Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Ce pendant que j'ahanne1
A mon blé que je vanne
A la chaleur du jour 2.

(Divers Jeux rustiques.)

LE POÈTE COURTISAN

Je ne veulx point icy du maistre d'Alexandre
Touchant l'art poëtic les preceptes t'apprendre :
Tu n'apprendras de moy comment jouer il fault
Les miseres des roys dessus un eschafault:
Je ne t'enseigne l'art de l'humble comœdie,
Ni du Mëonien 3 la muse plus hardie:

Je te veulx peindre icy, comme un bon artisan,
De toutes ses couleurs l'Apollon courtisan.
A ce gentil mestier, il fault que de jeunesse
Aux ruses et façons de la court il se dresse.
Ce precepte est commun: car qui veult s'avancer
A la court, de bonne heure il convient commencer.
Je ne veulx que long temps à l'estude il pallisse,
Je ne veulx que resveur sur le livre il vieillisse,
Feuilletant, studieux, tous les soirs et matins
Les exemplaires grecs et les autheurs latins.
Ces exercices-là font l'homme peu habile,
Le rendent catarreux, maladif et debile,
Solitaire, facheux, taciturne et songeard;
Mais nostre courtisan est beaucoup plus gaillard.
Pour un vers allonger ses ongles il ne ronge,
Il ne frappe sa table, il ne resve, il ne songe
Se brouillant le cerveau de pensemens divers,
Pour tirer de sa teste un miserable vers

1. Ahaner, éprouver une grande fatigue en faisant quelque chose. Atlas ahane, dit Marot. Tu sçais combien ahane mon âme en compaignie d'un corps si tendre, dit Montaigne. Etymol.: ahan, grand effort, comme de l'homme qui soulève un fardeau ou fend du bois. De là suer d'ahan, origine incertaine, probablement onomatopée.

2. Cette Chanson est quelquefois improprement intitulée « Villanelle»: la Villanelle comporte un refrain (voyez p. 3). Petite pièce toute chantante et ailes déployées, qui sent la gaieté naturelle des campagnes au lendemain de la moisson, et qui nous arrive dans l'écho. » (SAINTEBEUVE, 1840)

3. HOMÈRE, Mæonides.

4. Cf. HORACE, Sat., I, 10, 70:

PERSE, I, 106:

In versu faciendo

Sæpe caput scaberet, vivos et roderet ungues.

Nec pluteum cædit, nec demorsos sapit ungues.

Qui ne rapporte, ingrat, qu'une longue risee
Par tout où l'ignorance est plus authorisee.

Toy donc qui as choisy le chemin le plus court,
Pour estre mis au rang des sçavans de la court, .
Sans mascher le laurier, ny sans prendre la peine
De songer en
1 Parnasse, et boire à la fontaine
Que le cheval volant de son pié fit saillir 2,
Faisant ce que je dy, tu ne pourras faillir.

Je veux en premier lieu que, sans suivre la trace
(Comme font quelques uns) d'un Pindare et Horace,
Et sans vouloir, comme eux, voler si haultement,
Ton simple naturel tu suives seulement.

Ce procès tant mené, et qui encore dure,

Lequel des deux vault mieulx, ou l'art, ou la nature
En matiere de vers3, à la cour est vuidé;
Car il suffit icy que tu soyës guidé

Par le seul naturel, sans art et sans doctrine,
Fors cest art qui apprend à faire bonne mine;
Car un petit sonnet qui n'a rien que le son,
Un dixain à propos, ou bien une chanson,
Un rondeau bien troussé, avec une ballade
(Du temps qu'elle couroit), vault mieux qu'une Iliade.
Laisse moy donques là ces Latins et Gregeois,
Qui ne servent de rien au poëte françois,

Et soit la seule court ton Virgile et Homere;

Puis qu'elle est (comme on dit) des bons esprits la mere, La court te fournira d'argumens suffisans,

Et seras estimé entre les mieulx disans,

Non comme ces resveurs, qui rougissent de honte,
Fors entre les sçavans desquelz on ne fait compte.
Or, si les grands seigneurs tu veux gratifier",
Argumens à propos il te faut espier,

Comme quelque victoire ou quelque ville prise,
Quelque nopce, ou festin, ou bien quelque entreprise
De masque ou de tournoy, avoir force desseings
Desquelz à ceste fin tes coffres seront pleins.

