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MARIE

Eh bien! épargne-moi de trop barbares soins;
Et, si ce n'est qu'un songe, ah! laisse-moi du moins,
Soulevant un moment ma chaîne douloureuse,
Rêver que je suis libre et que je suis heureuse.
Ne respiré-je pas sous la voûte des cieux?
Un espace sans borne est ouvert à mes yeux.
Vois-tu cet horizon qui se prolonge immense ?
C'est là qu'est mon pays; là l'Ecosse commence.
Ces nuages errants qui traversent le ciel
Peut-être hier ont vu mon palais paternel.
Ils descendent du nord, ils volent vers la France;
Oh! saluez le lieu de mon heureuse enfance!
Saluez ces doux bords qui me furent si chers!
Hélas! en liberté vous traversez les airs 1-

(Marie Stuart, tragédie, III, 1.
Librairie académique Didier et Cie.)

MARIE A ÉLISABETH

Oui, vous fûtes injuste et cruelle envers moi.
Seule, sans défiance, en vous mettant ma foi,
Comme une suppliante, enfin, j'étais venue:
Et vous, entre vos mains vous m'avez retenue.
De tous les souverains blessant la majesté,
Malgré les saintes lois de l'hospitalité,
Malgré le droit des gens et la foi réclamée,
Dans les murs d'un cachot vous m'avez enfermée.
Dépouillée à la fois de toutes mes grandeurs,

Sans secours, sans amis, presque sans serviteurs,

1. « Ces vers purs, charmants, et d'une douceur presque racinienne, se retrouvent dans notre mémoire, à nous qui les entendimes alors, et font partie de nos classiques reminiscences » (SAINTE-BEUVE).

Le vers dramatique de Lebrun, élégant, pur et ferme, est du meilleur classique. Quelques expressions convenues en accusent la date, sans le déparer. Il faut d'ailleurs savoir gre au goût du poète d'avoir cherche, si timidement que ce fût, à corriger celui du public, sur lequel il était en avance, sans pressentir encore les surprises violentes que d'autres allaient lui ménager, et à repudier sur quelques points les faux préjugés de noblesse tragique. Il n'en parle pas sans un peu de malice. « J'avais dit: Prends ce don, ce mouchoir, ce gage de tendresse, Que pour toi, de ses mains, a brodé ta maitresse,

Ce mouchoir brodé épouvanta ceux qui entendirent d'abord la pièce. I's me supplièrent à mains jointes de changer des mots si dangereux, et qui ne pouvaient manquer de faire rire toute la salle à l'instant le plus pathétique. J'écrivis:

Prends ce don, ce tissu, ce gage de tendresse.
Qu'a pour toi, de ses mains, embelli ta ma resse.

On trouva ce tissu infiniment préférable; cela était plus digne.

Au plus vil dénûment dans ma prison réduite,
Devant un tribunal, moi reine, on m'a con luite.
Enfin, n'en parlons plus. Qu'en un profond oubli
Tout ce que j'ai souffert demeure enseveli.
Je veux en accuser la seule destinée.

Contre moi, malgré vous, vous fûtes entraînée;
Vous n'êtes pas coupable, et je ne le suis pas :
Un esprit de l'abîme envoyé sur nos pas,
A jeté dans nos cœurs cette haine funeste,
Et des hommes méchants ont achevé le reste.
La démence a du glaive armé contre vos jours
Ceux dont on n'avait point invoqué le secours.
Tel est le sort des rois : leur haine, en maux féconde,
Enfante la discorde et divise le monde.

J'ai tout dit. C'est à vous, ma sœur, de nous juger.
Entre nous maintenant il n'est point d'étranger.
Nous nous voyons enfin ! Si j'ai pu vous déplaire,
Parlez, dites mes torts; je veux vous satisfaire.
Ah! que ne m'avez-vous dès l'abord accordé
L'entretien par mes vœux si longtemps demandé.
Nous n'aurions pas, ma sœur, en ce jour déplorable
Une telle entrevue, et dans un lieu semblable.

(Ibid. III, 4.)

CASIMIR DELAVIGNE

1793-1843

Casimir DELAVIGNE, du Havre, débuta avec éclat dans la poésie par les premières de ses Messéniennes (1816-1822), recueil lyrique qui a dû son succès aux sentiments patriotiques qui l'inspirent et l'animent; on savait gré à un poète français de dire de là France au lendemain de Waterloo:

J'ai des chants pour toutes ses gloires,
Des larmes pour tous ses malheurs.

et de l'attendrir sur son héroïne nationale; on répétait ces belles strophes :

Du Christ, avec ardeur, Jeanne baisait l'image;

Ses longs cheveux épars flottaient au gré des vents;
Au pied de l'échafaud, sans changer de visage,

Elle s'avançait à pas lents.

