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P. LEBRUN

1785-1873

LEBRUN (Pierre-Antoine) a été, par ses hymnes à la gloire de l'Empire avant 1815, par ses odes patriotiques, preludes des Messéniennes de C. Delavigne après 1815, par son poème du Voyage en Grèce (1821-1827), un écho poétique, écouté et applaudi jadis, oublié aujourd'hui, des patriotiques et généreuses émotions de ses contemporains. Il n'a dû qu'à lui-même et à la verte nature de cette Normandie, inspiratrice de maints poètes des XVIe et XVIIe siècles, les Vauquelin, les Bertaut, les Segrais, etc., les vers où il a célébré Tancarville, ses ombrages et sa vie champêtre, et qui sont l'intérêt le plus vif de ses Poèmes et Poésies. Mais c'est au théâtre qu'il a dû la renommée, et l'Académie, dont il est mort le doyen. Il restera avant tout l'auteur de Marie Stuart (tragédie, 1820), à laquelle le jeu parfait de Mile Rachel donna, vingt ans après, un regain de popularité. Le Cid d'Andalousie (1825) confirma sa renommée de poète tragique sans y ajouter. Au théâtre il sut prendre le vent entre le livre révélateur de Mme de Staël (De l'Allemagne) et le manifeste prochain de l'école romantique, disciple de Shakespeare, de Schiller, dont il imita Marie Stuart, et de Lope de Vega.

LE DEPART DE LA FLOTTE

Hydra' sur l'Archipel tout entière est montéc.
Entendez-vous les clameurs qu'elle envoie?
Elle s avance et mêle, aux cris de liberté
Des chants d'orgueil, d'espérance et de joie.
<< Hydra vogue, la riche Hydra,
Sur la mer escortée en reine
Par les dauphins de Typarène,
Et les alcyons d'Ipsara 2.
Iles, pressez-vous autour d'elle;
Cyclades, c'est vous qu'elle appelle;
Venez, mes sœurs, je vous attends!
Tyne, Andros, Mycone, il est temps!
Chio nous demeure infidèle,
Mais l'absence d'une hirondelle

Ne fait pas manquer le printemps.

1. 1o Ile de la Grèce, à 10 kilom. de la côte de l'Argolide, entre les golfes d'Egine et de Nauplie; 20 ville forte du même nom dans cette ile Les Hydriotes se signalèrent dans la guerre de l'indépendance grecque par la destruction de plusieurs escadres turques.

2. Les dauphins et les alcyons figuraient dans les armes de ces deux iles.

« Hydra brille comme l'étoile

Qui la première ouvre le jour.

Hydra n'a point d'ombrage en son brûlant séjour;
Mais elle s'assied libre à l'ombre de sa voile.
Hydra donne à ses fils les vagues pour berceaux,
Pour jeux et pour plaisirs l'écume et les cordages,
Pour école la mer, pour maitres les orages:
Hydra n'a point de champs, mais elle a des vaisseaux;
Ses laboureurs sont sur les eaux,

Et c'est la mer qu'elle sillonne ;

. pampre ni raisin ne rit dans sa couronne, Mais son sabre connaît où croissent les plus beaux.

« Aux armes! Hâtez-vous, afin qu'avant l'automne
Dans la Mysie elle moissonne

Et de Chypre en chantant vendange les coteaux. »
(Le Voyage de Grèce, poème; chant VIII.

Librairie académique Didier et Cie.)

LE RETOUR A TANCARVILLE

APRES TRENTE ANS 1

A mon émotion, je sens que j'en approche.
Tancarville et ses tours, Pierre-Gante et sa roche
Sont là. J'ai reconnu cet air si vif des bois,
Qu'avec tant de plaisir j'aspirais autrefois;

Le long frémissement qui court sous les ombrages,
Semblable au bruit sans fin qui montait des rivages,
Et cette odeur de mousse et de feuilles dans l'air,
Et les pommiers penchés par les vents de la mer 2.
Ne me conduisez pas: j'en sais toutes les routes ;
Parmi ces bois grandis, je les retrouve toutes;
J'irais, fermant les yeux, et, si rien n'est changé,
Au bout du chemin creux de hêtres ombragé,
Le château va paraître. Oh! de quelle âme émue
J'ai revu, j'ai monté cette antique avenue

1. Tancarville est un village s tué sur une hauteur qui domine la rive droite de la Seine, à 30 kil. E. du Havre. — Lebrun avait habité, lorsqu'il était, sous l'Empire, receveur des finances en Normandie, le château féodal, aujourd'hui en ruines.des anciens comtes de Tancarville, appartenant à la maison de Montmorency.

