable, oyez vous bien,
Ouvrir sa bourse, et ne voir rien dedans.

A UN IMPORTUN

Tu te plains, amy, grandement,
Qu'en mes vers j'ay loué Clement'
Et que je n'ay rien dit de toy.
Comment veulx-tu que je m'amuse
A louer ny toy ny ta muse?

Tu le fais cent fois mieux que moy.

MALÉDICTION CONTRE UN ENVIEUX
Je prie à Dieu qu'il vous deint pauvreté,
Hiver saus feu, vieillesse sans maison,
Grenier sans bled en l'arriere-saison,
Cave sans vin tout le long de l'été.

Je prie à Dieu qu'à bon droict et raison
N'ayez chez vous rien qui ne vous deplaise,
Tant que pour estre un peu mieux à vostre aise
Vous pourchassiez d'estre mis en prison.

Je prie à Dieu, le roy du paradis,
Que mendiant vostre pain alliez querre
Seul, inconnu, et en estrange terre,
Non entendu par signes ni par ditz.

Je prie à Dieu que vous puissiez attendre
Qu'on ouvre l'huis, une nuit toute entiere,
Tout en pourpoint dessous une gouttiere,
Et que l'huis à vous ne veuille entendre 5.

1. Aussi (comme les choses étaient ainsi, sic). Cf. le rondeau précédent et la note.

2. Quelque empêché qu'il fût.

3. Clément Marot.

4. Poursuivre avec ardeur, demander avec instances.

5. On voit que Saint-Gelais a à l'occasion la verve satirique.

THÉODORE DE BÈZE

1519-1605

THEODORE DE BÈZE, né à Vézelay, après avoir étudié à Orléans et à Bourges, vint à Paris, et, comme d'Aubigné, auquel il ressemble par certains côtés, il s'y livra, avec tout l'emportement d'une jeunesse ardente, aux plaisirs, et avec tout le feu d'une vive imagination, à la poésie, partículièrement à la poésie latine, pour les chanter. Puis une maladie grave en fit un autre homme. Il alla à Genève embrasser la religion réformée, et là commença cette vie de travail, de controverse et de lutte par la plume, la parole et l'épée, qui lui donna un rôle considerable dans l'histoire politique et religieuse du xvi° siècle et une place parmi ses écrivains. Il enseigna à Lausanne, il porta la parole au colloque de Poissy (voir au Musée du Luxembourg le chef-d'œuvre de M. Robert Fleury), il se battit à Dreux, et gouverna, après Calvin, pendant quarante-deux ans (1563-1605) la république protestante de Genève. Poète, il traduisit Cent Psaumes de David, pour servir de complément à ceux de Marot, et composa le dernier des mysteres, Abraham sacrifiant (1552), mélange de grâce, de force, de naïveté et d'éloquence.

I

MONOLOGUE D'ABRAHAM1

O vaine attente, o vain espoir de l'homme!
C'est tout cela que je puis dire en somme.
J'ay prié Dieu qu'il me donnast lignee,
Pensant, helas! s'elle m'estoit donnee,
Que j'en aurois un merveilleux plaisir :
Et je n'en ay que mal et desplaisir !

De deux enfans, l'un j'ay chassé moy mesme 2,
De l'autre il faut, o douleur tres extresme!
Que je sois dict le pere et le bourreau !

Bourreau, helas! helas! ouy, bourreau !

O Dieu! o Dieu! au moins fais moy la grace...

1. Le mystère d'Abraham sacrifiant est une pièce courte, dont les cènes se suivent sans division en actes, quoique le théâtre de l'action change, entre un prologue et un épilogue adresses à « gros et menus, petits et grands ». Les personnages sont Abraham, Sara, Isaac, Satan, un ange, une troupe de bergers. Le plan de la pièce comprend les adieux de la mère et du fils, les apprêts du sacrifice, le sacrifice, l'intervention de l'ange. On y rencontre un cantique d'Abraham et de Sara, un cantique des bergers, un monologue de Satan, un monologue (que nous citons) d'Abraham, entrecoupé par les apartés, quelquefois railleurs, de Satan, que nous supprimons.

2. Ismaël.

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