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ARNAULT

1766-1834

Antoine-Vincent ARNAULT, « parmi les littérateurs et les poètes dits de l'empire, est un de ceux qui ont une physionomie et un caractère... Sa carrière honorable a de l'unité. Il fut véritablement attaché à la fortune de César, bien moins à son char qu'à sa personne... Bonaparte l'avait accueilli à son quartier général de Montebello (1796); Napoléon à Sainte-Hélène l'inscrivit dans son testament. » (SAINTE-BEUVE, Causer. du Lundi, t. VII). Arnault a raconté sa vie dans ses intéressants Souvenirs. Parisien, il appartenait à la maison de Monsieur (depuis Louis XVIII) quand il donna à vingtcinq ans une tragédie de Marius à Minturnes (1791), suivie de Lucrèce (1792), puis de Cincinnatus, etc. Exile pendant la Terreur, il fut, en 1797, chargé par Bonaparte d'organiser le gouvernement des Iles Ioniennes, eut un rôle au 18 brumaire, et remplit sous l'Empire des fonctions administratives et universitaires. Entre temps, il fit représenter avec succès une tragédie des Vénitiens (1799), qui lui valut un fauteuil à l'Académie, sans succès une tragédie de Don Pedre ou le Roi et le Laboureur (1802); plus tard encore, une tragédie, Germanicus (1817). Rayé par la seconde Restauration de la liste de l'Academie et proscrit, il rentra en France en 1819, et, en 1829, par une nouvelle élection, dans l'Académie, dont il devint secrétaire perpétuel en 1833. Ses Fables, piquantes et souvent épigrammatiques, ont fait oublier ses tragedies; les quelques vers de La Feuille ont presque fait oublier ses fables.

Loin de mes parents exilée,

Le leurs embrassements j'ignore la douceur,
Et les enfants de la vallée

Ne m'appellent jamais leur sœur.
Je ne partage pas les jeux de la veillée;
Jamais ous son toit de feuillée;
Le joyeux laboureur ne m'invite à m'asseoir,
Et de loin je vois sa famille
Autour du sarment qui pétille
Chercher sur ses genoux les caresses du soir.

Vers la chapelle hospitalière

En pleurant j'adresse mes pas,
La seule demeure ici-bas

Où je ne sois point étrangère,

La seule devant moi qui ne se ferme pas.

Souvent je contemple la pierre
Où commencèrent mes douleurs,
J'y cherche la trace des pleurs

Qu'en m'y laissant peut-être y répandit ma mère.
Souvent aussi mes pas errants
Parcourent des tombeaux l'asile solitaire ;
Mais pour moi les tombeaux sont tous indifférents
La pauvre fille est sans parents

Au milieu des cercueils, ainsi que sur la terre.

J'ai pleuré quatorze printemps

Loin des bras qui m'ont repoussée;
Reviens, ma mère, je t'attends

Sur la pierre où tu m'as laissée.

FABLES

LE COLIMAÇON

Sans amis, comme sans famille,
Ici-bas vivre en étranger;
Se retirer dans sa coquille
Au signal du moindre danger;
S'aimer d'une amitié sans bornes;
De soi seul emplir sa maison ;
En sortir suivant la saison,
Pour faire à son prochain les cornes ;
Signaler ses pas destructeurs
Par les traces les plus impures;
Outrager les plus tendres fleurs
Par ses baisers ou ses morsures;
Enfin chez soi, comme en prison,
Vieillir de jour en jour plus triste:
C'est l'histoire de l'égoïste

Et celle du colimaçon 2.

LA GIRAFE ET LE DROMADAIRE

L'homme, je crois, n'est pas plus grand que nous,
Disait un dromadaire en allongeant la tête ;

Et pourtant il nous charge, il nous monte, il nous traite
Comme de francs baudets.

LA GIRAFE

Et pourquoi, pauvre bête,

Pourquoi pliez-vous les genoux ?

LE RICHE ET LE PAUVRE

- « Penses-y deux fois, je t'en prie:
A jeun, mal chaussé, mal vêtu,
Pauvre diable, comment peux-tu

1. « Je prendrai le mot épigramme dans le sens un peu étendu où le prenaient les anciens. Ce sont des épigrammes excellentes que le Riche et le Pauvre, que les Cygnes et les Dindons, que le Chien enragé, que le Coup de fusil, que les Taches et les Paillettes, et surtout le Colimaçon. » (SAINTE-BEUVE.)

2. Comme cela est bien frappé et tout d'une venue! Même en de si courte composition on sent de la verve. » (ID.)

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1. « Ce ton légèrement attendri n'est pas le plus habituel chez Arnault. Dans bien des cas le trait final part à la manière d'un ressort, un peu brusque, mais joliment tourné. Beaucoup de ses fables semblent ètre faites exprés par le bon mot et pour le bon mot... » (SAINTE-BEUVE.) Le critique ajoute qu'Arnault a écrit, indépendamment de ses fables aiguisées en pointe d'épigramme, quelques apologues véritables, « et de la meilleure sorte ». M.-J. Chénier a proclamé le Chêne et les Buissons une des plus belles fables proprement dites qu'on ait composées depuis La Fontaine. (Voir le Recueil des classes de grammaire.)

