Sur le seigie, verte houle1 Le caprice ailé du vent; Sur les prés, sur la colline Sur le grand orme isolé; La demoiselle se berce; Dans la brume, au bord du ciel, Comme un regard d'Ariel 2. Traversant, près des charmilles, Des bourdonnants moucherons, Et comme eux décrit des ronds. Bientôt elle vole et joue Du jet d'eau qui, s'élançant En un ruisseau bruissant. Plus rapide que la brise Dans son vol capricieux, Le saule au front soucieux. 1. Houle, mouvement d'ondulation que la mer conserve après une terpête. Que de fois n'a-t-on pas dit que les épis ondulent, et aussi, ondoien! GODEAU parle des blés: Qui dans les sillons altérés Font endoyer leurs têtes blondes; il les appelle, avec un peu de recherche, « l'ondoyant espoir » des peines du laboureur. 2. Génie de l'air dans la mythologie scandinave. Et quand la grise hirondelle Passe, et ride à plis d'azur, Elle s'enfuit d'un vol sûr. Bois qui chantent, fraîches plaines Lacs de moire 2, coteaux bleus, Monts aux rochers anguleux; Voilà l'immense domaine Ses caprices, fleurs des airs, De reflets roses et verts 4. (Ibid. Charpentier, éditeur.) PROMENADE AUX CHAMPS L'herbe courbe sa pointe où tremble un diamant: 1. VIRGILE, Géorg., I, 377: Aut arguta lacus circumvolitavit hirundo. 2. C'est-à-dire: qui ont des reflets ondulés comme l'étoffe appelée moirc. 3. Nacrée, qui réfléchit une lumière irisée comme la nacre. La rose, vierge encor, se referme jalouse (A. DE MUSSET, la Nuit de Mai.) LA FONTAINE, Fabl., IV, 12: Un pré Tout bordé de ruisseaux et de fleurs diapré. V. HUGO, Odes, IV, 16, La Demoiselle: Quand la demoiselle dorée S'envole au départ des hivers, Souvent son aile est déchirée Aux mille dards des buissons verta Ainsi, jeunesse vive et frêle, Qui, s'égarant de tous côtés, Voles où ton instinct t'appelle, 4. Ce rythme gracieux a été employé, comme on sait, par Froissard, Ronsard, R. Belleau, etc. Du milieu d'un buisson, d'un arbre ou d'une haie, Déserte en bourdonnant sa fleur demi-brisée. (Ibid., le Retour.—Charpentier, éditeur). LE COIN DU FEU Que la pluie à déluge au long des toits ruisselle ! Que du haut des glaciers l'avalanche s'écroule! 1. On a appelé le papillon une « fleur ailée ». Pour Th. Gautier, c'est un « écrin ». Il a eu la folie de tout ce qui brille et chatoie dans les marbres et les metaux, les pierrer es et les étoffes, soies, velours, brocarts et guipures. Il s'en entourait, il en a rempli ses livres, il en remplit la nature. C'est, ici, l'hiver qui couvre les herbes de «filigrane d'argent »; c'est, là, le printemps qui vient Pour les petites pâquerettes Et lacer les boutons de rose Dans leur corset de velours vert. (Emaux et Camees, Premier Sourire du Printemps.) Ainsi fait V. Hugo dans les Chansons des rues et des bois. C'est un nouveau genre de précios té »; mais le goût public n'a plus besoin que Molière lui apprenne qu'elle court risque d'ètre « ridicule ». 2. Horace a dit «lymphæ loquaces »; Ovide, « garrulus rivus ». 3. Les «résilles d'argent » de l'eau, les « ailes de crêpe », toujours la sensation naturelle mélangée et compliquée d'une sensation artistique. 