2. Esquisse légère et charmante d'un paysage maritime de Normandie. Cette fraicheur des premieres impressions de la jeunesse fait déjà place à des émotions plus graves, mêlées de quelques souvenirs attristés et mé

Qui s'élève, en tournant, sous ses larges noyers,
Jusqu'aux tours du portail, où nichaient les ramiers!
Arrêtons. Respirons. Presque tremblant, je sonne;
La cloche au son connu jusqu'en mon sein résonne.
La vaste porte, ouvrant ses battants vermoulus,
Me demande mon nom, et ne me connaît plus.
Hélas! je ne suis pas un de vos anciens maitres
Qui vient redemander le toit de ses ancêtres ;
Je ne suis pas un fils trente ans déshérité
Qui rentre dans le lieu par sa race habité;
Je ne réclame pas le château de mes pères.
Non, mais de ma jeunesse et de mes jours prospères
Je viens chercher la trace et les chers souvenirs.
Ouvrez-vous, lieux témoins de mes plus donx loisirs...
D'un air indifférent une femme est venue,

Du château, maintenant, habitante inconnue;
Et, comme un étranger qui, passant, curieux,
Pour la première fois visiterait ces lieux,

M'introduit dans l'enceinte, hélas! qui fut la mienne,
Me nomme chaque tour dont elle est gardienne,
Me montre ces débris, pour moi si familiers,

lancoliques, dans les vers suivants que lui inspiraient, aux mêmes lieux, mais à 32 ans, la mer et les bois. On suit ainsi les étapes de son imagination et de son âme :

La Mer et les Bois.

Tancarville, 1817

Jeune, j'aimais les bois. Sous leurs vertes ramures
Qui des flots de la mer imitent les murmures,
J'ai bien souvent erré, non sans quelque douceur,
Pour y chercher des vers, ou pour calmer mon cœur.
Mais l'âme y devient triste et s'y sent solitaire;
Le mouvement des bois la berce sur la terre.
C'est toujours le passé qui semble y revenir;
Une secrète voix y parle au souvenir;
Et partout le regard rencontre quelque place
Qui des temps écoulés lui présente la trace.
Le passé vous entoure et vous semble arracher
A cet apaisement que vous venez chercher.
On plaint son espérance attristée ou ravie,
On pense à la jeunesse, à la joie, à la vie,

Au temps qui nous emporte, à l'ombre qui nous suit,
Aux rameaux desséchés, à l'hiver, à la nuit,
Ainsi, parmi les bois, quand seul je me promène,
A de tristes pensers leur ombre me ramène;
Vers un autre horizon je porte en vain les yeux,
Et la voûte des bois cache celle des cieux.

L'Océan! l'Océan! là l'horizon immense
Sans borne et sans repos, finit et recommence;
Là, comme l'avenir, dans son immensité
S'ouvre et grandit sans fin l'espace illimité;
Là l'infini. Le bruit du monde s'y vient taire;
Nous n'y retrouvons plus nul écho de la terre;
Nul n'v laisse jamais l'empreinte de ses pieds,
Et la vague toujours recouvre nos sentiers.

(Poèmes et Poésies, V.)

