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Quand je cherchai la gloire au fond d'un encrier,
Qui donc prit en souci mon début littéraire ?
Personne. Quand le sort, las de m'être contraire,
Pour un modique emploi fit qu'on me trouva bon,
Qui m'y soutint? Personne. Evincé sans raison,
Qui me tendit la main? Personne encor. De rage,
Je rêvai sous le toit de mon troisième étage
Que je faisais fortune, en rendant coup pour coup:
Je m'endormis mouton et me réveillai loup.

Pour mordre à belles dents tout fut de mon domaine;
Je tombai sans pitié sur la sottise humaine,

J'écorchai, déchirai le troupeau des trembleurs :
Guerre ou tribut !... Danseurs, acteurs, auteurs, parleurs,
Pour ses gestes, ses pas, son discours, son volume,
Tout paya: je battis monnaie avec ma plume.

Je fus par les bureaux fêté, doté, renté;
Et ce qu'un brave Anglais, qui pour l'amirauté
S'escrima quarante ans de Plymouth à Surate,
N'a pas comme marin, je l'eus comme pirate.
Mais qui m'a fait mon sort? Personne. Craint de tous,
Qui peut m'aimer? Personne, Or, j'en appelle à vous,
N'ai-je pas cent raisons, dont la moindre est fort bonne,
De n'aimer, n'estimer et n'épargner personne?
Toujours vous excepté, milord!

LORD DERBY.

C'est convenu.

(La Popularité, II, 2. — Firmin Didot, éditeur.,

RÉPONSE AU CORSAIRE

GODWIN, ÉDOUARD LINDSEY.

GODWIN.

Sûr de l'opinion, vous ne me craignez guère ;
Vous dédaignez la presse, et vous avez grand tort.
ÉDOUARD.

Vous vous trompez, monsieur, je la respecte fort;
Une atteinte à ses droits me semblerait un crime,
Et je la défendrais, fussé-je sa victime.

Mais qui donc êtes-vous pour parler en son nom?
N'a-t-elle qu'une voix? Est-ce la vôtre? Non.
Nul n'est à lui tout seul la presse tout entière:
A la discussion s'il ne donnait matière,
Son arrêt sans appel, qu'un seul aurait porté,
Serait la tyrannie et non la liberté;

Contre elle et contre tous, notre garant, c'est elle.
D'une lutte incessante elle sort immortelle,

En opposant toujours la justice au faux droit,

Et le fait qu'on doit croire au bruit menteur qu'on croit,
Les noms dont elle est fière à ceux dont elle a honte.
Noms purs, nobles talents, c'est sur eux que je compte!
J'ai foi dans leur puissance et j'en bénis l'emploi;
Car le bien est son but, la vérité sa loi.

Ce sont là les soutiens de la presse équitable,
Ceux qui par leurs travaux la rendent respectable,
Convaincus qu'à nos yeux pour la représenter
Le premier des devoirs est de se respecter.
Quant à vous, sur ma vie accumulez l'injure;
Critiquez, censurez, déchirez: je vous jure
Que, fidèle à ma route, on ne me verra pas,
Pour vous répondre un mot, me détourner d'un pos.
Il faut bien en courant soulever la poussière:
Faites votre métier, je poursuis ma carrière !

(Ibid. IV, 2.)

LAMARTINE

1790-1869

Alphonse de LAMARTINE, de Mâcon, a été poète, orateur, historien, homme d'Etat. Poète (c'est seulement comme tel qu'il nous appartient ici), il a donné à la poésie lyrique un essor inconnu en France. Ame vibrant à toutes les emotions de la joie ou de la douleur, à toutes les harmonies de la nature, à tous les enthousiasmes de la foi, sa poésie, puisée à ces trois sources, a ruisselé, intarissable, en odes, en stances, en élégies, sous les noms de Méditations (1820-1823), d'Harmonies poétiques et religieuses (1829), Recueillements poétiques (1839), de son cœur, de son imagination, de ses doigts, sous lesquels tout devenait rythme,mélodie, musique et couleur.

