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dre de « longueur de temps », et il a mis la bride sur le cou de sa muse, qui ne s'arrêta jamais :

Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire.

Sa renommée de surprise a été un feu de paille; les fleurs hâtives de sa poésie se sont desséchées, et avec elles sa renommée, qui n'a reverdi que dans notre siècle en un jour d'ardente reaction contre le passé, revanche de celle dont il a été victime. Il reste définitivement acquis aujourdhui qu'il a eu le mérite, méconnu au XVIIe siècle, oublié au xvie, proclamé enfin au xixe, d'ouvrir à la poésie françaiss les genres littéraires cultivés et consacrés par les anciens, de créer des rythmes lyriques qui ont profité à Malherbe et aux poètes de nos jours, de réhabiliter l'alexandrin, que, par une étrange fantaisie, il a d'ailleurs exclu de l'épopée, son domaine naturel; enfin, et c'est Malherbe qui l'a dit, d'avoir eu « dans ses fictions de la grandeur ». C'est moins qu'il n'ambitionnait, mais c'est assez pour lui assurer une belle place dans les gloires poétiques de la France.

Nous citons l'édition P. Blanchemain, 8 vol., 1858-1868 (Bibliothèque Elzevirienne.)

LA MORT D'UNE JEUNE FILLE

SONNET

Comme on void sur la branche au mois de may la rose En sa belle jeunesse, en sa premiere fleur,

Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,

Quand l'aube de ses pleurs au point du jour l'arrose:
La grace dans sa fueille et l'Amour se repose,
Embasmant les jardins et les arbres d'odeur;
Mais, batue ou de pluye ou d'excessive ardeur,
Languissante elle meurt, fueille à fueille desclose 1.
Ainsi, en ta premiere et jeune nouveauté 2,
Quand la terre et le ciel honoroient ta beauté,
La Parque t'a tuée, et cendre tu reposes.

Pour obseques reçoy mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de laict, ce pannier plein de fleurs,
A fin que, vif et mort, ton corps ne soit que roses.
(Amours, livre II, 2° partie, sonnet 4). Tome Ier, p. 239.

LA VIEILLE AMIE

SONNET

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle.
Assise auprès du feu, devidant3 et filant,

1. Cf. VIRGILE, Æn., IX, 434.

Purpureus veluti cum flos succisus aratro
Languescit moriens, lassove papavera collo

Demisere caput, pluvia cùm forte gravantur.

2. C'est, appliqué à un autre ordre d'idées, le novitas florida de LUCRACE. 3. Dévidant le fil en écheveau. Var. : devisant, causant.

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Direz, chantant mes vers, en vous esmerveillant :
«Ronsard me celebroit du temps que j'estois belle. »>

Lors, vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Desja sous le labeur à demy sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s'aille reveillant,
Benissant vostre nom de2 louange immortelle.
Je seray sous la terre, et, fantosme sans os,
Par les ombres myrteux3, je prendray mon repos;
Vous serez au fouyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et vostre fier desdain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain;
Cueillez dès aujourd'huy les roses de la vie 5.

(Sonnets pour Hélene, livre II, 42). Tome 1er, p. 340.

LA ROSE

ODE

Mignonne, allons voir si la rose
Qui, ce matin, avoit desclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu, ceste vespree,
Les plis de sa robe pourpree
Et son teint au vostre pareil.

Las! voyez comme en peu d'espace
Mignonne, elle a, dessus la place,
Las! las! ses beautez laissé cheoir!
O vrayment marastre Nature,
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir!

Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis
que vostre âge fleuronne

En sa plus verte nouveauté,

1. En entendant le nom de... Var.: au nom de Ronsard.

2. Par une louange.

3. L'ombrage des myrtes. Ombre était des deux genres.

4. Etym. focarium (basse latinité), de focus, qui a donné feu. 5. Cf. la fin de l'ode qui suit. - Cf. La bonne Vieille, de Béranger,

dont le refrain est :

Et bonne vieille, au coin d'un feu paisible,

De votre ami repétez les chansons.

6. Mignon, onne, 20 subst., favori.

mand), amour.

