HYMNE A LA FRANCE France! ô belle contrée, ô terre généreuse, Que les dieux complaisants formaient pour être heureuse, Tes arbres innocents n'ont point d'ombres mortelles; Dans les fertiles champs voisins de la Touraine, 2 rai faire un quadro », un cadre, un petit tableau, et l'esquisse attendait dans son portefeuille ou la plume du poète ou le pinceau du peintre. 1. Cf. quelques vers de GODEAU, p. 307. 2. Nous maintenons cette épithete des premières éditions, remplace dans les dernières par savoureuses. 3. Hérisser signifie : 10 dresser; CHÉNIER, l'Invention: Hérisse d'un lion la crinière sanglante; 2° garnir de choses dressées et saillantes : Des rochers hérissert la montagne; BOILEAU: Le chardon importun hérissa les gué: ets. Se hérisser, se dresser. Etymol.: hérisson (ericius). L'i domptable Garonne aux vagues insensées, Pour joindre au pied des monts l'une et l'autre Téthys1 ? Et ces vastes chemins en tous lieux départis, Où l'étranger, à l'aise achevant son voyage, Pense au nom des Trudaine et bénit leur ouvrage ??... . . O France! trop heureuse Si tu voyais tes biens, si tu profitais mieux 3 (Hymnes, I, t. II.) 1. Le canal du Languedoc fut commencé en 1666 par Pierre-Paul Riquet, de Béziers, et inauguré en 1681, six mois après sa mort. Dès 1668 Boileau disait (Ep., 1): J'entends déjà frémir les deux mers, étonnées 2. Daniel-Charles Trudaine (1703-1769), qui dirigea le commerce, les manufactures, les ponts et chaussées, fit exécuter des ponts et des routes royales, qui comptent parmi les plus beaux ouvrages du règne de Louis XV. Ses petits-fils furent les amis de Chénier. 3. Cf. l'éloge de l'Italie, par VIRGILE, Géorg., II, 135-175. Le plan des deux poètes est le même : o les dons naturels du sol, arbres, fruits, animaux, etc.; 2° les travaux des hommes; 30 les vertus de la race. (Nous supprimons cette partie de l'Hymne de Chénier, moins frappante que ce qui précède.) La conclusion seule differe: celle de Virgil est une exclamation d'enthousiasme et de triomphe; celle de Chénier, une exclamation de douleur, suivie de plaintes amères et de regrets patriotiques sur la misère du peuple, les abus de la fiscalité, et un appel éloquent à l'égalité et à la liberté. Cette seconde partie de l'Hymne est de même étendue que la première. Nous ne signalons en détail ni les nombreuses imitations des formes grecques et latines que renferme cet Hymne, ni les épithetes hardies et pittoresques, ni les rejets expressifs. Nous ferons seulement remarquer l'ampleur harmonique du vers: Sous les arches, etc., identique à celle du vers de Virgile: Fluminaque antiquos sr terlabentia muros. IAMBES1 LES DERNIERS VERS DE CHÉNIER Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphire Au pied de l'échafaud j'essaye encor ma lyre. Peut-être, avant que l'heure en cercle promenée Dans les soixante pas où sa course est bornée, Le sommeil du tombeau pressera ma paupière. Ce vers que je commence ait atteint la dernière, Le messager de mort, noir recruteur des ombres, Ébranlant de mon nom ces longs corridors sombres, J'erre, aiguisant ces dards persécuteurs du crime, Sur mes lèvres soudain va suspendre la rime; Me traîner, amassant en foule à mon passage, Qui me connaissaient tous avant l'affreux message, S'il est écrit aux cieux que jamais une épée 1. Les XI Iambes ou fragments d'Iambes (t. II, p. 287-301) de Chénier sont, avant les Iambes d Barbier et les Châtiments de V. Hngo, la plus vigoureuse satire politique de la poésie française. Ardent et vaillant jour naliste du parti de la monarchie constitutionnelle, il fut incarcéré en 1794, et il continua à écrire des iambes dans la prison où il se représente (Iambes, VII) parqué avec mille autres moutons comme lui», qui, dit-il, Pendus aux crocs sanglants du charnier populaire, C'est dans cette même prison qu'il écrivit la ravissante élégie, ou ode, vers. Dans l'encre et l'amertume une autre arme trempée 1 Mourir sans vider mon carquois 1! Sans percer, sans fouler, sans pétrir dans leur fange Ces vers cadavéreux de la France asservie, O ma plume, fiel, bile, horreur, dieux de ma vie! (lambes, Xl, t. II.) XVIII SIÈCLE (Suite) LES GROUPES SECONDAIRES Bien des poètes auraient droit à une place honorable dans ces groupes. Nous en écarterons plusieurs : les uns, parce que, comme Louis Racine, ils en trouvent une dans notre Recueil des classes de grammaire; les