5

Je veux qu'aux grands seigneurs tu donnes des devises,

1. Sur le Parnasse.

2. Pégase.

3. Cf. HORACE, A. P., 408, sqq.

4. Gratificari, yapistola, être agréable à.

5. Projets et plans d'ouvrages.

6. Les Latins appelaient scrinium le coffret où ils mettaient les manuscrits roulés.

Je veux que tes chansons en musique soyent mises,
Et à fin que les grands parlent souvent de toy,
Je veux que l'on les chant' dans la chambre du Roy.
Un sonnet à propos, un petit epigramme

En faveur d'un grand prince ou de quelque grand Dame
Ne sera pas mauvais; mais garde toy d'user

De mots durs, ou nouveaux, qui puissent amuser
Tant soit peu le lisant; car la douceur du stile
Fait que l'indocte vers aux oreilles distille 2,
Et ne fault s'enquerir s'il est bien ou mal faict;
Car le vers plus coulant est le vers plus parfaict.
Quelque nouveau poëte à la court se presente,
Je veux qu'à l'aborder3 finement on le tente:
Car s'il est ignorant, tu sçauras bien choisir
Lieu et temps à propos, pour en donner plaisir 4;
Tu produiras partout ceste beste, et, en somme,
Aux despens d'un tel sot, tu seras gallant homme.
S'il est homme sçavant, il te fault dextrement 5
Le mener par le nez, le louer sobrement,

1

Et d'un petit soubriz et branslement de teste
Devant les grands seigneurs luy faire quelque feste,
Le presenter au Roy, et dire qu'il fait bien,
Et qu'il a merité qu'on luy fasse du bien.

Ainsi tenant tousjours ce povre homme soubs bride,
Tu te feras valoir, en luy servant de guide;
Et combien que tu soys d'envie espoinçonné 6
Tu ne seras pour tel toutesfois soubsonné.

Je te veux enseigner un aultre poinct notable.
Pour ce que de la court l'eschole c'est la table,
Si tu veux promptement en honneur parvenir,
C'est où plus sagement il te fault maintenir:
Il fault avoir tousjours le petit mot pour rire,
Il fault des lieux communs, qu'à tous propos on tire,
Passer ce qu'on ne sçait et se monstrer sçavant
En ce que l'on a leu deux ou trois soirs devant.

Mais qui des grands seigneurs veult acquerir la grace
Il ne fault que les vers seulement il embrasse;

1. Retarder, arrêter.

2. Distillerpeut se prendre au sens neutre, couler doucement.

3. Aborder est pris substantivement, comme dans la locution au sortir de. En l'abordant.

4. Pour en amuser la cour.

5. Adroitement (dexter, qui est à droite).

6. Piqué. On disait aussi poinct, espoinct. Etymol. : pungere, panotus.

Il fault d'autres propos son stile deguiser,

Et ne leur fault tousjours des lettres deviser;
Bref, pour estre en cest art des premiers de ton aage,
Si tu veux finement jouer ton personnage,

Entre les Courtisans du sçavant tu feras,
Et entre les sçavans courtisan tu seras.

Si tu m'en veux croire,

Au jugement commun ne hasarde ta gloire,
Mais, sage, sois content du jugement de ceux
Lesquelz trouvent tout bon, ausquelz plaire tu veux,
Qui peuvent t'avancer en estats et offices,
Qui te peuvent donner les riches benefices,
Non ce vent populaire 1, et ce frivole bruit
Qui de beaucoup de peine apporte peu de fruict.
Ce faisant, tu tiendras le lieu d'un Aristarque,
Et entre les sçavans seras comme un Monarque:
Tu seras bien venu entre les grands seigneurs,
Desquelz tu recevras les biens et les honneurs,
Et non la pauvreté, des Muses l'heritage,
Laquelle est à ceux-là reservee en partage,
Qui, dedaignant la cour, facheux et malplaisans,
Pour allonger leur gloire, accourcissent leurs ans 2.
(Le Poète courtisan.)