• adj., qui plaît par sa délicatesse et sa gentillesse; A produit mignard. Etymol.: minne (haut alle

7. Développé, épanoui (de, claudere).

Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur, la vieillesse
Fera ternir vostre beauté 1,

(Odes, 1, 17). Tome 1, p. 117.

CHANT D'UN BERGER'

Chantons donques, bergers, et en mille façons
A ces vertes forests apprenons nos chansons.
Icy de cent couleurs s'esmaille la prairie,
lcy la tendre vigne aux ormeaux se marie,
Icy l'ombrage frais va les fueilles mouvant
Errantes çà et et là sous l'haleine du vent 3.
Ici de pré en pré les soigneuses avettes
Vont baisant et sucçant les odeurs des fleurettes,
Icy le gazouillis enroué des ruisseaux 5

S'accorde doucement aux plaintes des oiseaux;
Icy entre les pins les Zephyres s'entendent.

Nos flutes cependant trop paresseuses pendent

1. Ronsard a plus d'une fois, comme Baïf, Belleau, Vauquelin, etc., traduit ou imité Anacréon, sans lui conserver, non plus qu'eux, sa gracieuse et piquante précision. Il a été plus heureux et est resté original dans ces trois petites strophes, dont l'idée première est d'ailleurs empruntée à Ausone. Voir, infra. l'imitation de Desperriers.) On a oublié ses odes en strophes, antistrophes et épodes, et l'on sait par cœur cette odelette, comme on n'a retenu de Bertaut qu'une strophe, d'Arnault, en notre siècle, que la Feuille. Voyez le sonnet précédent, et ailleurs: Les beautés en un jour s'en vont comme les roses.

(Sonnets pour Hélène, 1, 62.) Cueillez vostre jeunesse :

Quand on perd son avril, en octobre on s'en plaint.

(Ibid., II, 44.)

-

2. Voici un échantillon de ces Eglogues qu'a raillées Boileau (Arı poét., II). Leur moindre défaut est de n'avoir guère de l'églogue que le nom. Sous le masque d'une imitation de Théocrite et de Virgile, elles ne donnent ni leurs bergers, ni leurs nymphes. La cour de France y est déguisée sous des noms de ferme, quelquefois de basse-cour. Dans la plus étendue des six, composée de chants, de chœurs, de dialogues, et appelée en sous-titre Bergerie, Marguerite de France, duchesse de Savoie, a un double rôle, berger ici, Margot là. Les noms d'Orléantin, Angelot, Navarrin cachent le duc d'Orléans, le duc d'Anjou, le roi de Navarre. On y fait force descriptions, on y chante la France délivrée des Allemands, la France honorée des Vatable et des Budé. Dans d'autres, Joachim du Bellay, Pierre de Ronsard, Michel de l'Hospital s'appellent Bellot, Perrot, Michau. Charles IX et Henri III, qui, dans la V, étaient d'abord Daphnis et Thyrsis, deviennent dès l'édition de 1567 Carlin et Xandrin (Alexandre, nom porté par Henri III dans sa jeunesse), cadres disparates et grimaçants qui renferment de charmants tableaux de détail. 3. Cf. Elégie contre les Bücherons... et Eglog., III:

D'une fresche ramée un ombrage mouvant.

4. Etymol.: sugere, sucium, d'où succus.

5. C'est le raucum per lævia murmur Saxa, de VIRGILE (Géorg. I, 109); mais enroué détonne.

A nos cols endormis 1, et semble que ce temps
Soit à nous un hyver, aux autres un printemps.
Sus2 donques en cet antre ou dessous cet ombrage
Disons une chanson. Quant à ma part, je gage
Pour le prix de celuy qui chantera le mieux
Un cerf apprivoisé qui me suit en tous lieux...
Il va seul et pensif où son pied le conduit;
Maintenant des forests les ombrages il suit,
Maintenant il se mire aux bords d'une fontaine
Ou s'endort sous le creux d'une roche hautaine,
Puis il retourne au soir, et gaillard prend du pain
Tantost dessus la table et tantost en ma main,
Saute à l'entour de moy, et de sa corne essaye
De cosser brusquement son mastin qui l'abaye o.
(Eglogue I, Bergerie.) Tome IV, p. 9.