autres, parce que la nature ou le ton des sujets qu'ils ont chantés les exclue d'un Recueil classique; d'autres, par exemple, des poètes de l'école descriptive, des poètes bucoliques, et même le regretté Malfilâtre, parce que les défauts et les abus du style poétique de leur siècle empêcheraient le nôtre de les goûter. Nous choisirons seulement, dans les oeuvres lyriques, quelques strophes dont le temps n'a pas effacé l'éclat, dans les œuvres d'un genre moins sévère quelques passages où l'on trouve la facilité spirituelle qui est un des caractères de la poésie du xvIIIe siècle, enfin quelques fragments idylliques ou descriptifs. LE FRANC, marquis de POMPIGNAN (1709–1784), avocat général, puis premier président à la Cour des Aides de Montauban, mérita de se faire exiler par l'ardeur généreuse avec laquelle il s'éleva contre les abus de la perception des impôts. Il ne cessa, au milieu de solides travaux de jurisprudence, d'érudition et d'histoire, de cultiver la poésie, fit applaudir en 1734 une tragédie de Didon, qui a au moins le mérite du pathétique, et donna, sous forme d'odes, des traductions des psaumes de David (1751) et des Prophéties et Cantiques (1755). Ses Poésies sacrées ont été un peu vengées par La Harpe des épigrammes de Voltaire, qui, tout er. estimant l'homme, ne pardonnait pas au chrétien ses sévérités, quelquefois 1. Cf. Rodrigue (Le Cid, I, 6): Mourir sans tirer ma raison? maladroites, contre la philosophie du temps. Il entra à l'Académie en 1760. Son Ode sur la mort de J.-B.Rousseau a fait vivre son nom. Un autre honnête homme, qui a été l'ami de Bernardin de SaintPierre et de Ducis, qui s'est fait, malgré la pesanteur de son style, un coin d'originalité par ses Éloges (voir notre Recueil des Prosateurs), et qui a laborieusement et habilement versifié une Pétréide sur les voyages de Pierre le Grand, THOMAS (1732-1785) a trouvé un jour des accents élevés et touchants dans son Ode sur le Temps. Les deux Odes de Le Franc et de Thomas effacent, à notre avis, les Odes de L. Racine sur l'Harmonie et de Malfilâtre sur le Soleil fixe au milieu des Planètes. Ce voisinage est un peu sévère pour Jean-François PANARD (16941765), chansonnier et poète dramatique, qui fournit d'opéras comiques le Théâtre de la Foire; mais il a su revêtir d'un esprit piquant, aisé et naturel, le bon sens des maximes morales qui abondent dans ses œuvres. Il appartenait à ce groupe, ou, si l'on veut, à cette << école », comme dit M. Saint-Marc Girardin (Cours de litt. dram., IX), qui exprime fidèlement ce qu'il appelle « le milieu de la société du XVIe siècle », et où « viennent se réunir des opinions contradictoires qui se tempèrent l'une par l'autre, un peu de philosophie et un peu de religion, etc. » COLLÉ (1709-1783) y donne la main à Panard par ses chansons, ses comédies de la Partie de Chasse de Henri IV, qui est sa meilleure pièce, et Dupuis et Desronais, terminé par ces deux vers qui en sont le couronnement et la moralité : Et, s'il se peut, sois toujours mon ami, DESMAHIS (1722-1761) n'est pas de cette école. Il fut encouragé par Voltaire, avec lequel il échangea de jolies épîtres; il écrivit avec délicatesse des petits vers et sema de traits piquants sa comédie de L'Impertinent. Autre est RULHIÈRE (1735–1791): historien brillant, quelquefois profond, la poésie fut pour lui une distinction. Son Épitre sur les isputes est d'un tour aisé, franc et gai. C'est aussi le caractère du style d'un aimable poète comique, COLLIN D'HARLEVILLE (1755-1806), dont les comédies principales appartiennent au XVIIIe siècle. Le « bon » Collin d'Harleville donna l'Inconstant en 1786, l'Optimiste en 1788, les Châteaux en Espagne en 1789, M. de Crac dans son petit Castel en 1791, le Vieux Célibataire, son chefd'œuvre, en 1792. Ne séparons pas de lui son ami ANDRIEUX (17591834), qui appartient au XVIIIe siècle par le plus vif de ses succès, les Étourdis (1787), comédie de belle et bonne humeur, dont M. Nisard a dit avec indulgence: « C'est bien de l'école de Regnard et des Mémoires de Gramont, que lisait alors Andrieux, pour s'y tenir en verve. » Collin et Andrieux ont échappé tous deux par la nature, soit de leur esprit, soit du genre où ils ont écrit, à ce défaut, commun à leur temps, de la sensibilité un peu déclamatoire, qui gâte trop souvent deux poètes, leurs contemporains, morts jeunes tous deux, |