RONSARD

1524-1585

PIERRE DE RONSARD, né au château de la Poissonnière, dans le Vendômois, d'une famille originaire de Hongrie, après avoir été page de cour auprès du duc d'Orléans, troisième fils de François I*, et de Jacques V, roi d'Ecosse, attaché à la personne de Lazare de Baïf dans sa mission diplomatique auprès de la diete de Spire, soldat sous le capitaine de Langey en Piemont, atteint de surdité, se retira et s'enferma dans le collège de Coqueret, où, sous la direction de Daurat, il étudia avec passion l'antiquité en compagnie d'Antoine de Baïf, de Remi Belleau, de Jodelle, de Muret, de Tur

1. Aura popularis, ont dit les Latins.

2. Il est facile de reconnaître, dans de nombreux passages de cette satire spirituelle et mordante, écrite par Du Bellay lorsqu'au sortir du service du cardinal, son cousin, trois ans avant sa mort, il se résigna à une pauvreté indépendante et fière, des traits épars qui referaient assez bien la figure de Melin de Saint-Gelais.

nèbe, que le maître avait échauffés de son ardeur. « Il continuoit l'étude jusqu'à deux ou trois heures après minuit, et se couchant, resveilloit Baif, qui se relevoit et prenoit la chandelle et ne laissoit pas refroidir la place. » (Daurat). Tous ambitionnaient de rajeunir la poésie française aux sources antiques. Un jour, en revenant de Poitiers, Ronsard rencontra dans une hôtellerie un gentilhomme de son âge, qui y étudiait en droit, et le ramena avec lui en son colége. C'était en 1548; un an après, le dernier venu publiait, avec un volume de vers, le manifeste de la nouvelle école. En 1550, celui qui l'y avait conquis en fut du premier coup proclamé le roi; il se révélait par le recueil intitulé: Les quatre premiers livres des Odes de P. de Ronsard, Vandômois. Puis successivement vinrent, publiés et republiés à différentes reprises, les Amours de Cassandre,avec le cinquième livre des Odes (1552), le Bocage royal (1552), les Hymnes (1555), les Amours de Marie (1557), des Poèmes (1560), des Discours divers (1562 et ann. suiv.), des Elégies, Mascarades et Bergeries (1565), les quatre premiers chants de la Franciade (1572) qui resta inachevée; puis, plus tard, du fond de sa retraite de l'abbaye de Croix-Val, en Vendômois, les Troisièmes Amours et Amours d'Hélène; enfin épars à différentes dates dans différents recueils, des Gayetez (dont la plus piquante est le Voyage d'Hercueil, Arcueil), et Epigrammes. A l'apparition de chaque œuvre nouvelle c'était un nouvel applaudissement; poètes et savants, amis ou disciples, Muret, Belleau, etc., se faisaient un honneur d'associer par des commentaires leur nom à celui du maître. Odes pindariques ou horatiennes, ou anacreontiques; dans les « Amours », sonnets italiens par centaines, chansons ou élégies, poésies légères de toute espèce, épîtres sous les titres de Poemes, Bocage royal, Discours qui sont souvent une éloquente intervention dans ce qui passionnait et divisait la société politique et religieuse; tout haussait sa gloire. Il fut un pontife et un oracle. Rois, reines, poètes, philosophes, hommes d'Etat, lui rendaient hommage. Charles IX, dans de beaux vers, inclina son diademe de roi devant la couronne du poète; dans ses voyages il s'en faisait accompagner et le logeait sous son toit. Elisabeth d'Angleterre lui envoya un diamant. Le Tasse le visita en 1571. L'Hopital le glorifia. Montaigne« ne le trouva guère esloigné de la perfection ancienne aux parties en quoy il excelle» (II, 17). Lui-même, outrant l'orgueil ordinaire aux poètes, ecrivit en tête de la seule euvre qui pouvait faire hesiter l'admiration, la Franciade:

Il est aisé de me reprendre,
Mais malaisé de faire mieux.

· Et

Quand il mourut on couvrit sa tombe de fleurs et de vers. R. Garnier fit une élégie, Bertaut un discours en vers, A. Jamyn et R. Estienne des stances, Binet, son biographe, une églogue, Remi Belleau un chant pastoral, J.-B. de Thou et Daurat des vers grecs et latins; le cardinal du Perron prononça son oraison funèbre. cependant il fallut que, moins de quarante ans après sa mort, en 1623, quelques fidèles obstines, les d'Urfé, les La Mothe le Vayer, les G. Colletet, les Hardy, unis à la fille adoptive de Montaigne, la belliqueuse Mile de Gournay, cherchassent à raviver cette gloire morte en lui consacrant une edition monumentale, qui laissa le public indifférent.

Ronsard a porté la peine d'un double tort son impatient et intempérant génie a brusqué la langue et ne s'est pas réglé. Il a voulu faire improviser à la langue française ce qu'elle devait atten

« AnteriorContinuar »