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HYMNE A LA FRANCE

France! ô belle contrée, ô terre généreuse,

Que les dieux complaisants formaient pour être heureuse,
Tu ne sens point du nord les glaçantes horreurs;
Le midi de ses feux t'épargne les fureurs ;

Tes arbres innocents n'ont point d'ombres mortelles;
Ni des poisons épars dans tes herbes nouvelles
Ne trompent une main crédule, ni tes bois
Des tigres frémissants ne redoutent la voix ;
Ni les vastes serpents ne traînent sur tes plantes
En longs cercles hideux leurs écailles sonnantes.
Les chênes, les sapins et les ormes épais
En utiles rameaux ombragent tes sommets,
Et de Beaune et d'Aï les rives fortunées,
Et la riche Aquitaine, et les hauts Pyrénées,
Sous leurs bruyants pressoirs font couler en ruisseaux
Des vins délicieux mùris sur leurs coteaux.
La Provence odorante et de Zéphyre aimée
Respire sur les mers une haleine embaumée,
Au bord des flots couvrant, délicieux trésor,
L'orange et le citron de leur tunique d'or1;
Et plus loin, au penchant des c llines pierreuses,
Forme la grasse olive aux liqueurs savonneuses 2,
Et ces réseaux légers, diaphanes habits,
Où la fraîche grenade enferme ses rubis.
Sur tes rochers touffus la chèvre se hérisse 3;
Tes prés enflent de lait la féconde génisse,
Et tu vois tes brebis, sur le jeune gazon,
Epaissir le tissu de leur blanche toison.

Dans les fertiles champs voisins de la Touraine,
Dans ceux où l'Océan boit l'urne de la Seine,
S'élèvent pour le frein des coursiers belliqueux.
Ajoutez cet amas de fleuves tortueux :

2

rai faire un quadro », un cadre, un petit tableau, et l'esquisse attendait dans son portefeuille ou la plume du poète ou le pinceau du peintre. 1. Cf. quelques vers de GODEAU, p. 307.

2. Nous maintenons cette épithete des premières éditions, remplace dans les dernières par savoureuses.

3. Hérisser signifie : 10 dresser; CHÉNIER, l'Invention:

Hérisse d'un lion la crinière sanglante;

2° garnir de choses dressées et saillantes : Des rochers hérissert la montagne; BOILEAU:

Le chardon importun hérissa les gué: ets.

Se hérisser, se dresser. Etymol.: hérisson (ericius).

L'i domptable Garonne aux vagues insensées,
Le Rhône impétueux, fils des Alpes glacées,
La Seine au flot royal, la Loire dans son sein
Incertaine, et la Saône, et mille autres enfin
Qui nourrissent partout, sur tes nobles rivages,
Fleurs, moissons et vergers, et bois, et pâturages,
Rampent au pied des murs d'opulentes cités,
Sous les arches de pierre à grand bruit emportés.
Dirai-je ces travaux, source de l'abondance,
Ces ports où des deux mers l'active bienfaisance
Amène les tributs du rivage lointain,
Que visite Phébus le soir et le matin?
Dirai-je ces canaux, ces montagnes percées,
De bassins en bassins ces ondes amass es

Pour joindre au pied des monts l'une et l'autre Téthys1 ? Et ces vastes chemins en tous lieux départis,

Où l'étranger, à l'aise achevant son voyage,

Pense au nom des Trudaine et bénit leur ouvrage ??...

. . O France! trop heureuse

Si tu voyais tes biens, si tu profitais mieux
Des dons que tu reçus de la bonté des cieux 3 !.......

3

(Hymnes, I, t. II.)

1. Le canal du Languedoc fut commencé en 1666 par Pierre-Paul Riquet, de Béziers, et inauguré en 1681, six mois après sa mort. Dès 1668 Boileau disait (Ep., 1):

J'entends déjà frémir les deux mers, étonnées
De voir leurs flots unis au pied des Pyrénées.

2. Daniel-Charles Trudaine (1703-1769), qui dirigea le commerce, les manufactures, les ponts et chaussées, fit exécuter des ponts et des routes royales, qui comptent parmi les plus beaux ouvrages du règne de Louis XV. Ses petits-fils furent les amis de Chénier.