4. Cetie description qui se prolonge, formée ainsi d'une suite de détails successifs et isolés, dont chacun saisit l'oeil et retient le pinceau du poète, est son procédé familier, et donne un exemple de sa manière». On ren Que le torrent aboie au fond du gouffre, et roule Qu'il gèle ! et qu'à grand bruit, sans relâche, la grêle Qu'importe? n'ai-je pas un feu clair dans mon âtre, BARBIER Né en 1805 Auguste BARBIER est resté, quoi qu'il ait depuis donné au public, Rimes héroïques, Odelettes, Satires et Chants, etc., le poète des Iambes de 1830. Dans ses Sylves, mot qui, par son origine, semble rajeunir un recueil sous un air de fraîcheur des bois, il a, comme tant d'autres en ce siècle, écrit au hasard de l'inspiration contre çà et là de petits tableaux parfaits. En voici deux. Le premier est pris sur un marais : Sous les lentilles d'eau qui rampent Le second est pris sur un mur: (Le marais.) Une treille stérile avec ses bras grimpants 1. Le roète cite en épigraphe le vers de Villon: Vente, gelle, gresle, j'ai mon pain cuit; et celui de Tibulle : (Pan de mur. Quàm juvat immites ventos audire cubantem! C'est, resserré dans un cadre particulier, l'égoïste « Suave mari magno > de Lucrèce. Ma nts poètes se sont arrêtés à « ce coin du feu»: tels, Ducis, Delille dans l'Homme des champs, etc. Il a inspiré quelques vers heureux au P. Ducerceau dans les Tisons, les Pincettes, où je trouve (Mercure, janvier 1717): Je trépigne et sur pied je sèche de colère De voir à mes yeux un tison Qui peut-être fait bien, mais qui pourroit mieux faire, des pages isolées sur quelque coin de la nature ou quelques souvenirs de sa vie : « le dormoir des vaches », « les feuilles du tremble », « une feuille morte », etc. Ses Chants civils et religieux embrassent, dans la suite de leurs « hymnes », un champ plus vaste dans une composition plus régulière. Mais son style y a moins d'éclat et de souplesse, sa muse, d'envergure et de souffle, que dans le petit volume qui contient les Iambes, Il Pianto et Lazure. La figure d'A. Barbier, un peu effacée depuis, y apparait mâle et ardente dans l'atmosphère brûlante d'une révolution, alors Que les cloches hurlaient, que la grèle des balles Que dans Paris entier, comme la mer qui monte, Et qu'au lugubre accent des vieux canons de fonte La Marseillaise répondait; (La Curée) dans l'haleine de feu de la meute qu'il déchaîne à la Curée; dans les vapeurs embrasées de la fournaise où il coule l'Idole; dans les brumes attristées où travaille le Lazare anglais, enchaîné sur Ce grand vaisseau de houille Qui fume au sein de l'Océan; (Lazare, Prologue). sous les arcades muettes du Campo Santo de Pise, ou dans la solitude du Campo vaccino de Rome (Il Pianto). Les vers vigoureux, enfiévrés et colorés d'A. Barbier resteront une date dans une époque: ils y ont incrusté le médaillon d'un vrai poète, poète d'un jour, que ce jour fera vivre, et ont attaché à son nom le nom d'Iambes, dont il partage, dans la poésie française, la propriété avec A. Chénier. LA CAVALE O Corse à cheveux plats, que ta France était belle, C'était une cavale indomptable et rebelle, Une jument sauvage à la croupe rustique, Mais fière, et d'un pied fort heurtant le sol antique, Jamais aucune main n'avait passé sur elle 1. Allégorie célèbre de la France gouvernée par Bonaparte, consul, et Napoléon, empereur. 2. Cheveux plats, messidor. Ce coup du crayon et ce mot du calendrier républicain datent le commencement de l'allégorie. Qu'on se rappelle le visage creux et hâve du Bonaparte de Rivoli, des Pyramides et du 18 brumaire, Pâle sous ses longs cheveux noirs, (V. HUGO, les Orientales, XL, Lui.) Le poète le conduit jusqu'en 1:14, où le cavalier tombe, les « reins cassés.» |