La poésie fut comme une éclosion et un épanouissement spontané de tout son être. « Plante de pleine terre et de montagne,» a-t-il dit, il fut élevé dans le domaine patriarcal et champêtre de Milly dont les souvenirs l'ont si bien inspire (Harmonies, III, 2); il s'y enivrait de la nature avec sa mère; seul, il lisait Homere, Virgile, le Tasse, Milton, Ossian, « une des palettes où son imagination a broyé le plus de couleurs » (Confidences), Fénelon, Jean-Jacques, Bernardin de Saint-Pierre, Mme de Staël, Chateaubriand, etc., et y abreuvait son imagination et son cœur. Dans l'institution ecclesiastique de Belley il« s'abimait en Dieu » (Ibid.); accoudé la nuit à une fenêtre, il contemplait ravi « les horizons de silence, de soli

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tude, de recueillement.» A Naples, à Procida, où, ses études finies, il suit un parent et séjourne, la poesie deborde déjà chez lui en nombre de pièces dont quelques-unes seulement, dit-il, sont restées dans le recueil des Méditations; puis, après un service passager dans les gardes-du-corps, des voyages et des séjours divers en Suisse, en Dauphiné, en Savoie, une inaction pesante et douloureuse, des amertumes, des souffrances, des larmes, des découragements, des exaltations; voilà ce qui acheva de parfaire en lui le poète; voilà d'où sortirent enfin en 1820 les premières Méditations par lesquelles il entra, des le premier pas, dans la gloire et dans la fortune. La diplomatie le conduit à Naples, à Londres, à Florence. De cette periode sortent les Nouvelles Méditations, la Mort de Socrate, le Dernier chant du pèlerinage d'Harold, qui mène le héros en Italie, et dans cette Grèce où son créateur Byron allait bientôt mourir. Après les Harmonies, l'Académie donne un fauteuil au poète en 1830, la Chambre des députes une tribune à l'orateur en 1836 pendant qu'il faisait et écrivait le Voyage en Orient. Il ajoute à ses poemes un incomparable chef-d'oeuvre, Jocelyn (1836), qui compense heureusement la Chute d'un Ange de 1838; il fait l'Histoire des Girondins (1847); il fait la République en 1848. Nous n'avons plus à le suivre au delà, le poète se tait désormais, mais i a enchanté le demi-siècle qu'il a traversé, la lyre à la main.

L'ISOLEMENT

Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.

Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes,
Il serpente, et s'enfonce eu un lointain obscur ;
Là, le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l'étoile du soir se lève dans l'azur.

Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon;

Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon '.

1. Vous retrouvez les mêmes images et la même harmonie dans le début d'Ischia (Nouvelles méditations, II:

Le soleil va porter le jour à d'autres mondes;
Dans l'horizon désert Phohé nonte sans bruit,
Et jette, en pénétrant les ténèbres profondes,
Un voile transparent sur le front de la nuit...
Voyez du haut des monts ces clartés ondoyantes
Comme un fleuve de flamme inonder les coteaux.
Dormir dans les vallons, ou glisser sur les pentes,
Ou rejaillir au loin du sein brillant des eaux
La douteuse lueur, dans l'ombre répandue,
Teint du jour azuré la pâle obscurité,
Et fait nager au loin dans la vague étendue
Les horizons baignés par sa molle clarté.

Cependant, s'élançant de la flèche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs:
Le voyageur s'arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.
Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N'éprouve devant eux ni charme ni transports;
Je contemple la terre ainsi qu'une âme errante:
Le soleil des vivans n'échauffe plus les morts.
De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense étendue,
Et je dis Nulle part le bonheur ne m'attend.....
Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère,
Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux.
Là, je m'enivrerais à la source où j'aspire;
Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour,
Et ce bien idéal que toute âme désire,
Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour 1.
Que ne puis-je, porté sur le char de l'aurore,
Vague objet de mes vœux, m'élancer jusqu'à toi!
Sur la terre d'exil2 pourquoi resté-je encore?
Il n'est rien de commun entre la terre et moi.
Quand la feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie:
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons * !
(Premières Méditations poétiques, 1.
- Hachette et Cie, éditeurs.)