Tranquille elle y monta; quand, debout sur le faîte,
Elle vit ce bûcher qui l'allait dévorer,

Les bourreaux en suspens, la flamme déjà prête.
Sentant son cœur faillir, elle baissa la tète,

Et se prit à pleurer.

Mais dans les Messéniennes le style de C. Delavigne est trop souvent saccadé, tendu et déclamatoire. Dans ses Derniers chants, qui vinrent longtemps après, la veine est plus simple et plus naturelle. Entre ce début et cette conclusion il parcourut une des plus longues et des plus belles carrières dramatiques du siècle. Ses premières tragédies (les Vepres siciliennes, 1819; le Paria, 1821), écrites avant l'éclosion de l'école romantique, appartiennent à l'école classique. Il n'aida ni ne prévit la révolution qui se fit, et quand elle fut faite il essaya entre les deux écoles rivales un compromis (il s'en explique dans la préface de Marino Faliero) qui a valu au public des œuvres de talent, pleines de ressources dramatiques, de mouvement, de chaleur, qui n'ont pas survécu à leur premier succès. Leurs sujets empruntés à Byron (Marino Faliero, 1829), à Shakespeare (les Enfants d'Edouard, 1833), sans compter la Fille du Cid (1840), qui est une excursion à la suite de Corneille dans la patrie de Lope de Vega et de Calderon, étaient déjà des gages donnés à la nouveauté goûtée par le public. Mais l'allure libre et cavalière et le style coupé du drame romantique se mariaient mal avec les traditions du style dit classique. Il en est résulté de ces œuvres de demi-caractère que le temps efface, ou au moins que le siècle oublie vite parce que la polémique des partis littéraires ne les a pas discutées avec passion pour les exalter ou les rabaisser. C. Delavigne reste entre Racine et V. Hugo, comme Paul Delaroche, son contemporain et son ami, auteur d'un célèbre tableau des « Enfants d'Edouard », auquel il a dédié le drame désigné sous le même nom, reste entre Ingres et Delacroix. Il est le Delaroche du théâtre au XIXe siècle. Sa seule tragédie populaire dans le public lettre (il n'a pas atteint une autre popularité) est Louis XI (1832), étude d'histoire et de caractère compliquée et curieuse, à laquelle un acteur de valeur, Ligier, a prêté son jeu savant et son art de composer une physionomie.

C. Delavigne a donné des comédies heureuses les Comédiens (1820), l'Ecole des Vieillards (1823), la Princesse Aurélie (1828), la Popularité (1838), toutes en vers; et, en prose, Don Juan d'Autriche (1835), pièce pseudo-historique, pleine d'esprit, comme l'est d'ailleurs tout ce qui est sorti de cette plume facile, élégante, brillante, animée, habile à frapper d'une pensée noble ou d'une idée ingenieuse un de ces vers pleins et harmonieux dont le modèle est celui-ci, qui est reste du Paria:

La vie est un combat dont la palme est aux cieux.

LE MÉDECIN D'UN TYRAN

COMMINE, COITIER 1.

COITIER.

Il serait mon tyran, si je n'étais le sien.
Vrai Dieu! ne l'est-i! pas? sait-on ce qu'on m'envic?

1. Philippe de Commines (1445-1509), né en Flandre, passa du service de Charles le Téméraire à celui de Louis XI, et fut employé par lui, et plus tard par Charles VIII, à des négociations politiques et diplomatiques. "Ses Mémoires ont été publiés en 1524.