3. Cf. l'éloge de l'Italie, par VIRGILE, Géorg., II, 135-175. Le plan des deux poètes est le même : o les dons naturels du sol, arbres, fruits, animaux, etc.; 2° les travaux des hommes; 30 les vertus de la race. (Nous supprimons cette partie de l'Hymne de Chénier, moins frappante que ce qui précède.) La conclusion seule differe: celle de Virgil est une exclamation d'enthousiasme et de triomphe; celle de Chénier, une exclamation de douleur, suivie de plaintes amères et de regrets patriotiques sur la misère du peuple, les abus de la fiscalité, et un appel éloquent à l'égalité et à la liberté. Cette seconde partie de l'Hymne est de même étendue que la première. Nous ne signalons en détail ni les nombreuses imitations des formes grecques et latines que renferme cet Hymne, ni les épithetes hardies et pittoresques, ni les rejets expressifs. Nous ferons seulement remarquer l'ampleur harmonique du vers: Sous les arches, etc., identique à celle du vers de Virgile:

Fluminaque antiquos sr terlabentia muros.

IAMBES1

LES DERNIERS VERS DE CHÉNIER

Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphire
Animent la fin d'un beau jour,

Au pied de l'échafaud j'essaye encor ma lyre.
Peut-être est ce bientôt mon tour.

Peut-être, avant que l'heure en cercle promenée
Ait posé sur l'émail brillant,

Dans les soixante pas où sa course est bornée,
Son pied sonore et vigilant 2,

Le sommeil du tombeau pressera ma paupière.
Avant que de ces deux moitiés

Ce vers que je commence ait atteint la dernière,
Peut-être en ces murs effrayés

Le messager de mort, noir recruteur des ombres,
Escorté d'infâmes soldats,

Ébranlant de mon nom ces longs corridors sombres,
Où seul dans la foule à grands pas

J'erre, aiguisant ces dards persécuteurs du crime,
Du juste trop faibles soutiens,

Sur mes lèvres soudain va suspendre la rime;
Et chargeant mes bras de liens,

Me traîner, amassant en foule à mon passage,
Mes tristes compagnons reclus,

Qui me connaissaient tous avant l'affreux message,
Mais qui ne me connaissent plus...

S'il est écrit aux cieux que jamais une épée
N'étincellera dans mes mains;

1. Les XI Iambes ou fragments d'Iambes (t. II, p. 287-301) de Chénier sont, avant les Iambes d Barbier et les Châtiments de V. Hngo, la plus vigoureuse satire politique de la poésie française. Ardent et vaillant jour naliste du parti de la monarchie constitutionnelle, il fut incarcéré en 1794, et il continua à écrire des iambes dans la prison où il se représente (Iambes, VII) parqué avec mille autres moutons comme lui», qui, dit-il,

Pendus aux crocs sanglants du charnier populaire,
Seront servis au peuple-roi.

C'est dans cette même prison qu'il écrivit la ravissante élégie, ou ode,
de la Jeune Captive. Voyez le Recueil des classes de grammaire.
2. On trouvera sans doute que cette longne périphrase descriptive, in-
dustrieuse..ent agencée, à la manière du temps, emprunte quelque chose
d'héroïque au voisinage de la mort qui attendait le poète.
-On voit, au
centre du célèbre tableau de M. Muller (Le Dernier appel des condamnés)
Chénier assis, la tête sur une main, le papier dans l'autre, méditant ses

vers.

Dans l'encre et l'amertume une autre arme trempée
Peut encore servir les humains...

1

Mourir sans vider mon carquois 1!

Sans percer, sans fouler, sans pétrir dans leur fange
Ces bourreaux barbouilleurs de lois!

Ces vers cadavéreux de la France asservie,
Egorgée!..... mon cher trésor,

O ma plume, fiel, bile, horreur, dieux de ma vie!
Par vous seuls je respire encor...

(lambes, Xl, t. II.)

XVIII SIÈCLE

(Suite)

LES GROUPES SECONDAIRES

Bien des poètes auraient droit à une place honorable dans ces groupes. Nous en écarterons plusieurs : les uns, parce que, comme Louis Racine, ils en trouvent une dans notre Recueil des classes de grammaire; les autres, parce que la nature ou le ton des sujets qu'ils ont chantés les exclue d'un Recueil classique; d'autres, par exemple, des poètes de l'école descriptive, des poètes bucoliques, et même le regretté Malfilâtre, parce que les défauts et les abus du style poétique de leur siècle empêcheraient le nôtre de les goûter. Nous choisirons seulement, dans les oeuvres lyriques, quelques strophes dont le temps n'a pas effacé l'éclat, dans les œuvres d'un genre moins sévère quelques passages où l'on trouve la facilité spirituelle qui est un des caractères de la poésie du xvIIIe siècle, enfin quelques fragments idylliques ou descriptifs.