La salle et l'écusson des anciens chevaliers,
La pierre qui, du haut des pentes ruinées,
Parait prête à tomber depuis quarante années;
Le manteau du foyer qui, de lierres tendu,
Dans l'air, comme un balcon, demeure suspendu,
Et, près du mur croulant où pendent quelques treilles,
Le jardin où jadis bourdonnaient mes abeilles.
Parmi tous ces débris, où j'ai souvent erré,
Où j'ai joué, souffert, aimé, rêvé, pleuré,
Mon heureuse jeunesse, en vingt lieux dispersée,
Soudain de toutes parts remonte à ma pensée.
J'éprouve, pour courir vers tout ce que je vois,
Une force inconnue à mes jours d'autrefois.
Il me semble en mon sein sentir battre des ailes;
Un air intérieur me soulève avec elles,

Me porte, et je m'envole à chaque lieu connu,

Léger comme un oiseau vers son nid revenu.

Ah! se peut-il qu'un lieu, quelque cher qu'il puisse être,
De l'âme tout entière ainsi devienne maître ?

C'est qu'un temps regretté vous est en lui rendu ;
C'est qu'on retrouve alors tout ce qu'on a perdu :
Le passé, la jeunesse, hélas! et tant de songes
Qu'on fit en d'autres jours. Illusions, mensonges,
Qu'importe! On fut heureux. Le cœur se reconnaît,
Et l'homme tout entier quelques instants renaît 1.
(Poèmes et poésies, XXXVIIe et dernière pièce.
- Librairie académique Didier et Cie.)

PROMENADE MATINALE AU BOIS DE VILLE-D'AVRAY

Maître de mes loisirs et libre en mes penchants,
Oh! combien il me plaît de m'éveiller aux champs !
Comme pour le plaisir les yeux s'ouvrent sans peine !
Quelle aimable fraîcheur frémit dans chaque veine!
Que notre âme est légère, et qu'on se sent joyeux
D'assister au réveil de la terre et des cieux,

1. Les mêmes sentiments ont inspiré d'heureux (vers à M. Arsène HOUSSAYE:

Je suis allé revoir les chaumières qui fument

Aux bords silencieux des bois qui les parfument.

O vieux rochers déserts où j'aimais à rêver!

Etang silencieux que l'hirondelle effleure!

O beaux arbres, témoins du printemps que je ple rel
Je vous retrouve encor, mais sans me retrouver.

Revoyez le couplet célèbre de BERTAUT (p. 136).

De voir l'homme et le jour commencer leur ouvrage,
La lumière monter de nuage en nuage,
Les informes objets reprendre leurs couleurs,
Et les prés reverdir, et renaître les fleurs,
Et se rougir au loin les bois aux mille têtes!
L'étoile du matin est l'astre des poètes;
Et, de rosée humide, elle verse des airs
Son éclat aux gazons, sa fraîcheur à nos vers.
J'éprouve de la joie à devancer l'aurore,

A marcher par les champs où nul ne passe encore.
Dans son buisson l'oiseau se réveille à demi,
Gazouille quelques sons, et se tait rendormi.....
Tous les bruits du matin commencent, et la mère,
Son enfant dans les bras, entr'ouvre sa chaumière'..
(Ibid., III.)

MARIE STUART DANS LE JARDIN

MARIE, ANNA KENNEDY, sa nourrice.

ΑΝΝΑ.

Modérez de vos pas l'empressement extrême.
Je ne vous connais plus; revenez à vous-même.
Où courez-vous, madame?

MARIE

Ah! laisse-moi jouir
D'un bonheur que je crains de voir s'évanouir.
Laisse mes libres pas errer à l'aventure.
Je voudrais m'emparer de toute la nature.
Combien le ciel est beau! que le jour est serein!
Ne sommeillé-je pas? n'est-ce qu'un songe vain?
A mon cachot obscur suis-je en effet ravie?
Suis-je de mon tombeau remontée à la vie?
Ah! d'un air libre et pur laisse-moi m'enivrer.

ΑΝΝΑ

Madame, où votre esprit se va-t-il égarer?
Hélas! la liberté ne vous est pas rendue;
La prison seulement s'ouvre plus étendue.

1. Par ces vers d'une note douce et fraîche, Lebrun a une place, modeste, mais bien à lui, dans le concert des amis de la nature au xixe siècle. Les deux derniers dessinent en deux traits un groupe charmant.

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