1. Qui, sur la terre, n'a pas de nom, parce qu'il n'y a pas d'existence. Le second vers explique nettement le sens de idéal qui signifie: 1° qui n'a d existence que dans l'esprit qui s'en représente lidée ou l'image (eidos, idea); 20 ce qui réunit toutes les perfections dont l'esprit se représente l'idée, en dehors de la réalité. Ces deux vers sont dans toutes les mémoires. Cf. J. DU BELLAY, p. 40.

2. La poésie, l'éloquence et la philosophie ont souvent exprimé cette idée, L'homme ici-bas est campé sous une tente d'un jour », dit la Bible. L'homme est «< égaré dans ce canton détourné de la nature », logé dans un petit cachot », dit Pascal. Cf. Cicéron, Songe de Scipion (De Republica, VI). Plutarque au contraire (De a Sérénité de l'âme) dit que sage, heureux de faire le bien,καταφρονεῖ τῶν ὀδυρομένων και λοιδορούντων τὸν βίον ὡς τινα κακῶν χώραν, ἢ φυγάδικον τόπον ἐνταῦθα ταῖς ψυχαῖς ἀποδεδειγμένον.

le

3. Ces découragements énervants, ces désenchantements de la vie, expri

L'AUTOMNE

Salut! bois couronnés d'un reste de verdure!
Feuillages jaunissans sur les gazons épars,
Salut! derniers beaux jours; le deuil de la nature
Convient à la douleur, et plaît à mes regards.

Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire ;
J'aime à revoir encor pour la dernière fois
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois.

Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire,
A ses regards voilés je trouve plus d'attraits:
C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais.
Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie,
Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui,
Je me retourne encore, et d'un regard d'envie
Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui.

Terre, soleil, vallon, belle et douce nature,
Je vous dois une larme au fond de mon tombeau.
L'air est si parfumé ! la lumière est si pure!
Aux regards d'un mourant le soleil est si beau 1!
Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie
Ce calice mêlé de nectar et de fiel;

més si souvent par Chateaubriand, et par Senancour dans Obermann, et qui ont fait école pendant un quart de siècle, ont eu trop souvent pour principe l'orgueil, la lassitude et le dépit d'une oisiveté volontaire ou involontaire, l'affectation d'un rôle à jouer, et surtout l'imitation d'Ossian, le poète qui exalta chez nous, non plus la rêverie chere à Rousseau, mais une mélancolie maladive et nébuleuse. Chez Lamartine, à l'époque où il écrivit cette Meditation, et bien d'autres remplies des mêmes sentiments, ils étaient sincères : des morts pleurées, une inaction qui lui faisait aspirer à porter

Ce poids léger du temps que le travail emploie,

comme il le dit dans les Harmonies (1, 5), les avait aiguisés jusqu'à la souffrance. Le sentiment passionné de la nature et l'exaltation de la foi en sont chez lui le contre-poids et le remède, et il fait lui-même parler La Providence à l'homme (Premières Médit., VIII), pour châtier son Désespoir (Ibid., VII).

La Méditation suivante exprime les mêmes idées que la première, avec un mélange d'attendrissement, de résignation et de regret, qui leur donne un accent plus touchant. La première est plus rêveuse et plus passionnée. 1. Voilà le cri de la nature. La mélancolie, un peu raffinée, des modernes le trouve, comme l'instinct le disait aux jeunes filles du théâtre d'Euripide, à Iphigénie s'écriant:

Τὸ φῶς τόδ' ἀνθρώποισιν ἥδιστον βλέπειν,

à l'Ajax même de Sophocle, disant adieu au soleil avant de se frapper.

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