5

A UN ROI'

4

Sois paré de vertu, non de pompe royale:
La seule vertu peut les grands rois décorer.
Sois prince liberal: toute ame liberale
Attire à soy le peuple et se fait honorer.

Porte dessus le front la honte de mal-faire,
Aux yeux la gravité et la clémence au cœur,

1. Voici un rare bonheur d'expressions, d'harmonie et d'enjambement. 2. Allons! (levons-nous; de susum, arch., depuis sursum).

3. Nunc..., nunc...: tantôt répété.

4. Vif et hardi. LA FONTAINE a dit: le gaillard savetier (II, 8), nos gaillards pèlerins (II, 10).

5. Se heurter de la tête l'un contre l'autre. Etym.: co-icere (frapper, d'où ictus).

6. Etymol.: ad, baubari, baúlev. On a dit baier. REGNIER écrit encore abayer. Le berger en a fait présent à Thoinon, qui le fait

Marcher entre les fleurs, le tenant à la corne...
Puis le conduit au soir à la fraischeur des eaux,
Et de sa blanche main seule luy donne à boire.

Que de vers frais et gracieux perdus au milieu d'une intarissable profusion! Ailleurs, c'est une nymphe:

Qui ses cheveux essuie aux rayons du soleil. (Ibid.)

Pendant la guerre,

Oisives par les champs se rouilloient les charrues (Ibid.)

Le soir,

Les vents sont assoupis, les bois dorment sans bruit. (Egl., IV.)

La nuit,

Fouler l'herbe des prés au son de l'eau qui bruit. (Egl., III.) 7. Chanté (carmen amabæum) par deux pasteurs ». — Ce n'est pas une des moindres surprises des Bergeries de Ronsard, d'y rencontrer ces vers graves, fermes, à la Pibrac.- Cf. infra, p. 61, note 4, Institution pour l'adolescence de Charles IX.

La justice en la main, et de ton adversaire,
Fust-il moindre que toy, ne sois jamais moqueur.
Ren le droit à chacun, c'est la vertu premiere
Qu'un roy doit observer: sois courageux et fort :
La force du courage est la vive lumiere

Qui nous fait mespriser nous-mesmes et la mort.
Mesprise la richesse et toutesfois desire,
Comme roy valeureux, d'augmenter ton bonheur,
Et par armes un jour agrandis ton empire,
Moins pour avoir du bien que pour avoir honneur.
(Eglogue Ir, Bergerie). Tome IV, p. 42.

ÉLÉGIE

CONTRE LES BUCHERONS DE LA FORÊT DE GASTINE

Escoute, bucheron, arreste un peu le bras;
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas ;
Ne vois-tu pas le sang, lequel degoute à force
Des Nymphes qui vivoient dessous la dure escorce2?
Sacrilege meurdrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts et de detresses
Merites tu, meschant, pour tuer nos Deesses?

Forest, haute maison des oiseaux bocagers!
Plus le cerf solitaire et les chevreuls legers
Ne paistront sous ton ombre, et ta verte criniere
Plus du soleil d'esté ne rompra la lumiere !
Plus l'amoureux pasteur sur un tronq adossé,
Enflant son flag olet à quatre trous persé,
Son mastin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l'ardeur de sa belle Janette;
Tout deviendra muet, Echo sera sans vois;

Tout deviendra campagne, et, en lieu de tes bois,

1. Dans le pays Chartrain (auj. Eure-et-Loir). Plusieurs fois, Ronsard cite ensemble Gastine et le Loir (Amours, livre Ír, sonnets 66, 161). Voyez aussi Odes, liv. II, 15: à la Forest de Gastine).

2. Les Dryades (Spu;, chêne), nymphes des bois, vivaient sous l'ombrage et se retiraient dans les troncs des arbres. Les Hamadryades (dpa...) étaient prisonnières sous leur écorce et incorporées à eux. Cf. OVIDE, Métam., VIII, 721, sqq. :

Cujus (Erisichton) ut in trunco fecit manus impia vulnus,
fluxit, discusso cortice, sanguis....

Nympha sub hoc ego sum, Cereri gratissima, ligno »

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