Jacques Coitier, ou Coictier, mort vers 1505, fut premier médecin de

Du médecin d'un roi sait-on quelle est la vie?
Cet esclave absolu, qui parle en souverain,
Ment lorsqu'il se dit libre, et porte un joug d'airain.
Je ne m'appartiens pas; un autre me possède :
Absent, il me maudit, et présent, il m'obsède;
Il me laisse à regret la santé qu'il n'a pas ;
S'il reste, il faut rester; s'il part, suivre ses pas,
Sous un plus dur fardeau baissant ma tête altière 1
Que les obscurs varlets 2 courbés sous sa litière.
Confiné près de lui dans ce triste séjour 3,
Quand je vois sa raison décroître avec le jour “,
Quand de ce triple pont, qui le rassure à peine,
J'entends crier la herse et retomber la chaine,
C'est moi qu'il fait asseoir au pied du lit royal
Où l'insomnie ardente irrite encor son mal;
Moi, que d'un faux aveu sa voix flatteuse abuse
S'il craint qu'en sommeillant un rêve ne l'accuse;
Moi, que dans ses fureurs il chasse avec dédain;
Moi, que dans ses tourments il rappelle soudain;
Toujours moi, dont le nom s'échappe de sa bouche,
Lorsqu'un remords vengeur vient secouer sa couche.
Mais s'il charge mes jours du poids de ses ennuis 5,
Du cri de ses douleurs s'il fatigue mes nuils,
Quand ce spectre imposteur, maître de sa souffrance,
De la vie en mourant affecte l'apparence,

Je raille sans pitié ses efforts superflus

Pour jouer à mes yeux la force qu'il n'a plus.
Misérable par lui, je le fais misérable;

Je lui rends en terreur l'ennui dont il m'accable;
Et pour souffrir tous deux nous vivons réunis,
L'un de l'autre tyrans, l'un par l'autre punis,

Louis XI, et président de la chambre des Comptes. L'histoire l'accuse d'avoir abusé de son influence sur le roi pour se faire donner des biens considérables. Il était, dit Commines, « rude au roy, » et le menaçait de le laisser mourir: « Je sçay bien qu'un matin vous m'envoyerez comme vous faictes d'autres; mais, par la mort Dieu! vous ne vivrez pas huict jours après. >>

1. Altière n'est-il pas pour la rime?

2. A peu près synonyme de page. Même étymologie que valet (primitivement vaslet): vassus, basse latinité.

3. Plessis-lez-Tour!.

4. Dans les hallucinations que lui causent ses remords. Voyez plus bas les Remords de Louis XI: il y exprime lui-même ses terreurs. Comparez les vers de Juvenal sur le remords, cités ibidem, avec les passages du présent morceau, qui ont avec eux des rapports frappants.

5. Synonyme de << tourments» dans le style élevé. Ainsi l'emploient Corneille, Racine, Voltaire, etc.

.

Toujours prêts à briser le nœud qui nous rassemble,
Et toujours condamnés au malheur d'être ensemble,
Jusqu'à ce que la mort, qui rompra nos liens,
Lui reprenant mes jours dont il a fait les siens,
Se lève entre nous deux, nous désunisse, et vienne
S'emparer de sa vie et me rendre la mienne1.

(Louis XI, tragédie, I, 4.- Firmin Didot, éditeur.)

LOUIS XI ROI

LOUIS XI, LE COMTE DE DREUX, COMMINE,
COITIER, OLIVIER LE DAIM 2

LOUIS, au comte de Dreux.

Ne vous y jouez pas, comte ; par la croix sainte !
Qu'il me revienne encore un murmure, une plainte,
Je mets la main sur vous, et, mon doute éclairci,
Je vous envoie à Dieu pour obtenir merci 3.

Le salut de votre âme est le point nécessaire ;

Dieu la prenne en pitié ! le corps, c'est mon affaire
J'y pourvoirai.

LE COMTE DE DREUX.

Du moins je demande humblement Que Votre Majesté m'écoute un seul moment.

LOUIS.

Ah! mon peuple est à vous! et, roi sans diadème,
Vous exigez de lui plus que le roi lui-même !

Mais mon peuple, c'est moi; mais le dernier d'entre eux,
C'est moi; mais je suis tout; mais quand je dis: Je veux,
On ne peut rien vouloir passé ce que j'ordonne,

Et qui touche à mon peuple attente à ma personne.
Vous l'avez fait.

LE COMTE.

Croyez...

LOUIS.

Ne me dites pas non.

Enrichi des impôts qu'on perçoit en mon nom,
Pour cinq cents écus d'or vous en levez deux mille
Sur d'honnêtes bourgeois, et de ma bonne ville,

1. Coitier trouve l'éloquence, et une éloquence émue et forte, dans a peinture de ses ennuis et de ceux de son royal malade.

2. Olivier Teufel (en allemand diable) dit le Daim, ou le Diable, né à Thielt (Flandre occidentale, valet de chambre et barbier de Louis XI, anobli, fait comte de Meulan. Pendu en 1494.

3. Pour lui demander et obtenir votre pardon. Merci (Etymol.: mercedem), récompense, faveur, grâce.

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