LE FRANC, marquis de POMPIGNAN (1709–1784), avocat général, puis premier président à la Cour des Aides de Montauban, mérita de se faire exiler par l'ardeur généreuse avec laquelle il s'éleva contre les abus de la perception des impôts. Il ne cessa, au milieu de solides travaux de jurisprudence, d'érudition et d'histoire, de cultiver la poésie, fit applaudir en 1734 une tragédie de Didon, qui a au moins le mérite du pathétique, et donna, sous forme d'odes, des traductions des psaumes de David (1751) et des Prophéties et Cantiques (1755). Ses Poésies sacrées ont été un peu vengées par La Harpe des épigrammes de Voltaire, qui, tout er. estimant l'homme, ne pardonnait pas au chrétien ses sévérités, quelquefois

1. Cf. Rodrigue (Le Cid, I, 6):

Mourir sans tirer ma raison?

maladroites, contre la philosophie du temps. Il entra à l'Académie en 1760. Son Ode sur la mort de J.-B.Rousseau a fait vivre son nom. Un autre honnête homme, qui a été l'ami de Bernardin de SaintPierre et de Ducis, qui s'est fait, malgré la pesanteur de son style, un coin d'originalité par ses Éloges (voir notre Recueil des Prosateurs), et qui a laborieusement et habilement versifié une Pétréide sur les voyages de Pierre le Grand, THOMAS (1732-1785) a trouvé un jour des accents élevés et touchants dans son Ode sur le Temps. Les deux Odes de Le Franc et de Thomas effacent, à notre avis, les Odes de L. Racine sur l'Harmonie et de Malfilâtre sur le Soleil fixe au milieu des Planètes.

Ce voisinage est un peu sévère pour Jean-François PANARD (16941765), chansonnier et poète dramatique, qui fournit d'opéras comiques le Théâtre de la Foire; mais il a su revêtir d'un esprit piquant, aisé et naturel, le bon sens des maximes morales qui abondent dans ses œuvres. Il appartenait à ce groupe, ou, si l'on veut, à cette << école », comme dit M. Saint-Marc Girardin (Cours de litt. dram., IX), qui exprime fidèlement ce qu'il appelle « le milieu de la société du XVIe siècle », et où « viennent se réunir des opinions contradictoires qui se tempèrent l'une par l'autre, un peu de philosophie et un peu de religion, etc. » COLLÉ (1709-1783) y donne la main à Panard par ses chansons, ses comédies de la Partie de Chasse de Henri IV, qui est sa meilleure pièce, et Dupuis et Desronais, terminé par ces deux vers qui en sont le couronnement et la moralité :

Et, s'il se peut, sois toujours mon ami,
Quoique tu deviennes mon gendre.

DESMAHIS (1722-1761) n'est pas de cette école. Il fut encouragé par Voltaire, avec lequel il échangea de jolies épîtres; il écrivit avec délicatesse des petits vers et sema de traits piquants sa comédie de L'Impertinent.

Autre est RULHIÈRE (1735–1791): historien brillant, quelquefois profond, la poésie fut pour lui une distinction. Son Épitre sur les isputes est d'un tour aisé, franc et gai.

C'est aussi le caractère du style d'un aimable poète comique, COLLIN D'HARLEVILLE (1755-1806), dont les comédies principales appartiennent au XVIIIe siècle. Le « bon » Collin d'Harleville donna l'Inconstant en 1786, l'Optimiste en 1788, les Châteaux en Espagne en 1789, M. de Crac dans son petit Castel en 1791, le Vieux Célibataire, son chefd'œuvre, en 1792. Ne séparons pas de lui son ami ANDRIEUX (17591834), qui appartient au XVIIIe siècle par le plus vif de ses succès, les Étourdis (1787), comédie de belle et bonne humeur, dont M. Nisard a dit avec indulgence: « C'est bien de l'école de Regnard et des Mémoires de Gramont, que lisait alors Andrieux, pour s'y tenir

en verve. »

Collin et Andrieux ont échappé tous deux par la nature, soit de leur esprit, soit du genre où ils ont écrit, à ce défaut, commun à leur temps, de la sensibilité un peu déclamatoire, qui gâte trop souvent deux poètes, leurs contemporains, morts jeunes tous deux,

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