2. Quelques jours avant son départ pour l'exil, « se trouvant au Val, près de l'Isle-Adam, chez Regnault de Saint-Jean-d'Angély (son beaufrère), , par une pâle matinée de janvier 1816, par un de ces ciels d'hiver qui ressemblent à l'extrême automne et qui ne laissent point encore deviner le printemps, il sortit du salon où sa famille était réunie, et y rentra après une demi-heure de promenade pour y réciter comme un adieu cette épigramme vraiment digne de l'antique, cette légère et douce élégie.... Comme Millevoye, Arnault avait rencontre là une de ces feuilles qui surnagent, un parfum qui devait à jamais s'attacher à son nom. Il avait eu une fois de la mélancolie et de la mollesse.» (SAINTE-BEUVE.)

BÉRANGER

1780-1857

Pierre de BERANGER, né à Paris, petit-fils d'un tailleur et fils d'un teneur de livres, d'abord ouvrier imprimeur, puis fixé douze ans dans d'humbles fonctions de bureaucratie ministérielle, y fut l'ami et quelquefois le conseiller écouté des premiers parmi les hommes politiques et les écrivains de son temps, depuis Manuel et Laffitte jusqu'à Lamennais et Chateaubriand. C'est à des chansons qu'il dut la popularité, la gloire et l'autorité. Elles ont été beaucoup chantées; elles méritent encore d'être lues. Le mérite de l'à-propos, qu'elles ont toujours eu, a trompé plus d'un contemporain sur la valeur de leur poesie, qui manque souvent d'ampleur et d'éclat la précision savante du style, l'aisance et le mouvement du rythme ne suffisent pas à faire, même des meilleures, des odes, comme on les a appelées; le tour est quelquefois tendu et l'expression subtile; sous le pinceau de Beranger le dessin est souvent sec et le trait mou; la brièveté ne le défend pas de la periphrase, ni l'idée moderne de la mythologie pseudo-classique; il a trop de luths, de lyres, de palmes, de lauriers, de coursiers, de guerriers, de chevaliers, de troubadours, de trépas, de fers, de jougs, de glaives; il dit bord et rivage pour pays; il n'est pas exempt de sensiblerie et de vulgarité. Mais dans ses chansons nationales (le Cinq mai, les Enfants de la France), militaires (le Vieux Sergent, le Vieux Caporal), politiques (la Sainte Alliance des Peuples), sociales (Jeanne la Rousse, les Gueux, le Vieux Vagabond), philosophiques (Louis XI, le Dieu des Bonnes Gens, les Etoiles qui filent), - pour laisser de côté celles qui ne sont que des gaietés de rieur ou qui sont entachées d'impiété, jamais ne manquent un patriotisme ardent, une émotion sincère, un bon sens droit et fin. Il a surtout le don du genre où il s'est tenu; il est chansonnier comme La Fontaine est fabuliste. Ses cadres sont bien proportionnés; ses couplets se détachent et se lient. Le thème de ses refrains est trouvé; leur retour se fait à point; leurs variations, s'ils en ont, sont piquantes; leur variété est inėpuisable. Ils ont la gaieté, le mouvement, le tour, souvent l'accent et le cri:

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Le début de l'Orage est souriant, le début des Enfants de la
France est vibrant :

Reine du monde, ô France! ô ma patrie !
Soulève enfin ton front cicatrisé

Le début du Dieu des bonnes gens a de la gravité :

Il est un Dieu: devant lui je m'incline,

Pauvre et content, sans lui demander rien.

Le début du Grillon est un tableau d'intérieur simple et gracieux;

Au coin de l'âtre où je tisonne
En rèvant à je ne sais quoi,
Petit grillon, chante avec moi.

Celui du Vieux Sergent offre un contraste charmant de tête grise et de têtes blondes:

Près du rouet de sa fille chérie

Le vieux sergent se distrait de ses maux,
Et d'une main que la balle a meurtrie
Berce en riant deux petits-fils jumeaux.

L'Orage et Louis XI sont de petits drames philosophiques découpés en scènes dans un décor de fleurs et dans des choeurs de danses et de chansons: Amant alterna camœnæ.

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Si la philosophie de ses « Bonnes Gens » manque d'élévation, leur poésie a de la noblesse et de l'imagination :

Un conquérant dans sa fortune altière
Se fit un jeu des peuples et des lois,
Et de ses pieds on peut voir la poussière
Empreinte encor sur le bandeau des rois.

Dans un palais, où, près de la Victoire,

Brillaient les arts. doux fruits des beaux climats,
J'ai vu du Nord les peuplades sans gloire

De leurs manteaux secouer les frimas.

(Le Dieu des bonnes gens.)

Ce sont les qualitės poétiques de la forme, jointes à la chaleur des sentiments patriotiques, qui ont fait le succès de Béranger, à la fois auprès des esprits lettres et de la foule. Cette popularité lui a suffi. Il refusa toujours par simplicité de goût, par amour de l'indépendance, peut-être par calcul, places, dignités, fauteuil à l'Academie, siège à l'Assemblée constituante de 1848. Il mourut populaire et respecté, mème de ceux qui auraient pu lui tenir rigueur pour ses légèretes irréligieuses s'il n'avait écrit dans une lettre à Lamennais: Je crois comme les petits enfants, et je suis tenté de crier au génie: Croyez et fermez les yeux. »

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